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Chapitre 10 : « Rassemblement »
Année 2116 | 29 novembre, 11 h 30 – Site Beta, Pacific Palisades, Los Angeles - Californie
Tobias Olsson, âgé de vingt ans, avait abandonné ses études à l’université de Californie à Los Angeles. Il passait désormais ses journées à profiter des plaisirs faciles de la vie, enchaînant les nuits de débauche dans les clubs où l’alcool coulait à flots et où la drogue n’était jamais bien loin. Peu préoccupé par son avenir, il ne cherchait que l’instant présent, se livrant à tous les excès sans la moindre contrainte.
Le jeune homme ne manquait pas de charme, avec ses cheveux châtain-roux foncé, mi-longs et dégradés, coiffés d’un simple mouvement de main révélant une raie centrale. Ses yeux marron, vifs et malicieux, accentuaient ce mélange de mystère et d’énergie bouillonnante qui émanait de lui. Son visage encore juvénile, marqué par quelques boutons d’acné, l’empêchait de paraître plus âgé. Côté cœur, Tobias fuyait toute attache, préférant les aventures éphémères. Multiplier les conquêtes était pour lui un moyen comme un autre d’oublier ce qu’il tentait désespérément de fuir.
Il possédait un don rare : la télépathie. Cette capacité lui permettait de sonder les pensées des autres avec une étonnante aisance. Selon les circonstances, il pouvait également faire preuve d’empathie ou influencer subtilement les esprits. Tobias se montrait fier de pouvoir manipuler les vigiles de magasins ou les serveurs de restaurants, bien qu’il reste impuissant face aux systèmes équipés de scanners automatiques. Personne dans son entourage ne connaissait ses origines ni sa véritable nature de variant. Il dissimulait tout avec habileté.
La veille du 29 novembre, il s’était battu en boîte de nuit, après avoir abordé une jeune femme déjà en couple. Son audace, combinée à l’alcool, l’avait poussé à provoquer un homme bien plus costaud que lui. Il en ressortit avec plusieurs coups au visage et une bosse monumentale sur le front. Pour se remettre de cet échec, il s’était réfugié dans un bar, espérant y trouver une âme compatissante avec qui finir la nuit. Mais ses espoirs furent douchés. Le gérant, le trouvant trop jeune et vulgaire, l’avait mis dehors sans ménagement. Tobias avait erré dans les rues, sans se douter qu’il était suivi depuis plusieurs heures.
Ce n’est qu’aux alentours de sept heures du matin qu’il regagna son petit appartement de Paloma Street, situé à quelques rues du tristement célèbre Cecil Hotel, là même où Sidonie avait été enlevée quelques semaines plus tôt. Bien que le quartier de Downtown soit l’un des plus malfamés de la ville, il ne s’en inquiétait pas. Il croyait fermement que sa télépathie suffirait à le protéger. Il ne s’en servait pas pour dominer ou faire du mal — ce n’était pas dans sa nature — mais elle lui permettait d’éviter les mauvaises rencontres. Ses voisins le considéraient comme un garçon étrange, déambulant parmi les toxicos et les marginaux de ces rues crasseuses, comme une âme perdue.
Son appartement n’était qu’une pièce unique, encombrée de vêtements froissés, de tessons de bouteilles et de restes de nourriture périmée. À peine eut-il passé la porte qu’il se débarrassa de ses habits et s’effondra sur le matelas en vrac posé au sol. Une petite veilleuse, qu’il ne pensait jamais à éteindre, restait allumée en permanence.
Vers 9 h 30, quelqu’un toqua à la porte — une heure bien trop matinale pour ce fêtard nocturne. Tobias, encore à moitié endormi, se leva difficilement pour voir qui venait l’importuner. Un voisin drogué venu demander quelques FedCoins ? Son propriétaire réclamant le loyer en retard ? En caleçon, il passa la main dans ses cheveux en bataille et se dirigea vers la porte, dont le verrou branlant vibra sous les coups insistants.
-
Ouais, c’est bon, j’arrive ! grogna-t-il en jetant un œil au réveil holographique. Putain, je n’ai même pas dormi deux heures... C’est qui ?
Aucune réponse. Il regarda par le judas, mais celui-ci était obstrué. Tobias ouvrit malgré tout, prêt à envoyer promener l’importun. À peine la porte entrebâillée, il aperçut un homme vêtu de noir, le visage masqué. Aucune pensée n’émanait de cet étrange inconnu. Avant qu’il ne puisse réagir, l’homme le repoussa violemment. Tobias tenta de se défendre, mais l’individu le frappa brutalement au ventre, le faisant chuter en arrière, recroquevillé. Désorienté, le jeune homme se protégea comme il put, ses réflexes engourdis par la fatigue et les excès de la veille. Plus mince et moins fort que son agresseur, il n’avait aucune chance. Son assaillant s’assit sur lui en pressant sa gorge pour l’empêcher de crier, avant de lui injecter un sédatif. Tobias sombra en quelques secondes.
Lorsqu’il reprit connaissance, il se retrouva assis sur une chaise, la tête recouverte d’une cagoule, les mains et les chevilles ligotées. À part son caleçon, quelqu’un l’avait recouvert d’une fine couverture. Malgré cette attention, le froid le transperçait, et il grelottait tandis qu’une migraine lui vrillait le crâne et que son estomac criait famine. Incapable de deviner où il se trouvait, Tobias songea d’abord qu’il s’agissait d’une farce, une mauvaise blague en raison de quelques tricheries au poker clandestin. On lui arracha brutalement la cagoule, et une puissante lampe lui éblouit les yeux.
-
Aïe ! Rah, putain, c’est quoi ce merdier ?! grogna-t-il en plissant les yeux, le visage crispé par la douleur.
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Surveille ton langage, ordonna une voix masculine à l’accent scandinave.
-
C’est une blague ou quoi ?! Je suis où ?!
Il entendit les pas légers d’une femme chaussée de talons.
-
Laissez notre invité reprendre ses esprits, déclara calmement Jane à Andras.
-
Vous êtes qui ?! Si c’est pour les cinq mille FedCoins, j’ai dit que j’allais les rembourser la semaine prochaine.
-
Cela ne concerne pas vos dettes de jeu, jeune homme.
-
Alors quoi ? Pourquoi je n’arrive pas à…
Jane s’approcha davantage du captif. Son visage restait dans l’ombre, empêchant Tobias d’en distinguer les traits.
-
Deviner mes pensées ? C’est bien ce que vous alliez dire, mon garçon ?
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Hein ? Qu’est-ce que vous racontez ?!
-
Ne faites pas semblant d’être surpris, vous savez très bien de quoi je parle. Nous sommes bien informés à la BMRA, vous savez.
-
Conneries ! Enlevez-moi ces trucs, laissez-moi partir !
Jane esquissa un sourire en coin, mais son visage sévère ne laissait aucun doute sur sa réponse. Tobias, encore désorienté, peinait à se rappeler l’altercation dans son appartement, imaginant à tort qu’il avait simplement été dépouillé dans la nuit.
-
Où sont mes fringues ?! Pourquoi m’avez-vous emmené ici ?!
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Vos vêtements vous seront rendus dès que nous aurons terminé notre discussion. Enfin, tout dépendra de la tournure de nos échanges. Auriez-vous froid ?
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Je me gèle ! Arrêtez cette mascarade !
D’un geste sec, Andras arracha la couverture qui recouvrait Tobias. Une vague de peur le submergea lorsqu’il aperçut le masque blanc du mystérieux mercenaire. Peut-être que ce n’était pas une plaisanterie, finalement. Clignant des yeux, il tentait de discerner les visages autour de lui. Jane, en réponse à sa confusion, baissa légèrement l’intensité de la lampe. Peu pudique de nature, Tobias ressentit pourtant un malaise grandissant. Tout lui échappait.
Il aperçut alors une femme d’âge mûr, élégamment vêtue, les bras croisés. Bien qu’un peu âgée à son goût, elle possédait un indéniable charme, comme auréolée d’un magnétisme troublant. Un peu plus en retrait, une autre femme, également d’âge mûr, aux cheveux blancs, était assise à une table. Silencieuse, résignée, elle observait la scène sans intervenir. Celui qui se tenait debout, vêtu d'une veste en cuir brun et équipé d'un masque blanc faisait trembler Erik, car il le fixait sans discontinuer. Enfin, un quatrième individu, un homme au visage las, aux cheveux teints en violet, restait impassible derrière ses lunettes sombres.
-
Je n’ai pas le temps de jouer, jeune homme… ou devrais-je dire Erik.
-
Je m'appelle Tobias ! hurla-t-il, le regard chargé de mépris.
-
C’est dommage. Pourquoi refuser un prénom aussi charmant ?
-
Mais qu’est-ce que ça peut bien vous foutre ?! Dites-moi qui vous êtes et ce que vous me voulez !
-
Vous le sauriez déjà… si vous aviez accès à vos capacités télépathiques, n’est-ce pas ?
Un frisson le parcourut. Tobias – ou Erik – comprit soudain qu’il n’arrivait effectivement à rien capter. Le silence absolu. Son don, toujours si présent, s’était évaporé. Il n’était plus qu’un esprit aveugle. Ses ravisseurs y étaient forcément pour quelque chose.
-
Merde… Qu’est-ce que vous m’avez fait ?!
-
Votre don est temporairement inopérant. Ce que nous vous avons injecté bloque votre télépathie. C’est remarquable, vous ne trouvez pas ? Et sans effets secondaires, enfin... normalement. Vous êtes inoffensif, pour le moment.
-
Fait chier ! Vous n’avez pas le droit de faire ça !
-
Et vous, aviez-vous le droit de lire dans les esprits ? De manipuler les gens ? Vous pensez que ça marcherait avec moi ? demanda Jane, un sourire en coin.
Elle savait. Elle savait très bien comment son prisonnier avait usé de ses facultés pour se sortir de situations compromettantes, ou pour séduire à la volée. Erik détourna les yeux. Il n’avait pas de réponse.
-
Écoutez, la blague a assez duré. Laissez-moi partir et je vous filerai l’argent, d’accord ? Je peux même balancer des infos sur des dealers de LA… si vous êtes des flics !
-
Habile tentative. Mais ni l’argent, ni les criminels ne m’intéressent.
-
Saloperie de merde ! Je veux partir ! cria Erik.
La gifle claqua comme un fouet. Andras, à bout de patience, ne lui avait laissé aucune chance. Secoué, Erik tenta de se débattre, de défaire ses liens, mais les nœuds tenaient bon. Il leva les yeux et croisa le regard de Lydia, tournée sur le côté. Elle refusait d’assister à ce spectacle humiliant. Le cœur lourd, elle revivait la fuite à Los Angeles, les égouts, la disparition d’Hiro.
Erik laissa retomber sa tête en arrière, le souffle court. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas retrouvé dans une situation aussi périlleuse. Rien que le nom de la BMRA suffisait à éveiller sa peur, comme chez tous les variants. Il cherchait à accrocher le regard de Lydia.
-
Hey… la dame aux cheveux blancs… pitié… aidez-moi. Dites-leur de me laisser partir, murmura-t-il d'une voix brisée.
La médecin le regarda avec empathie. Son regard trahissait le dégoût qu’elle ressentait face à cette mise en scène sordide. Erik, à bout, haletait de plus en plus fort. L’alcool et les substances de la veille donnaient à son haleine une âcreté insupportable.
Andras s’approcha avec un verre d’eau et le força à boire. Erik se mit à tousser violemment, les yeux larmoyants, incapable de reprendre son souffle.
La peur l’envahissait, et sans son don, il ne pouvait pas tenter d’influencer ses ravisseurs. Ses doigts se crispaient. Ses poignets et ses chevilles lui faisaient mal sous la pression des liens. Jane s’approcha, et il remarqua l’arme qu’Andras tenait dans ses mains gantées de cuir noir, cloutées d’acier.
-
Vous allez me tuer ?
-
Je n’en ai nullement l’intention, Erik. Ce serait bien dommage. Heureusement pour vous, nous ne sommes pas des agents de la BMRA...
-
Alors vous êtes qui, au juste ? Une espèce d'organisation secrète qui enlève les gens pour les emmerder ? Vous comptez me garder ici combien de temps ?
-
Le temps que vous vous décidiez.
-
Me décider à quoi, bordel ?!
-
À nous rejoindre.
-
Non, c’est un cauchemar, je vais me réveiller, tout ça est une foutue blague !
Jane passa doucement ses doigts sur le visage d’Erik, repoussant quelques mèches collées à son front. Il recula instinctivement, mal à l’aise face à cette attention déplacée. Elle essuya les gouttes de transpiration de son visage avec un mouchoir brodé de ses initiales, JR.
-
Je ne “blague” que rarement lorsqu’il est question de survie. Et cela vous concerne tout particulièrement, Erik.
-
Vous ne pensez tout de même pas que je vais vous suivre comme un chien après m’avoir séquestré. Vous êtes cinglée, ma vieille !
Andras lui asséna une nouvelle gifle, plus violente, pour son insolence.
-
Rah, tu m’as blessé, espèce de salaud ! cracha Erik, la lèvre inférieure fendue, un filet de sang glissant vers son menton.
Andras approcha son visage du sien, tel un prédateur prêt à dévorer sa proie. Erik détourna la tête, incapable de soutenir le regard cyan du mercenaire, figé derrière ce masque spectral qui semblait exhaler une menace glaciale à chaque souffle. Lydia se leva et s'approcha d'Erik. Elle dirigea sa main sur sa lèvre afin de la guérir avec son don.
-
Ce n’est pas comme ça que nous allons le convaincre, intervint Lydia, excédée.
Jane se tourna vers elle, comme si elle venait de se souvenir de sa présence. Elle lui fit un signe bref, l’invitant à ne pas intervenir.
-
Je suis sûre que vous ne cautionnez pas ça. Dites-leur de me laisser partir, je vous en prie, supplia Erik à l’attention du médecin.
-
Viens avec nous, répondit Lydia. Je t’assure que tu seras en sécurité.
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Bordel ! Je ne veux pas vous suivre ! Allez tous vous faire voir ! hurla-t-il, la voix brisée par la colère.
-
Il est mort de peur, intervint Walter, d'une voix robotique.
-
T'es qui toi ? répondit Erik avec affront.
Lydia recula, abandonnant. Trop tourmentée, trop impuissante pour continuer à le raisonner. Erik semblait déterminé à résister jusqu’au bout.
-
Lydia, Andras et Walter, attendez-nous dans la voiture. Et ne revenez sous aucun prétexte, ordonna Jane. Surveillez les environs et prévenez-moi au moindre signe suspect. Quant à moi, j’ai à parler en privé avec ce récalcitrant.
-
À vos ordres, répondirent Walter et Andras d’un ton martial.
Lydia lança un dernier regard à Tobias. Il haletait encore, les poings crispés, la sueur ruisselant le long de son torse. Elle crut voir, dans ses yeux pleins de rage, une supplique muette. Un appel désespéré à l’aide. Mais Jane avait parlé. Lydia rejoignit le véhicule, accompagnée d’Andras et de Walter. Les trois variants gardèrent le silence. Lydia désapprouvait cette méthode, cette violence, cette manipulation mentale. Pourtant, son indignation se heurta à un autre sentiment : la promesse faite par Jane, celle de garder sa famille à l’abri.
La comtesse fit lentement le tour d’Erik, s’arrangeant pour toujours rester hors de son champ de vision. Il tournait la tête de droite à gauche, tentant vainement de suivre ses mouvements. Le bruit sourd des talons de Jane claquait sur le sol. Ce son rythmé résonnait dans la pièce vide, amplifiant son anxiété. Le froid lui traversait toujours la peau. Il tenta de bouger les bras, les jambes. Rien. Les douleurs aiguës lui rappelèrent la solidité de ses liens. À bout de forces, il cessa ses efforts et resta immobile, impuissant.
-
Vous empestez l’alcool et la sueur, fit remarquer Jane.
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Qu’est-ce que ça peut bien vous faire ? grogna-t-il avec défi.
D’un geste soudain, Jane attrapa ses cheveux, tirant violemment sa tête en arrière. Pris de court, Erik étouffa un cri.
-
Aïe, putain ! Vous me faites mal ! Lâchez-moi !
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Ne jouez pas au plus malin avec moi, lança-t-elle d’un ton glacial.
Sa main libre se posa autour de sa gorge. Elle sentit son pouls, rapide, tendu. Un simple geste, et la vie s’éteignait. Mais Jane n’en avait pas l’intention. Elle relâcha sa prise brusquement. Erik baissa la tête, haletant, tandis qu’elle revenait se placer devant lui.
-
Pourquoi résistez-vous, Erik ? Les choses seraient moins désagréables pour vous si vous acceptiez d’ouvrir les yeux, dit-elle plus doucement, en lui essuyant la lèvre ensanglantée avec le même mouchoir.
-
De quoi parlez-vous ?!
-
Regardez ces photos. Ce sont les centres de reconditionnement de la BMRA.
Il détourna aussitôt les yeux. Les images de cadavres, de cellules, de tortures... il ne voulait pas les voir. Il fixa sa geôlière avec tout le mépris qu’il pouvait rassembler.
-
Allez-vous faire voir, vieille salope !
Jane perdit patience face à son insolence et le gifla sans retenue. La force du coup le fit vaciller, mais il parvint à retrouver son équilibre.
-
Cessez votre langage vulgaire. C’est indigne de l’éducation que vous avez reçue, Erik av Sverige !
-
Ne m'appelez pas comme ça ! Comment pouvez-vous savoir qui je suis ? demanda-t-il en écarquillant les yeux. Je ne vous connais même pas !
-
Je suis une femme pleine de ressources. Et vous êtes devenu un paradoxe…
-
Qui vous envoie ?! Ma famille ?
-
Pauvre fou… si c’était le cas, pensez-vous que nous serions encore en train de discuter ? Votre mère souhaite certainement votre disparition depuis votre venue à NickroN Renaissance, répondit-elle avec une sévérité glaciale. Et la BMRA vous cherche, car ils savent désormais que vous avez survécu.
Erik détourna le regard. Elle en savait bien trop sur lui, bien plus que quiconque ne devrait. Cela ne faisait qu’amplifier sa peur. Il redoutait que son passé ne vienne le hanter de nouveau, cette fois de manière définitive.
-
Mon garçon, je suis votre seule échappatoire contre cette agence qui va vous traquer sans relâche. Si vous voulez vivre, il vous faudra accepter de me suivre.
-
C’est ça, ouais. Si je refuse, vous allez me donner une grosse fessée ?
-
Ne sous-estimez pas celle qui tient votre vie entre ses mains. La souffrance peut prendre bien des formes, croyez-moi.
Erik hésita, ébranlé malgré lui, mais son caractère désinvolte reprit le dessus.
-
Vous êtes complètement tarée ! Je me fiche de vous, de vos photos ou de ce que vous pourrez dire !
-
Pourtant, l’étau se resserre. Je ne vous donne même pas deux jours si je vous laisse partir d’ici, car l'agence vous considère comme prioritaire et hautement dangereux. Ne sous-estimez pas leur pouvoir destructeur, ainsi que la menace de votre mère. Vous ne pourrez pas vous en sortir seul.
-
Je sais me débrouiller, je n’ai besoin de personne !
Elle posa calmement la main sur le côté de son visage, forçant Erik à la regarder droit dans les yeux.
-
Ils vont vous capturer, et vous les supplierez de vous achever avant qu’ils ne vous arrachent votre esprit de votre boîte crânienne. Et Dieu seul sait ce qui vous arrivera si votre mère parvient à mettre la main sur vous.
-
Vous bluffez. Je ne vous crois pas ! Détachez-moi, bordel ! hurla-t-il, les yeux agrandis par une peur qu’il ne pouvait plus masquer.
Jane relâcha sa prise, puis s’approcha lentement de lui, jusqu’à ce que leurs visages ne soient séparés que de quelques centimètres.
-
Vous pensez être courageux en niant l’évidence, Erik ? Vous êtes tous les mêmes… insouciants jusqu’à l’irresponsabilité alors que le monde s’effondre autour de vous. Lorsque la difficulté arrive ou qu’une figure d’autorité se dresse, vous fuyez. J’ai survécu à bien des guerres et à bien des épreuves ; croyez-moi, j’en sais plus que vous ne pourriez l’imaginer. J’ai gardé un œil sur vous et votre frère depuis votre naissance, et tout ce que vous faites, c’est gaspiller votre potentiel dans une existence frivole. Quel gâchis… je pensais que vous valiez mieux.
Erik repensa aussitôt à Wilhelm, son jeune frère qu’il n’avait pas revu depuis des années. C’était l’échec de sa vie, son plus grand regret : celui de n’avoir pas su le protéger durant leur fuite de NickroN. Wilhelm avait certainement été rattrapé, puis renvoyé de force en Suède auprès de leur mère. Erik n’avait rien pu faire. Ce souvenir douloureux le frappa de plein fouet et le désarma de nouveau.
-
Arrêtez de jouer les mères moralisatrices ! Je fais ce que je veux, je n’ai de compte à rendre à personne !
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Tiens donc. Mère de substitution, alors que j’essaie de remettre les variants sur le droit chemin, répondit-elle avec un voile de mystère dans la voix. Vos tours de télépathie vous ont permis de survivre jusqu’ici, mais n’y comptez plus. Regardez avec quelle facilité je vous ai extirpé de votre vie insignifiante. J’espérais que vous seriez un défi, malgré toutes mes précautions. Vous êtes un idiot, Erik, et vous finirez par céder, comme tous les autres. Je connais votre plus grande peur.
-
Vous racontez n’importe quoi. Vous voulez juste me faire flipper et me prendre pour un con, balbutia-t-il, tentant de se rassurer.
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Dans ce cas, vous ne verrez aucun problème à ce que je m’absente… en éteignant cette lampe… ? chuchota Jane à son oreille.
Les yeux d’Erik s’écarquillèrent, figés. Sa terreur la plus profonde venait d’être évoquée. Il souffrait d’une nyctophobie sévère qui l’empêchait de dormir sans lumière. Dans l’obscurité, ses crises d’angoisse devenaient incontrôlables, et son don virait parfois à l’état de danger pur.
-
Oh non, pas ça..., gémit-il, lèvres tremblantes, les yeux rivés sur la lampe.
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Je n’hésiterai pas à vous plonger dans le noir pendant plusieurs jours si vous ne vous montrez pas plus… coopératif.
Cette phobie le hantait depuis l’enfance, mais il l’avait toujours gardée secrète, de peur d’être perçu comme un faible. Désorienté, Erik fouillait sa mémoire, incapable de se souvenir qui était cette femme, ni comment elle pouvait connaître son nom… et surtout sa peur la plus intime. L’effroi se lisait sur son visage, l’ayant réduit au silence, impuissant, comme lors de la torture mentale que Yojé Ahinilla lui avait jadis infligée pour le forcer à affronter ses démons.
Jane saisit son menton, et des larmes se mirent à dévaler ses joues.
-
Regardez bien mon visage, Erik. Vous n’avez pas besoin de télépathie pour comprendre que tout ce que je viens de dire est la stricte vérité. Vous refusez d’y faire face !
-
Foutez-moi la paix ! Je ne vous suivrai pas !
Jane se retourna soudainement. Glaciale, méthodique, elle s'empara d'un rouleau de ruban adhésif et se dirigea vers son otage.
-
Qu’est-ce que vous faites ?! demanda-t-il, de plus en plus inquiet. Non ! À l’aide ! Sortez-moi de là ! Mmmh ! hurla Erik, son cri brutalement étouffé par l'adhésif.
-
Vous allez recevoir une leçon que vous n’êtes pas près d’oublier.
Elle plaça une chaise juste en face de lui, s’assit, et le fixa en silence, son visage figé, impassible. Erik, fou de rage, tentait de vociférer des insultes à travers le ruban, mais ses protestations n’étaient plus que des gémissements sourds. Pour l’intimider davantage, Jane posa un doigt sur l’interrupteur de la lampe, jouant avec ses nerfs en laissant planer un suspense insoutenable, seul troublé par les halètements paniqués du jeune homme.
Les yeux d’Erik restaient rivés sur la lumière qui, par moments, vacillait dangereusement. Il bougeait la tête dans tous les sens, cherchant désespérément un moyen de s’échapper. Ses nerfs finirent par lâcher. Démuni, il ferma les yeux pour retenir les larmes qui menaçaient de couler.
Jane, toujours imperturbable, brisa enfin le silence, visiblement prête à entamer la suite de son plan.
-
Il est temps, Erik.
Le jeune homme gémissait, implorant mentalement qu’elle arrête. Il commençait à réaliser toute l’ampleur de sa menace, et son anxiété atteignait un point de non-retour. Il savait qu’en l’absence de substances pour anesthésier ses perceptions, il lui serait presque impossible de contenir les émotions des autres ou de canaliser ses propres pensées.
Ses souvenirs, sa peur, ses instincts de survie tourbillonnaient dans sa tête comme une tempête enragée.
D’un geste sec, Jane plongea la pièce dans une obscurité totale. Pris de panique, Erik sentit que le blocage de son don télépathique venait de céder. Il tenta désespérément de capter une pensée, un indice dans l’esprit de Jane. Mais son propre esprit, terrifié par le noir absolu, se heurta à une forteresse impénétrable. Elle était bien trop puissante pour qu’il puisse l’influencer.
***
Soudain, dans cette stase psychique, une vision surgit : Erik se retrouva au cœur d’un champ de bataille ancien. Deux armées s’affrontaient dans un chaos sanglant. Des tirs, des sabres, des chevaux, des canons ; l’air était saturé de fumée, de cris et de boue. Des cadavres jonchaient le sol. Un tir l’envoya violemment au sol.
Tout semblait trop réel. Pris de panique, Erik se releva, courant vers un quartier général où des soldats ignoraient sa présence. Il y découvrit une femme et un homme moustachu, vêtu d’un costume orné, debout devant une carte militaire. Un frisson le parcourut : il avait déjà vu leurs portraits dans les œuvres de Bertha Valerius à la cour de Suède, vers 1870. C’était impossible. Tentant de fuir, il fut arrêté par Jane, qui lui saisit le bras.
Un flash blanc. Erik vit Jane et d’autres personnes dans une cellule lugubre, autour d’un adolescent blond à demi-nu, gravement blessé. Son visage et son torse portaient les traces de coups. Jane, effondrée, répétait en larmes qu’elle l’aimait. C’était Lucas.
-
Respire… je t’en supplie, reste avec nous ! hurlait-elle.
-
Il faut l’emmener, dit Joy Will. J’ai stoppé l’hémorragie, mais ça ne tiendra pas longtemps.
-
Karl, prends-le, ordonna Yojé. Ce spectacle nourrissait sa rage et son désir de justice.
-
Tiens bon, ça va aller, souffla Karl à Lucas.
Erik, bouleversé, ne supportait plus cette douleur.
-
Arrêtez ! Je vous en supplie ! J’ai trop mal !
-
Pas question, répondit Jane.
Elle l’entraîna dans un autre souvenir. Dans une chaumière, Jane et son époux pleuraient en silence leur bébé décédé. Un prêtre bénissait le corps. Erik fut submergé par la rage en voyant le visage flou de l’homme. Un flash blanc suivit.
Ils étaient à présent dans une pièce sombre. Jane fixait un écran où défilaient des vidéos insoutenables : des variants torturés par la BMRA, mutilés, exécutés. Erik tenta de détourner les yeux.
-
Non… je ne veux pas voir ça ! hurla-t-il.
-
Vous allez regarder jusqu’au bout, petit effronté. Vous ne pourrez plus nier la vérité.
Il tremblait, submergé par la nausée. Les images défilaient : femmes, enfants, vieillards massacrés. Puis, d’autres visions s’enchaînèrent. Jane discutait avec les membres de HOPE. Elle ne lui avait rien caché. Tout était vrai.
La scène suivante le plongea dans les égouts de Los Angeles, lors d’une fuite éperdue avec Andras, Lydia, Walter et Jane. Ils fuyaient des créatures envoyées par l’agence. Erik, paniqué, trébucha. L’odeur, la peur, l’obscurité le paralysaient tandis que les bêtes passaient au-dessus de lui.
Enfin, un dernier flash. Un brouillard épais. Des cris d’enfants : « Maman ! », « Papa ! », « Pierre ! », « Le fléau des enfers ! », « Asmodée ! » Une douleur indicible l’envahit, suivie d’une lumière. Il crut voir Lucas, utilisant son don dans un couloir sombre, entouré d’autres jeunes. Tout devenait flou.
La stase s’effondrait.
***
Revenant peu à peu à la réalité, Erik transpirait abondamment. Des larmes roulaient sur ses joues, et son corps tout entier restait paralysé sous le poids des émotions vécues. Encore sous le choc, il tremblait, incapable de bouger, tandis que Jane rallumait la lampe et retirait l’adhésif de sa bouche. La pression psychologique continuait de le submerger.
Sans un mot, elle sortit de sa poche une petite seringue contenant un liquide opaque. L’attitude désinvolte d'Erik avait disparu, remplacée par une vulnérabilité totale. Grâce à son don, il savait déjà ce que contenait l’injection, ayant sondé l’esprit de Jane.
-
Non, pas de calmant, s’il vous plait !
-
Vos capacités sont remarquables, Erik, mais vous manquez cruellement d'expérience et de contrôle.
-
Aidez-moi, c’est trop difficile à supporter ! Je suis désolé de ne pas vous avoir crue... Je vous en supplie, ça fait trop mal !
Jane lui posa une question en suédois, sa langue natale. Erik ferma les yeux pour se recentrer avant de répondre.
-
Oui, murmura-t-il, difficilement.
-
Très bien, Erik. C’est une sage décision de votre part. Ensemble, nous ferons tomber la BMRA.
-
Oui, mais seulement si vous promettez de me protéger… et de m’aider à retrouver mon frère, ajouta-t-il d’une voix haletante.
-
Qu'il en soit ainsi. Je vous protégerai. Mais je ne peux vous garantir quoi que ce soit pour votre frère Wilhelm, répondit-elle gravement. En retour, j'attends de vous de la loyauté et une totale discrétion sur certains aspects de ce que vous avez vu dans mon esprit. Si vous trahissez cette confiance...
Erik acquiesça, conscient qu’elle n’hésiterait pas à le tuer s’il révélait la moindre information. Il reprit faiblement :
-
Vos enfants… Vous avez tant souffert…
-
Vous porterez ma malédiction empathique pour un temps, jusqu'à ce que votre douleur s’apaise. Ce "cadeau" vous aidera à gérer vos émotions.
Elle sortit alors un bandeau, apparemment ordinaire, mais conçu pour bloquer les signaux télépathiques grâce à une technologie avancée développée par Ahinilla Corp. Elle le plaça autour de la tête du jeune homme, lui donnant une allure encore plus juvénile. Aussitôt, Erik cessa de percevoir les émotions de Jane, même s’il sentait encore quelques réminiscences, des impressions et flashs persistants, difficiles à effacer. La lumière douce de Lucas restait son seul réconfort.
La pression retombant peu à peu, il parvint enfin à se calmer.
-
Ces casques anti-télépathie sont rares, et les bloquants à long terme ne sont pas sans risques. Ce bandeau vous aidera à maîtriser votre don et à éviter d’être submergé. Vous pourrez le porter la nuit pour apaiser votre nyctophobie et ne pas ressentir les émotions de vos futurs compagnons. Sauf, bien sûr, si je vous le demande. Une de mes connaissances travaille à la conception d’un brouilleur télépathique plus discret. En attendant, vous devrez vous exercer, tant dans la maîtrise de votre don que dans le renforcement de votre condition physique.
-
Vous voulez que j’aide Sidonie, c’est bien ça ? Je me souviens d’elle, maintenant…
Jane esquissa un sourire énigmatique.
-
C'est grâce à Sidonie si vous êtes toujours en vie. Elle a prévenu Lucas de l'attaque imminente de la BMRA. Ainsi, vous, votre jeune frère et mon descendant avez pu fuir.
-
Je… je ne savais pas, murmura-t-il, déconcerté.
-
Sachez que je tiens toujours mes promesses. Je n’ai pas seulement besoin de vous pour vos capacités de télépathe. Une autre tâche vous attend également, et vous y parviendrez plus aisément que moi, répliqua-t-elle en essuyant les joues d’Erik avec un mouchoir. Ne reparlez jamais de cela. Ni avec moi, ni à personne. C’est compris ?
Erik hocha la tête. Il savait que Jane ne plaisantait jamais lorsqu’elle évoquait ses exigences.
-
Pourquoi m’avoir infligé toute cette souffrance ? demanda-t-il, la voix encore tremblante.
-
Je voulais vous montrer ces souvenirs pour que vous compreniez le prix de la vie… et les sacrifices nécessaires pour la préserver.
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Ils ont tant souffert. Et Lucas… je ne savais pas ce qu’il avait enduré, sanglota-t-il, toujours bouleversé par les émotions ressenties.
-
Maintenant, vous savez tout.
Erik, secoué, portait encore les échos du passé de Lucas et de Jane. Cette dernière enfila une veste chaude, puis se tourna vers lui, son nouveau protégé.
-
Une dernière chose, Erik. Ne gâchez pas cette chance. Vous cesserez vos excès et votre insouciance en vous engageant pleinement dans notre combat contre la BMRA. Je me suis engagée à vous prendre sous mon aile, mais il vous faudra faire des efforts pour mériter cette faveur. Il en va de votre vie… et de la nôtre.
-
J’ai compris Jane, je vais m’adapter…
-
Ravie de l’entendre. Habillez-vous et rejoignez-moi dans la voiture. À l’extérieur, vous porterez le prénom de Tobias.
-
Et mes parents ?
-
Votre nouvelle famille, c’est HOPE, maintenant. Laissez le passé derrière vous, Erik. Ne tardez pas.
Elle déposa sur ses genoux des vêtements prévus pour lui, ainsi qu’un petit sac contenant quelques affaires personnelles récupérées par Andras lors de son enlèvement. Avec une précision glaciale, elle découpa les liens d’Erik à l’aide d’un couteau. Bien qu’encore secoué par cette expérience, il s’habilla rapidement pour rejoindre le groupe qui l’attendait dans le véhicule.
Il connaissait désormais leurs prénoms véritables, et leurs dons. Lydia lui adressa un sourire de soulagement, malgré la fatigue visible sur son visage. Erik sentait qu’il pouvait lui faire confiance, mais restait méfiant envers Andras et Walter, toujours muets et impassibles. Quant à Jane, il osait à peine la regarder.
Grâce au bandeau anti-télépathie, il put enfin profiter d’un calme profond durant le trajet. Coupé des émotions envahissantes, il s’abandonna au silence. Jane et Andras occupaient les sièges avant, tandis que Lydia et Walter se tenaient à ses côtés, à l’arrière. Après plusieurs kilomètres, Jane esquissa un sourire, discrètement satisfaite.

Jane

Sarah

Sidonie

HOPE

Lucas

Illyria
Année 2116 | 29 novembre, 9 h 30 – Site Alpha, Santa Monica, Los Angeles - Californie
Tous les résidents de HOPE restaient reclus, abattus par la mort de Cassandre et de Martha. Cela leur rappelait à quel point ils étaient vulnérables, eux et leurs proches, et que la vie ne tenait qu'à un fil. Le désespoir de Martha, sa colère mêlée à une profonde tristesse, s'était gravé en eux juste avant qu'elle soit exécutée par le robot sous les ordres de HOPE. Même si l'intelligence artificielle agissait dans l'intérêt des variants, elle ne pouvait contrevenir aux ordres et aux règles établis par plusieurs protocoles.
Même Illyria se posa des questions, son esprit rongé par l'inquiétude de voir son fils exécuté s'il n'obéissait pas à son ancêtre. Mais elle ne se laissa pas submerger par le désespoir. Elle remplissait le rôle de mère de substitution pour chacun, hormis Sarah, qui demeurait silencieuse, accomplissant ses tâches d’analyse comme un automate dénué d’émotions.
Lucas se dirigea vers la salle de bain et s’y enferma, désireux de se retrouver seul pour évacuer ses émotions. Il jeta ses vêtements au sol, comme s’il pouvait se laver de ses tourments, oublier ne serait-ce qu’un instant toutes ces morts, toutes ces souffrances.
Il laissa l’eau chaude couler sur sa nuque, sur son dos, apaisant temporairement son corps, même si son esprit, lui, restait tourmenté. HOPE, attentive, observait son état, craignant qu’il ne commette un geste désespéré. Finalement, elle apparut discrètement à ses côtés, son visage seul visible pour ne pas le brusquer. Il sursauta, dégainant l’arme qu’il gardait toujours à portée de main.
-
Qu’est-ce que tu veux, HOPE ? demanda-t-il, suspicieux.
-
J’aimerais vous aider, Lucas Roselys. Mes capteurs indiquent que vous êtes déprimé et que votre rythme cardiaque s’accélère, répondit-elle d’une voix douce.
-
Disparais ! lança-t-il, d’un ton colérique et direct. Tu as tué Martha !
HOPE respecta sa demande mais ajouta doucement :
-
Je ne suis pas autorisée à vous en donner les raisons. Madame Roselys le fera à son retour.
-
Et si elle ne revient jamais ? Serons-nous forcés de rester ici jusqu’à la fin ?
-
Gardez espoir, Lucas. Je suis consciente que la mort de Martha fut soudaine et inattendue, mais elle a proféré des menaces incompatibles avec nos règles établies ici.
-
Et si je désobéis, je subirai le même sort ? demanda Lucas, visiblement agacé.
-
Vous n’êtes pas violent, monsieur Roselys. Martha l’était, et seule madame Roselys savait contenir cette fureur qui l’animait. Je veux que vous sachiez que je suis là si vous souhaitez parler ou vous confier. Je ne vous jugerai pas, et je ne vous dirai pas que vous avez tort d’être en colère ou déprimé, même contre ma décision de neutraliser Martha. Sachez simplement que vous n’êtes pas seul ici.
Lucas ne répondit plus. Il coupa l’eau, se sécha et noua une serviette autour de sa taille. Il poussa un soupir de lassitude.
Après s’être vêtu, il rejoignit sa mère, qui se tenait devant la fenêtre, observant les étoiles d’un ciel parfaitement dégagé. La Lune, en revanche, avait disparu. Sur une commode, un plateau attendait avec deux assiettes. Illyria avait cuisiné son plat préféré : un bœuf bourguignon accompagné de gratin dauphinois. Elle n’aimait pas les repas synthétisés par les robots, préférant le soin qu’un vrai cuisinier apportait à la préparation des aliments.
L’odeur familière éveilla un début d’appétit chez Lucas, même si la culpabilité continuait de lui nouer l’estomac. Son regard trahissait encore son trouble intérieur. Elle se tourna vers lui, les yeux brillants d’une fierté maternelle. Ils s’assirent et commencèrent à manger en silence. Lucas picorait à peine son assiette, incapable de se détacher de ses pensées.
-
Je n’ai pas très faim… je n’ai pas la tête à ça ce soir.
-
Allons, Lucas, tes yeux disent le contraire. Rester l’estomac vide ne va rien arranger.
-
Pourquoi tu insistes, maman ? J’ai dit que je n’avais pas faim. Je suis fatigué…
La voix d’Illyria se fit soudain plus ferme, prenant son fils de court.
-
Depuis que nous nous sommes retrouvés, je te l’ai répété maintes fois : tu n’es pas responsable de tout ce qui arrive. J’admire ta sensibilité, mais cela ne t’autorise pas à porter le fardeau du monde sur tes épaules. Nous avons tous essayé de raisonner Martha. Nous aurions pu l’aider, mais elle a choisi un chemin tortueux. Personne ne sait ce que la vie nous réserve, c’est pourquoi je te demande de profiter de ce repas, avec moi, comme si c’était le dernier. Je ne resterai pas ici indéfiniment.
Lucas n’osa pas penser à cette dernière phrase. Elle lui était inconcevable. Il resta silencieux, conscient de la justesse de ses mots. Lentement, il revint à table, reprit ses couverts, et chaque bouchée fut empreinte d’un malaise palpable, ne faisant qu’augmenter le dégoût qu’il éprouvait envers lui-même.
Et pourtant, une part de lui appréciait ce repas chaleureux, souvenir d’enfance réconfortant. Sa mère l’observait avec tendresse, les yeux humides d’émotion, touchée par le jeune homme soucieux et sensible qu’il était devenu.
Ils débarrassèrent la table ensemble, firent la vaisselle à la main. La maison était plongée dans une douce pénombre. Une fois tout rangé, ils gagnèrent la chambre. Lucas s’installa sur le petit divan, mais Illyria refusa catégoriquement qu’il y dorme. Elle insista pour qu’il prenne le lit. Surpris, Lucas estima qu’il était normal de laisser à sa mère l’endroit le plus confortable. Mais elle assura qu’elle dormait peu et aimait veiller tard pour lire de vieux livres en papier.
Avec une tendresse infinie, elle embrassa son fils, déjà allongé, les yeux mi-clos. Elle lui caressa le front et lui chuchota que tout irait mieux. Blotti dans la chaleur moelleuse de la couette, Lucas s’endormit rapidement.
Illyria l’observa un instant, les yeux brillants d’émotion, bouleversée par l’amour immense qu’elle éprouvait pour lui et la chance de le savoir en sécurité. Lorsqu’elle fut certaine qu’il dormait profondément, elle descendit au salon et s’installa dans un fauteuil, savourant le calme de cette nuit précieuse. HOPE leur avait redonné quartier libre, mais uniquement à l’intérieur des lieux.
Son livre entre les mains, elle caressa la reliure en cuir, appréciant la sensation tangible de ce monde ancien, bien différent des tablettes holographiques. Elle aimait lire « à l’ancienne », ressentant un lien intime avec chaque mot, chaque page. Une vague d’émotion la submergea en pensant à la chance d’avoir pu embrasser et veiller sur son fils ce soir. Elle mesurait la fragilité de la vie. Et alors qu’elle songeait à cette jeune femme brutalement privée de sa sœur, elle se sentit bouleversée.
***
Sidonie quitta le lit d’Hannah, restée à ses côtés dans l’espoir de la réconforter après la perte de leur camarade. Mais Hannah était inconsolable, incapable de faire face à l’injustice et à la violence de ce deuil. Le sommeil l’avait finalement gagnée malgré ses larmes, et Sidonie profita de ce moment de répit pour quitter la chambre et descendre silencieusement les escaliers.
En bas, elle trouva Illyria confortablement installée dans un fauteuil, la télévision holographique éteinte, tandis que le feu crépitait doucement dans la cheminée. Les nuits devenant plus fraîches, la chaleur d’un foyer avait quelque chose de réconfortant et essentiel. Seule une petite lampe diffusait une lueur douce, suffisante pour permettre à Illyria de lire un livre en français consacré à la Révolution de 1789. Elle leva les yeux en entendant les pas légers de Sidonie. Cette dernière, en croisant le regard de la mère de Lucas, fut traversée par une sensation étrange, un trouble diffus qu’elle ne parvenait pas à expliquer.
-
Sidonie ? murmura Illyria.
-
Oui ? répondit-elle, comme tirée de ses pensées.
-
Puis-je vous parler quelques minutes ?
-
Bien sûr.
Illyria redressa légèrement son buste, tournant son corps vers Sidonie qui venait de s’asseoir à ses côtés. Elle referma son livre avec précaution, le posant délicatement sur la table basse devant elle.
-
Je sais qu’il est tard, alors je serai brève. Je voulais vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour Lucas.
-
C’est un ami, vous savez. Nous nous sommes connus à NickroN.
Un sourire, discret mais sincère, se dessina sur le visage d’Illyria.
-
Puis-je vous demander un service, pour le temps où vous serez encore ici ? Gardez un œil sur Lucas, après mon départ.
-
Je ferai de mon mieux. Vous ne comptez pas rester ? demanda Sidonie, surprise.
-
Jane en a décidé autrement, malheureusement.
-
Cette femme n’a pas de cœur, lâcha Sidonie avec amertume, en faisant référence à l’ancêtre directe d’Illyria. Cette dernière ne prit pas offense.
-
Et pourtant, c’est grâce à vous deux si je peux passer quelques jours avec mon fils, sain et sauf. Je comprends que vous ne portiez pas Jane dans votre cœur. À votre place, je ressentirais sans doute la même chose, Sidonie. Je vous en prie, veillez sur lui.
Illyria, touchée par la détermination tranquille de la jeune femme, crut reconnaître en elle un reflet de sa propre jeunesse. Son regard se posa un instant sur le pendentif que portait Sidonie, fascinée par la petite montre à gousset richement ornée.
-
Votre pendentif est magnifique, dit-elle sincèrement.
-
Merci. C’est le seul trésor que je possède, répondit Sidonie.
Illyria, visiblement soucieuse, hésita un instant avant de poser une question plus personnelle.
-
Comment va Hannah ? La mort de Martha l’a beaucoup troublée.
-
Je pense qu’elle a besoin de temps, comme nous tous. HOPE devra répondre de ses actes lorsque Jane reviendra ! s'énerva Sidonie.
Illyria s’apprêtait à relancer la discussion, cette fois à propos des sentiments d’Hannah envers son fils, mais la conversation fut interrompue par Sarah. Elle sortait du laboratoire, traversant le salon d’un pas mesuré, lançant un regard neutre à Sidonie avant de se diriger vers la cuisine pour se servir un verre d’eau. Sans attendre, Sidonie s’excusa auprès d’Illyria et la suivit, déterminée à obtenir des réponses.
-
Sarah.
-
Oui ?
-
As-tu obtenu des nouvelles de Jane et son groupe ?
-
Malheureusement, non. HOPE n’a pas encore réussi à rétablir le contact. Il faut attendre.
-
Elle ne t’a rien dit à mon sujet ? Qu’elle devait m’aider à retrouver quelqu’un ?
-
Non, Sidonie, répondit Sarah. Il va falloir qu’elle revienne pour ça.
-
Putain ! s’énerva Sidonie.
Dans un accès de colère, elle brisa son assiette contre l’évier, s’ouvrant la main sur un éclat. Sarah réagit immédiatement, attrapant un chiffon dans un tiroir pour lui permettre de comprimer la plaie. En observant le sang, elle réalisa que Sidonie n’avait encore subi aucun test sanguin depuis son arrivée, et que la jeune femme évoquait rarement sa famille, un détail qui l’intriguait de plus en plus.
La blessure, heureusement, était superficielle. Sarah désinfecta la plaie avec soin et appliqua un pansement avec délicatesse.
-
Merci, Sarah. Dis-moi… est-il déjà arrivé qu’HOPE exécute un résident ?
-
Une fois, il me semble, répondit Sarah, hésitante. J’avoue que des choses bizarres se passent depuis quelque temps avec HOPE, et je ne sais pas comment réagir. Seule Madame Jane est habilitée à contrôler l’intelligence artificielle, mais je trouve surprenant que tu aies pu suspendre un de ses protocoles.
Sidonie n’y avait pas songé. Et Sarah avait raison.
-
Je n’ai pas réfléchi. J’ai juste fait ce qu’il fallait pour éviter un drame. Mais au final, le résultat est le même. Martha est morte. Après… je sais bien que tu ne la portais pas dans ton cœur, et elle non plus.
-
Mépriser quelqu’un ne veut pas dire qu’on souhaite sa mort. Oui, Martha a voulu me tuer. Je sais que c’est étrange à dire, mais HOPE a probablement pris la bonne décision. Martha était trop instable, rongée par le chagrin. On ne pouvait pas la laisser libre.
-
Justement, Sarah… nous aurions pu la sédater, non ?
-
Tout s’est passé si vite, Sidonie. Sincèrement… à moins d’utiliser ton don temporel pour revenir en arrière, ce que je doute, nous ne pouvons plus modifier ce qui s’est passé.
-
Oui, c’est vrai, admit-elle dans un murmure. Merci, Sarah.
***
Le soir du 29 novembre, Jane et son groupe revinrent au site Alpha, accompagnés du jeune Erik Olsson. Il portait le nom d’Olsson, hérité de son père adoptif, Philip, l’époux officiel de sa mère, Victoria de Suède. Ce dernier avait été assassiné sans le moindre scrupule par Magnus Erland, père biologique d’Erik et de Wilhelm, sur ordre de la reine déchue. Philip n’avait jamais su incarner une figure paternelle rassurante aux yeux d’Erik, et seul son nom lui servait désormais de rempart, un masque destiné à dissimuler son identité royale au reste du monde.
À mesure qu’ils approchaient du site Alpha, Lydia sentit croître une tension sourde. La silhouette du grand portail de la villa, éclairée par des néons holographiques, se dessinait dans l'obscurité balayée par la pluie. Erik, quant à lui, reconnaissait déjà les lieux, ainsi que toutes les personnes présentes. Il les avait explorés à travers les visions imposées par Jane, durant la terrible épreuve mentale qu’elle lui avait infligée.
Ils pénétrèrent dans la maison bercée par la tempête qui secouait la côte ouest de la Fédération Unie. Illyria dormait paisiblement sur le canapé, un livre à la main. Jane aperçut le titre de l’ouvrage, ce qui raviva en elle de lointains souvenirs de la Révolution française. Les images de la Terreur et des guerres remontèrent brièvement, avant qu’elle ne les refoule pour se recentrer sur le présent et l’unité fragile de HOPE.
Aucun d’eux ne fut autorisé à regagner sa chambre. HOPE entama immédiatement une série d’analyses médicales poussées sur chaque résident de retour. L’IA tenait à écarter toute menace potentielle, traquant la moindre contamination biologique pouvant résulter de leur fuite dans les égouts. Cette batterie de tests, rigoureuse et invasive, s’étendit jusqu’à l’aube. Épuisés, tous s’endormirent à l’infirmerie en quarantaine, dans l’attente des résultats garantissant leur sécurité.
Peu après, Jane reçut un rapport détaillé de HOPE concernant les événements vécus par le groupe de Sidonie, ainsi que la mort de Martha. Elle ne fit aucun commentaire, se contentant d’une posture glaciale et distante. Aucune larme, aucun mot. Juste le silence d’une femme aguerrie, qui avait trop souvent côtoyé la perte.
La disparition d’Hiro et de Martha menaçait de faire basculer certains résidents dans l’abattement. Jane le savait. Le désespoir pouvait ronger une communauté de l’intérieur, comme un poison lent. Elle-même avait déjà ressenti ce vide, à plusieurs moments de sa longue existence.
La matinée bien avancée, elle exigea que Sidonie vienne la voir dans sa chambre.
-
Bonjour, Sidonie.
-
Bonjour. Comment allez-vous ? demanda la jeune femme d’une voix claire.
-
Plutôt bien, vu les circonstances, et malgré mon âge, répondit Jane avec un sourire.
-
J'ai honoré ce que vous m'aviez demandé : ramener Lucas sain et sauf à HOPE. À votre tour de tenir parole, Jane.
Jane la fixa avec amusement.
-
Quelle détermination. Vous allez droit au but, et j'ai très peu de temps. Asseyez-vous et servez-vous.
Soupirant, Sidonie prit place face à Jane, qui but une gorgée de café dans une délicate tasse en porcelaine de Bayeux décorée de fleurs. Elle reposa ensuite la tasse, puis s’essuya la bouche avec le raffinement d’un autre siècle, tandis que Sidonie, de plus en plus agacée par son calme déconcertant, peinait à contenir son impatience.
-
Bien, je ne vais pas vous faire languir plus longtemps. J’ai tenu parole, Sidonie. Vous n’aurez pas besoin d’aller bien loin pour retrouver Kahlan. Votre compagnon se trouve ici, dans la salle Enigma.
-
Quoi ?! hurla Sidonie, figée.
-
Andras a bravé de nombreux dangers pour retrouver Kahlan, retenu depuis plusieurs mois dans le centre de reconditionnement d’Atlanta.
-
Je n’arrive pas y croire… C’est impossible, balbutia Sidonie, plaquée sur son fauteuil. Je dois le voir, toute de suite.
Son esprit refusait d’intégrer le choc de cette révélation.
-
Je crains que ce ne soit pas possible pour l’instant, tempéra Jane.
-
Quoi ? Que voulez-vous dire ?
-
Kahlan est plongé dans un coma artificiel. Selon mes informations, il a subi de nombreuses tortures après avoir été capturé. Voici pourquoi la BMRA vous connaît, ma chère. HOPE, montre-nous un aperçu en image de la salle Enigma.
-
Bien, madame, répondit l’intelligence artificielle.
L’écran s’illumina soudain, affichant les images d’une caméra de surveillance montrant Kahlan allongé sur un lit, inconscient. Ses poignets et ses pieds étaient sanglés, tout comme son torse et ses genoux, afin d’éviter toute tentative de mouvement brutal ou de violence inconsciente. Sidonie, horrifiée, sentit les larmes affluer, mais elles restèrent bloquées dans ses yeux, figées dans un trop-plein de douleur silencieuse. Elle porta une main devant sa bouche pour retenir un cri, tremblante, figée, tandis que Jane, froide et impassible, observait sa réaction avant d’ordonner à HOPE de couper les images afin de poursuivre leur entretien. Sidonie, incapable de détourner le regard, demeura paralysée.
-
Je comprends votre désarroi, Sidonie. Tobias, ou devrais-je dire Erik, vous aidera à comprendre pourquoi votre compagnon refuse de se réveiller. Le garçon dont je vous parle était présent avec vous à NickroN, il est télépathe.
Sidonie restait hébétée, incapable de formuler la moindre pensée cohérente, jusqu’à ce qu’elle reprenne finalement la parole.
-
J’aurais dû le sauver moi-même, murmura la jeune femme, désemparée.
-
Vous vous trompez en cherchant à jouer les héroïnes. Vous n’auriez pas pu le faire seule, et le temps était compté. Vous faites partie intégrante de ce projet, désormais. Je ne peux pas laisser vos émotions obscurcir votre jugement, surtout en mission. Vos collègues ont fait état de dysfonctionnements à cause d’une utilisation intensive de votre don. Vous allez devoir vous entraîner en canalisant votre flux temporel, avant qu’il ne soit trop tard.
Un silence tendu s’installa entre elles, comme suspendu dans le souffle d’une tempête intérieure. Sidonie, avec difficulté, reprit la parole en contenant ses émotions.
-
Laissez-moi le voir, Jane. Je ne veux pas vous supplier…
-
Dès que le médecin aura donné son feu vert, Erik vous aidera à sonder l’esprit de Kahlan. Mais je ne peux vous garantir ses réactions, ni s’il reviendra sans aucune séquelle de ces mois de tortures que lui a infligées la BMRA. Vous comprenez pourquoi nous devons lutter contre cette agence : elle ne reculera devant rien pour nous exterminer. Je souhaite maintenant aborder le sujet de Lucas, ce bel idiot, fit-elle avec dédain.
Sidonie ne put retenir une expression de dégoût, tant sur son visage que dans sa voix.
-
Pourquoi êtes-vous si dure avec lui ? demanda-t-elle, révoltée.
-
Dure ? Je crois que nous avons déjà eu cet échange, Sidonie. Lucas va devoir s’expliquer, et je compte bien lui faire payer son impertinence. Je suis ferme, mais pas cruelle, contrairement à la BMRA. Je vais simplement veiller à ce que Lucas retrouve la voie qui lui est destinée.
-
À vos côtés, sous vos ordres, comme tout le monde ici. En fait, c’est ça votre pouvoir, à vous : manipuler et diriger chacun pour lutter contre cette fichue agence pour laquelle vous travaillez !
-
L’affection que je vous porte a ses limites, Sidonie. Un jour, peut-être comprendrez-vous…
Mais Sidonie demeura silencieuse. Peu importait ce qu’elle dirait désormais, Jane semblait toujours garder un coup d’avance, comme si chaque échange ne servait qu’à confirmer l’avance stratégique qu’elle maintenait. Elle se leva lentement de sa chaise et, d’un pas mesuré, rejoignit la fenêtre. Son regard se perdit dans les paysages battus par les vents de l’ouest, et sa voix s’assombrit dans l’ombre du silence revenu, comme si le ciel lui-même se refermait sur les vérités qu’elle détenait.
-
Méfiez-vous, Sidonie, la trahison n’est jamais bien loin avec de tels enjeux. Il est probable qu’un espion, au sein de HOPE, transmette des informations cruciales à la BMRA, confia-t-elle finalement.
-
Qu’attendez-vous pour démasquer ce traître ? Pourquoi pas Andras ?
-
Il est aisé de croire qu’Andras Visarin serait le traître parfait. Il est certes étrange, masqué et insondable, aussi piquant et vif que l’aigle surveillant les cieux. Je peux vous assurer qu’il est un allié fiable, à qui je pourrais confier ma vie sans le moindre doute. Ne prenez pas la rose qu’il vous a offerte comme une marque d’affection, ou une volonté cachée de s’attacher à vous. Il voue un immense respect aux femmes, et très peu d’hommes disposent d’une telle dévotion. Je vais poursuivre mes investigations, et je vous encourage à garder l’œil ouvert, Sidonie.
-
Et HOPE ? Elle a bien ordonné aux robots de tuer Martha, s'agaça Sidonie.
-
Je reviendrai sur ce sujet lors de la réunion, afin que les choses soient claires pour tout le monde, ma chère.
Sidonie ne pouvait accepter que Jane se défausse en invoquant la dangerosité de Martha. Mais elle savait qu'elle ne pourrait rien obtenir pour le moment. Elle s’apprêtait à quitter la pièce quand Jane lui posa une dernière question.
-
Que pensez-vous d’Hannah, Sidonie ? Répondez-moi simplement, avec sincérité.
-
Je la trouve avenante et gentille. Elle aime mettre les gens à l’aise, c’est une grande qualité. Elle a été très utile pour la mission, surtout quand elle a pris le rôle de ce type. Je ne m’attendais pas à un tel talent d’actrice. Par contre, elle semble très affectée par la mort d’Hiro et de Martha.
-
Et ses rapports avec Lucas ?
-
Je pense qu’elle l’aime bien…
-
Que voulez-vous dire par « aime bien » ? De l'affection ou une simple amitié ?
-
Difficile à dire. Elle veut prendre soin de lui, l’aider à retrouver confiance. Je ne crois pas que ce soit mauvais qu’ils soient amis, mais je me méfie des personnes qui veulent se montrer gentilles, répondit Sidonie avec fermeté.
-
Bien, vous pouvez disposer, conclut Jane.
Sidonie sortit de la pièce et aperçut Lucas, accompagné d’Illyria, qui attendait devant la porte. Elle s’approcha de lui. Il semblait tendu, comme incapable de dissimuler l’angoisse grandissante qui le rongeait à l’idée d’entrer. Cette entrevue, il la redoutait plus que tout, conscient que Jane ne lui pardonnerait sans doute pas aussi facilement ses années de silence et d’errance. Incapable de rester en place, il marchait nerveusement, n’écoutant plus vraiment les tentatives apaisantes de sa mère, absorbé dans le tumulte de ses pensées. Sidonie salua Illyria et Lucas d’un simple hochement de tête, puis s’éloigna sans mot dire vers sa chambre, laissant le jeune homme seul face à l’appréhension sourde qui lui nouait le ventre, comme si l’heure du jugement approchait et qu’aucune défense ne suffirait à atténuer la sévérité de ce qui l’attendait.
HOPE autorisa Illyria et Lucas à pénétrer dans la chambre de Jane, richement décorée. La dame française portait une longue robe de chambre en soie noire, ornée de motifs floraux dorés. Avant leur entrée, elle avait retiré toutes ses bagues et bracelets de sa main droite. Lorsqu’elle se tourna vers eux, Illyria lui adressa une légère révérence, tandis que Lucas, figé, détourna le regard, comme pour repousser cette confrontation inévitable.
Jane s’approcha lentement, savourant sa supériorité, tandis qu’Illyria, postée à ses côtés, brisa le silence glacial.
-
Mère, soyez indulgente...
-
Silence, Illyria, ordonna Jane, un index levé en signe d'autorité.
Jane tendit la main droite vers le jeune homme. Il savait ce que cela signifiait. En tant qu’ancien noble impérial et héritier des maisons Roselys et d’Artois, il se devait de saluer les dames en effectuant un baisemain. Hésitant, Lucas prit lentement la main de Jane et l’approcha de son visage. Contrairement à la légende populaire, les hommes n’effleuraient pas les mains des femmes de leurs lèvres – un geste considéré comme déplacé – ; ils les approchaient seulement, le regard baissé, sans un mot.
-
Regardez-moi dans les yeux, jeune homme, exigea Jane d’une voix ferme.
Un court instant, elle observa son visage incliné. Elle ressentit un soulagement furtif de le revoir sain et sauf, et remarqua combien il avait hérité de la beauté de sa noble lignée. Mais ce sentiment s’effaça bien vite, submergé par les souvenirs de ses erreurs passées, de ses choix égoïstes qui l’avaient poussé à fuir, à renier son nom et son destin.
Lorsque les yeux turquoise de Lucas croisèrent ceux de Jane, elle recula d’un geste sec et lui administra une gifle cinglante. Pris au dépourvu, il soutint son regard avec mépris et rage. Cette gifle, brutale, n’avait pas seulement frappé sa joue ; elle avait atteint son orgueil, fracassé son innocence. Illyria, peinée par cet accès de violence, posa une main réconfortante sur l’épaule de son fils, et il s’y accrocha, encore sonné par le choc.
-
Ça, Lucas Wyatt de Roselys, c’est pour ces années de silence et le temps précieux que tu nous as fait perdre. Comment as-tu pu nous infliger ça, à moi et à ta mère ?!
-
Je voulais juste vivre loin de vous ! protesta Lucas.
-
Silence ! Écoute-moi bien. Si tu tentes encore de t’enfuir, je te retrouverai, peu importe où tu te caches. Et, Dieu sait, je ne reculerai devant rien. On ne trahit pas impunément la première comtesse de Roselys. Je n’ai pas de temps à perdre avec des excuses. Nous menons une guerre qui exige courage, ténacité et loyauté. Fuir, c’est renoncer à ces valeurs. Et un Roselys ne fuit pas ses responsabilités. Ai-je été claire ?
Le jeune homme tremblait d’énervement et de rage. Tout son être semblait tiraillé entre haine et terreur, son regard jeté comme un défi muet. Il refusait de plier. Jane s’approcha encore, lui saisit fermement le menton.
-
Non, Mère, je vous en prie, arrêtez, supplia Illyria.
-
Votre fils ne mourra pas de ma main, Illyria. J'ai protégé, et je continuerai à protéger de lui-même s’il le faut. J’ai encore un minimum d’humanité pour mon sang et ma famille. Pour la dernière fois, Lucas Roselys, as-tu compris mon avertissement ?
-
Oui ! C’est bon, j’ai compris, vous avez gagné !
Jane ne plaisantait pas, et Lucas comprenait parfaitement qu’il ne valait mieux pas prendre cette menace à la légère. HOPE avait les moyens de le retrouver, où qu’il se cache.
Elle relâcha enfin son menton, et Lucas baissa les yeux, humilié, brûlé plus encore par l’humiliation que par la gifle. Illyria, impuissante, sentit grandir en elle une inquiétude sourde quant aux limites que Jane serait prête à franchir. Sous les apparences d’un amour familial, il y avait chez cette femme une autorité glaciale, une volonté inflexible qui confondait la loyauté avec la domination.
Lucas porta une main à sa joue rougie, encore douloureuse, tandis que Jane s’asseyait calmement au bord du lit, les observant tous deux avec une lucidité implacable.
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Laissez-nous seuls quelques minutes, Illyria.
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Croyez-vous que cela soit raisonnable ? demanda-t-elle, inquiète.
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Votre fils n’a plus rien à craindre de ma part pour aujourd’hui. Cela vous satisfait ? Sortez, maintenant.
Lucas la regarda sans mot dire, suppliant du regard sa mère de rester. Mais Illyria hocha lentement la tête, l’enjoignant à garder son calme. Lorsqu’elle referma la porte derrière elle, Jane continua de le fixer sans ciller, comme si elle cherchait à décrypter ses pensées les plus enfouies. Le silence, oppressant, semblait s’étirer à l’infini, jusqu’à ce que Lucas se décide à le briser.
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Je savais que vous alliez m’en faire baver…
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Petit ingrat, répliqua Jane avec agacement. J’aurais préféré te voir gagner en assurance plutôt que de te morfondre dans ce stupide complexe d’infériorité. Tu pourras me reprocher bien des choses, me haïr si ça te chante, mais tu restes un Roselys, que tu le veuilles ou non. Tu as été immature et inconscient toutes ces années ! Considère cette gifle comme une indulgence ; il fut un temps où j’aurais pris d’autres mesures.
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Faites ce que vous voulez ! On m’a conditionné à vous obéir, après tout ! Au fond, vous ne m’avez jamais pardonné d’être né garçon, ni d’avoir tenté de fuir votre tyrannie !
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Comme c’est touchant, rétorqua Jane avec ironie. Pourtant, il va bien falloir que nous finissions par nous entendre.
Lucas la fixait, perplexe, mal à l’aise devant ce sourire glacé, trop satisfait pour ne pas dissimuler un nouveau piège.
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Comment voulez-vous que nous nous entendions, madame ? Nous sommes définitivement différents l’un de l’autre, car vous croyez sans cesse que je doive me battre contre le monde entier.
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Tu as certainement oublié de quelle famille tu viens, jeune homme, répliqua Jane, une teinte de nostalgie traversant brièvement sa voix. Certes, nos relations ont toujours été compliquées, mais je n’aurais pas pris autant de risques pour te retrouver si tu comptais si peu pour notre famille.
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Quelle famille, madame ? fit-il avec une pointe de cynisme. Elle est brisée, désormais. Si vous affirmez que je compte, alors laissez ma mère rester ici ! Pourquoi voulez-vous la faire partir ?!
La colère, d’abord contenue, surgit dans le regard de Lucas avec une intensité nouvelle. Une rage sourde bouillonnait sous la surface, encore bridée par le respect qu’il avait pour sa mère. Il aurait voulu hurler, frapper du poing, exploser, mais l’image d’Illyria, calme et douce lors de leur dernière soirée ensemble, le retint.
Jane le manipulait, il le sentait, et il ne supportait pas de voir sa mère piégée dans cette toile d’influence et de menaces, comme si elle n’était qu’un pion de plus dans la grande stratégie d’une comtesse dont le cœur semblait taillé dans le marbre. Elle ne le méritait pas.
Jane soupira, visiblement déçue par l’attitude de son descendant, qui refusait encore d’entendre raison.
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Ta mère, Illyria, est une femme douce et maternelle, peut-être même trop. Comment veux-tu grandir et affronter la réalité si elle te protège à la moindre difficulté, si elle excuse tous tes faits et gestes ? Tu es loin d’être innocent, Lucas Roselys. Tu as failli tomber dans les filets de l’agence.
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Inutile de me le rappeler, lâcha Lucas, en se remémorant sa séquestration à l’hôtel, trahi par Ethan, et les terribles événements qui avaient suivi.
Un sourire ironique se dessina sur le visage de Jane.
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Tu es trop naïf pour croire un instant que nous allons satisfaire tous tes caprices existentiels. HOPE n’est pas un moulin. J’ai déjà fait une énorme concession en acceptant la présence d’Illyria ici ; je ne pouvais l’empêcher de revoir son fils bien-aimé. C’est chose faite. Je te demande maintenant de me prouver ta valeur, et de montrer que tu es prêt, toi aussi, à faire des efforts dans notre lutte contre la BMRA. Tu es un adulte… avec une âme d’adolescent.
Lucas serra les poings, son visage crispé par la colère.
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e ne suis pas un soldat, Jane ! Peu importe ce que je dirai, vous n’en ferez toujours qu’à votre tête. Vous ne tiendrez jamais compte de ce que je pense ni de mes choix, comme tous les autres membres de la famille Roselys qui ont tenté d’échapper à votre emprise ! Qui vous dit que je veux me battre à vos côtés ?
Elle le toisa d’un regard impitoyable, dur et sans concession.
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Dois-je te rappeler que notre ennemi mortel ne reculera devant rien pour nous anéantir ?
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Encore cette histoire ! Vous n’en avez pas assez de vous battre contre le monde entier ?! répliqua Lucas, les yeux brillants de rage. Regardez NickroN. Eux non plus n’ont pas réussi à éviter la destruction. Ni Yojé, ni Karl, personne !
Mais Jane, imperturbable, répliqua avec une gravité glaciale.
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Je le sais fort bien. Et j’avais déjà averti le gouvernement de l’époque de l’échec inévitable d’un tel projet. Quant à notre ennemi, ne m’oblige pas à te rappeler ce qu’il t’a fait subir. Cet homme est toujours en vie, Lucas, et il ne reculera devant rien. Car aujourd’hui, il contrôle la BMRA.
Lucas s’immobilisa, sa colère suspendue un instant, comme foudroyé par la lucidité brutale de Jane, qu’il s’acharnait pourtant à rejeter. Le souvenir de l’homme qu’elle évoquait traversa son esprit tel un souffle glacé, le ramenant à des heures sombres qu’il aurait préféré oublier. Mais au lieu de céder, il se retrancha dans sa colère et son incompréhension face aux agissements de l’intelligence artificielle.
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Vous avez tué Martha, accusa-t-il sans trembler.
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Je n’ai tué personne, répondit Jane d’un ton sec. Elle a enfreint le protocole interdisant toute menace à l’intérieur de ce complexe. Je regrette sincèrement la perte de sa sœur, mais elle n’aurait jamais dû vous conduire auprès de sa famille, nécessité ou non. Martha a profité de cette mission pour tenter de se réconcilier avec sa mère, une femme instable et dangereuse, et elle n’a récolté que mort et désolation. Et Sidonie n’aurait rien pu changer.
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Je ne vous crois pas, rétorqua Lucas, résolu à lui tenir tête. J’en suis la preuve vivante. Vous êtes incapable de voir la souffrance d’autrui.
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Et toi, tu refuses de voir l’évidence. Tu nies la dangerosité de l’agence, le massacre des variants, et l’absolue nécessité de nous défendre !
Le jeune homme soupira en entendant, une fois de plus, ce discours apocalyptique et froidement survivaliste. Mais Jane poursuivit, implacable :
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Andras Visarin supervisera ton entraînement. HOPE t’apportera de plus amples explications sur nos missions, et sur le but que nous poursuivons…
Lucas fronça les sourcils, sceptique.
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Vous confiez mon entraînement à un meurtrier masqué ? Je vous pensais plus subtile.
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Merci pour le compliment. Et si je peux me permettre un conseil : évite d’user de la même insolence avec Andras, car il te le fera amèrement regretter. Obéis-lui, et je suis certaine que tu sauras te surpasser… retrouver ce courage qui te fait tant défaut. Le docteur Lydia Sorel te recevra pour suivre plusieurs séances psychologiques.
Elle soutint son regard, une lueur de froide détermination brillant au fond de ses yeux.
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Je suis heureuse de t’apprendre que Tobias Olsson se trouve ici, au site Alpha.
Lucas baissa la tête, se remémorant le garçon qu’il avait sauvé, avec son petit frère, en fuyant NickroN. Il ne s’attendait pas à retrouver son ancien et turbulent camarade de chambre dans un lieu aussi improbable. Il dissimula sa surprise, ainsi que la joie fugace qui monta en lui.
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Je suis content qu’il soit encore en vie.
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Il est la preuve que tu peux aider ton prochain. Tu n’as pas hésité à les sauver, lui et son frère, d’un sort effroyable. J’ai encore une question à te poser, Lucas, enchaîna Jane. Que penses-tu d’Hannah ?
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Elle m’a beaucoup aidé quand j’étais au plus mal, admit-il.
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Reste sur tes gardes, Lucas, prévint-elle. Je te conseille de t’intégrer rapidement au groupe et de participer activement à cette lutte contre l’Agence. Tu représentes notre famille au sein de HOPE, et tu dois être à la hauteur de cet engagement. Tu peux disposer, conclut-elle avec autorité.
L’esprit tourmenté, Lucas se dirigea sans un mot vers la porte, mais la voix glacée de Jane le retint, plus tranchante encore que son ton précédent.
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On salue les gens quand on prend congé, Lucas Roselys. Où sont passées tes bonnes manières ? Et je te déconseille fortement de faire confiance au premier chien venu sur les sites de rencontre. Bonne journée.
Lucas, contraint, esquissa une légère révérence. Son départ précipité irrita Jane, mais elle le laissa quitter la pièce sans ajouter le moindre mot.
En refermant la porte derrière lui, Lucas sentit la colère et la frustration lui remonter à la gorge. Il se dirigea vers sa chambre, saisit son catalyseur et, dans un accès de rage, le projeta violemment au sol. Le choc métallique résonna dans la pièce, brisant le silence comme un écho de sa détresse. HOPE apparut immédiatement, lui adressant un avertissement l’enjoignant de se calmer. Les larmes aux yeux, Lucas s’effondra sur son lit et laissa éclater sa peine, étouffant ses cris dans l’oreiller, comme pour ne pas alerter le monde de son effondrement intérieur.
Pendant ce temps, Jane poursuivait sa discussion avec Illyria, qui venait d’entrer dans la pièce.
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Je suppose que votre fils s’est précipité dans sa chambre ? lança-t-elle avec un cynisme à peine voilé.
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Il a l’air dévasté… Je n’aime pas le voir ainsi, confessa Illyria, la voix tremblante.
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Je vous interdis de le rejoindre immédiatement pour le consoler. Ce garçon doit changer, Illyria, et je n’y parviendrai jamais si vous êtes toujours là pour excuser chacune de ses fautes. Vous l’avez trop habitué à ne jamais se confronter aux difficultés. Aurais-je tort ?
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Vous avez peut-être raison, Jane, mais… est-ce mal d’aimer son fils ?
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Non, répondit Jane en croisant les bras, mais l’amour maternel peut rendre aveugle. Il vous fait mésestimer la peur que vous avez d’être abandonnée par un fils qui refuse de grandir dans un monde aussi cruel que le nôtre. Il n'accepte pas votre départ imminent.
Illyria demeura silencieuse un moment, accablée par le remords et le doute, rongée depuis ses retrouvailles avec Lucas.
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Je veux qu’on me garantisse qu’il n’arrivera rien à Lucas. C’est tout ce que je demande depuis le début. Rien d’autre. Rien d’autre.
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Cela ne dépendra pas que de moi, Illyria. Je pense aussi à vous et à votre sécurité. Vous devez quitter votre époux et vous installer dans la Fédération Unie, à l’endroit que je vous indiquerai. Vous reprendrez contact avec votre sœur Héra, et surtout avec votre nièce Elena.
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Si c’est le prix à payer pour la sécurité et le bien-être de mon unique fils… alors je le ferai. Concernant Héra… vous savez que nos rapports n’ont jamais été au beau fixe. Il sera très difficile de lui faire entendre raison, et de passer outre toutes ces années de disputes et de rancœur.
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Vous êtes intelligente, Illyria. Prenez sur vous. Nous devons penser à la survie de notre famille.
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Où voulez-vous en venir, Jane ? Qu’avez-vous en tête ?
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Vous le saurez bien assez vite, répondit la matriarche des Roselys, une étincelle de mystère dans la voix, comme une ombre planant sur les décisions à venir.


