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Tobias Olsson
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Tobias Olsson

Tobias

Philip

Philip

Casja Hanssen

Casja

Oscar Kylberg

Oscar

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L'amour le plus discret laisse par quelque marque échapper son secret.

Jean Racine

(Écrit par Cyril  J.)

39 968 mots

Chapitre 1

24 janvier 2112 – Campingvägen (Camp Ripan), Kiruna – Britannie du Nord (ancienne Suède)

Au nord extrême du territoire de Britannie, dans la partie septentrionale de l'ancienne Suède, en Laponie suédoise, se trouvait Kiruna. Cette petite ville de vingt mille habitants était nichée sur la colline de Haukavaara, près des rives du lac Luossajärvi. Sa croissance démographique et économique a été accélérée par la découverte d'un gisement de minerai de fer exceptionnel dans la montagne de Kirunavaara, exploité durant tout le XXe siècle jusqu'à récemment. Cependant, l'exploitation souterraine de la mine de plus en plus profonde a contraint les autorités de Kiruna à déplacer une partie de la ville. Cette décision a entraîné de longs travaux qui ont été achevés avec succès en 2104.

En plus de ses activités minières, Kiruna était également propice à l'étude scientifique et à l'accueil de touristes nationaux et étrangers. Face aux menaces constantes de l'Empire Europa (nouvelle France), l'ennemi mortel de Britannie (ancien Royaume-Uni), la plupart des pays du nord de l'Europe ont accepté de passer sous la tutelle de Londres, jusqu'à sa destruction par un tsunami le 30 décembre 2068. Birmingham, la nouvelle capitale et siège du gouvernement anglais, a autorisé les nouveaux pays composant Britannie à conserver leur propre régime tout en exigeant leur totale obéissance. Cependant, cela n'a pas empêché l'émergence d'un désir d'indépendance face à la république anglaise, qui exploitait égoïstement les ressources de ses voisins du nord.

Loin des tumultes politiques, la petite ville de Kiruna offrait un panorama naturel époustouflant où la technologie n'avait pas altéré ce petit coin de paradis prisé pour ses chalets luxueux. Les températures y étaient douces, ne dépassant pas 15 degrés en été et tombant jusqu'à 20 en-dessous de zéro lors des longs hivers polaires où la nuit dominait. Selon la saison, les touristes pouvaient profiter des randonnées équestres de Midnattssolstigen ou s'adonner à de grandes balades dans les plaines boisées environnantes.

 

Un jeune homme de presque seize ans et son père séjournaient dans un chalet luxueux et bien sécurisé du Campingvägen (Camp Ripan), situé à dix minutes de marche au nord de la ville. Spa, restaurant privé, confort, intimité, pistes de ski, balades en traîneau, sentiers de randonnée, visites guidées : tout était conçu pour offrir un séjour de rêve, comme l'indiquait la brochure holographique défilant dans le hall du complexe. Ce type d'hôtel n'était bien sûr pas accessible à tous les budgets.

Ces vacances étaient censées leur permettre de souffler et d’échapper à l’agitation de la capitale, Stockholm, leur ville d’origine. L’adolescent, à la fois beau et fougueux, était un jeune plein d’énergie qui ne supportait pas l’oisiveté. De stature élancée, paraissant plus vieux que son âge, il avait des cheveux châtain-roux foncés coupés au bol, courts sur les côtés, tandis que sa frange bien fournie dissimulait une partie de son front. La puberté avait provoqué l’apparition d’acné sur son visage encore juvénile, en même temps que son attrait pour les groupes musicaux de style métal. Sa voix se cassait encore facilement. Un grain de beauté dans le creux de sa joue droite accentuait ses petites fossettes. Les yeux marron rieurs de Tobias, son pseudonyme destiné à dissimuler sa véritable identité, lui conféraient un certain charme, en plus de son sourire quasi permanent. Le jeune homme portait des boucles d’oreilles, essentiellement pour énerver ses parents et accentuer son style vestimentaire résolument sombre.

Son père, Philip, était un homme de quarante-deux ans à la haute stature qui ressemblait énormément à son fils. Il portait une barbe et une moustache bien taillées qui donnaient à son allure un air à la fois sévère et mature. Philip avait également de magnifiques yeux de couleur marron.

L'homme avait pensé que cette escapade intime avec son fils lui permettrait de combattre ses démons et ses excès de consommation de "Squid", une nouvelle drogue dure créée en 2101 dans le Nouveau Mexique. Elle procurait aux consommateurs une sensation stimulante hallucinogène qui leur conférait un bien-être intense, mais ses effets secondaires psychologiques et physiques provoquaient des ravages parmi les jeunes. Bien qu'interdite dans la plupart des pays du monde, cette nouvelle drogue était devenue un fléau pour ceux qui l'utilisaient sans retenue, entraînant des overdoses, des dommages irréversibles sur la santé et des décès prématurés. Il était facile d'identifier les consommateurs réguliers de Squid à la teinte violine de leurs cheveux ou de leurs yeux, à leur agressivité accrue, ou à l'apparition rapide de graves troubles mentaux et d'autres pathologies. Les médecins mettaient en garde les populations à risque, car les soins et le sevrage étaient souvent longs et parfois inefficaces.

Tobias passa près de son père qui regardait tranquillement les actualités sur l'hologramme projeté sur le mur. En ancienne Suède, le vouvoiement ("Ni") et les formules de politesse, considérés comme désuets, hautains et condescendants, avaient disparu à la fin des années 1960 avec la réforme du tutoiement. Toutefois, cette nouvelle approche dans l'utilisation des prénoms personnels dans la vie quotidienne n'avait guère affecté les membres de la famille royale, avec lesquels l'usage de la troisième personne du singulier ou de leur titre demeurait de rigueur ("Sa Majesté, Votre Majesté").

  • Tu vas où à cette heure-ci ?! dit Philip.

  • Bon sang, père, laisse-moi respirer un peu ! s'agaça Tobias. Je suis grand, je n’ai pas besoin d’un chaperon pour aller voir mes amis.

  • Pour te droguer, boire et faire des conneries avec je ne sais qui ? Tu ne crois pas que tu en as déjà fait assez comme ça ?! s'exclama l'homme, d'une voix grave.

  • Pourquoi on ne me fait pas confiance dans cette fichue famille ?! répondit Tobias avec affront.

  • Car tu as menti trop souvent. Je t’interdis de sortir. Tu restes ici ! Sinon nous repartons immédiatement pour Stockholm et ta mère prendra les mesures adéquates, menaça Philip.

  • Ma mère, ma mère… toujours elle qui décide. Tu n'en as pas marre à force de lui obéir ?!

  • Surveille ton langage, mon fils, ce n’est pas n’importe qui, à moins que tu ais besoin que je te rafraichisse la mémoire ?

  • Même Wilhelm a peur d’elle, tu en es conscient ?

  • Ton petit frère joue la comédie, tout le monde le sait, répliqua Philip avec dédain.

 

Wilhelm, le petit frère de Tobias, n’avait pas été autorisé à le suivre pour cette escapade à Kiruna. Tobias l'aimait beaucoup, il le protégeait et s'occupait de lui comme un grand frère attentionné. Mais, à cet instant précis où Tobias pensait plutôt à profiter avec ses amis, Wilhelm ne faisait plus partie de ses premières préoccupations.

 

  • Bon, papa, laisse-moi au moins inviter deux de mes amis à venir passer la soirée ici, comme ça tu pourras faire ce que tu veux… Tranquille…, promit Tobias.

 

Après quelques secondes d’hésitation où Tobias arborait un visage révolté, son père sembla céder.

  • Qui sont ces deux personnes ? demanda Philip, intrigué.

  • Cajsa Hansson et Oscar Kylberg, répondit simplement Tobias.

  • Ah oui, je les connais, pas le même acabit que les autres idiots de Kiruna. Casja est ta petite copine ?

  • Si on veut. Je ne sais pas trop encore, hésita Tobias.

  • Ok, jusqu’à 23 heures.

  • Il est déjà 21h !

  • Dois-je te rappeler que tu as à peine quinze ans ?

  • Seize bientôt, et je ne suis plus un enfant, s’agaça l’adolescent. Je veux simplement passer une bonne soirée, demain je pourrais me reposer avant notre retour chez nous… S’il te plait, supplia l'adolescent.

 

Philip soupira. Il espérait que son fils changerait et deviendrait plus raisonnable, mais il ne pouvait pas l'empêcher de fréquenter ses amis proches. Après tout, ils étaient bien plus fréquentables que la plupart des jeunes touristes et alcooliques de Kiruna.

  • Bon d’accord. Dépêche-toi de les appeler et vous avez intérêt à vous tenir à carreau ! prévint Philip d'une voix ferme.

  • Super. Merci. On fera attention au volume, fit Tobias avec enthousiasme. Tiens, je t’ai apporté une bière.

  • Exactement ce qu’il me fallait, merci, fils, remercia Philip avec intérêt en se saisissant de la bouteille.

 

Tobias se dirigea vers sa chambre pour appeler ses comparses qu'il avait rencontrés à Stockholm, leurs parents respectifs partageant des intérêts communs au sein du même milieu social. Pourquoi étaient-ils venus jusqu'à Kiruna ? Oscar était majeur et avait prétexté partir en vacances avec sa "petite amie", Casja, afin de suivre Tobias qui voyageait avec son père. Et suivre Tobias n'était pas encore un crime.

Il ferma la porte derrière lui et appela d'abord Casja, une adolescente aux cheveux blonds et au visage délicat qui lui donnait l'apparence d'une jeune fille de quatorze ans, alors qu'elle venait tout juste d'avoir dix-sept ans. Malgré ses bonnes manières et sa voix aiguë, Casja Hansson était en réalité une adolescente rebelle et égoïste, qui n'appréciait pas l'autorité et sa vie actuelle, à l'image de son ami Tobias.

  • Salut, c’est moi. Rejoins-moi à Campingvägen avec les boissons, le « sucre » et les clopes. J’ai besoin de me défoncer rapidement là !

  • Et ton père ? demanda la voix.

  • Ne t’en fais pas pour lui, il va sans doute appeler sa maîtresse et baiser en réalité augmentée. Je vais faire en sorte qu’il ne nous emmerde pas. Oscar est avec toi ?

  • Oscar ? Arrête, il va encore péter les plombs et tout faire foirer. Il va râler si on se fait chopper ou si on vomit.

  • Il n’est pas avec toi ? insista Tobias.

  • Comme tu n’appelais pas, je l’ai envoyé balader pour qu’il arrête de tourner en rond à côté de moi, répondit la jeune fille. Si tu vois ce que je veux dire…

  • Ah ouais, ces connards de la presse ne vont pas nous lâcher s’ils nous voient tous ensemble, faudra être discrets !

  • Sincèrement, pourquoi tu veux inviter ce mec ? interrogea Casja, dépitée d'être toujours accompagnée par ce garçon à cause de Tobias. Je l’ai toujours trouvé con et ringard !

  • Genre, tu n’as jamais voulu te le faire ? 

  • Je suis sûr qu’il ne sait même pas comment on fait ! se moqua Casja, hilare.

  • T’exagères, je suis sûr que tu changerais d’avis si tu le voyais sans aucun vêtement, tempéra Tobias qui se souvenait l'avoir vu se changer après un entrainement de foot.

  • Tu sais bien que je préfère te voir toi…, ricana la jeune fille, provocante.

  • Bon. Je veux qu’il vienne, il fait partie de la bande et son esprit « sage » m’amuse. Toi tu es trop mauvaise fille, rétorqua le jeune homme d’un air hautain.

  • Pourtant ça ne te déplait pas quand on s’amuse tous les deux…, répliqua Casja, joueuse.

  • Allez, ramenez vos fesses ici. Si vous êtes sages, on ira dans le spa !

  • Here we go! (C'est parti), lança la jeune fille avant de raccrocher.

 

Oscar Kylberg, malgré son jeune âge, avait acquis une certaine maturité qui lui permettait de se tenir à l'écart des excès auxquels ses amis s'adonnaient souvent. Depuis qu'il avait fait la connaissance de Tobias, il s'était toujours montré protecteur envers lui, veillant à l'entourer de bons conseils et à l'empêcher de faire des erreurs irréparables. Ses cheveux roux éclatants, proches de l'orange, lui valaient certes des taquineries, mais il portait cela avec fierté en plus de ses quelques taches de rousseur. Ses yeux verts, pleins de douceur, contrastaient avec sa carrure athlétique, et la cicatrice discrète sur sa joue droite racontait une histoire que peu connaissaient. Oscar n'était pas du genre à parler de lui, ni à chercher l'attention. Pourtant, Tobias désirait qu’il soit présent, et Casja l’appela pour qu’il se joigne à eux.

Philip se rendit comme prévu dans sa chambre pour appeler secrètement sa maîtresse. Sa vie de couple ne le satisfaisait plus depuis longtemps. Tobias avait découvert cette double vie en surprenant les deux amants dans une situation intime dans la salle de bain d'un hôtel lors d'un séjour à l'étranger. Bien que Tobias ne fasse pas chanter son père, son silence lui permettait de solliciter des faveurs auprès de lui. Philip, se sentant coupable, finissait toujours par les accorder, souvent en discréditant sa propre femme.

Les relations entre Tobias et sa mère étaient tendues depuis plusieurs années. Il ne ressentait aucune affinité pour cette femme peu maternelle et constamment occupée. Face à ce manque d'attention, Tobias était devenu de plus en plus rebelle, moins enclin à suivre la voie que ses parents lui avaient tracée depuis sa naissance. À l'heure actuelle, l'adolescent cherchait simplement à profiter de la compagnie de ses amis, consommer de l’alcool et des substances illicites pour se libérer de son fardeau quotidien.

Tobias utilisa son temps libre pour acheter des préservatifs et attendit vingt longues minutes jusqu'à l'arrivée de ses amis. Chacun d'eux portait des sacs contenant de l'alcool, des drogues, des jus de fruits et de la nourriture rapide, prêts à passer une soirée mémorable. Le jeune homme était excité. Il salua Oscar d'un « Tjena! » amical, une formule de salutation typique entre amis en Suède, loin des embrassades souvent pratiquées dans les pays méditerranéens.

Peu pudique, Tobias embrassa Casja de manière ostensible, tandis qu'Oscar déposa la marchandise sur la table et enleva sa veste chaude, s'installant confortablement sur l'immense canapé d'angle blanc. Allait-il devoir supporter cela toute la soirée ? Non, il se promit de partir si Tobias et Casja passaient leur temps à se bécoter, voire plus. Leurs gémissements devenaient ridicules.

Tobias et la jeune fille n'étaient pas officiellement en couple ; ils avaient parfois des relations sexuelles sporadiques pour assouvir leurs désirs charnels. Des rumeurs prétendaient que Casja Hansson était la petite amie secrète de Tobias Olsson (un pseudonyme) et qu'ils formeraient un beau couple. Philip et son épouse n'appréciaient pas cette idée ; ils estimaient que Tobias méritait mieux que cette jeune fille vulgaire et égocentrique.

  • Alors Oscar, fit Tobias en tenant la main de Casja. Tu fais déjà la gueule ?

  • Je peux vous laisser seul si vous avez l'intention de coucher ensemble immédiatement..., soupira Oscar, peu à l'aise avec cette idée.

  • Quoi, t’es jaloux ? s’amusa Casja. Tu veux que je t’embrasse aussi ? Ou peut-être que tu ne l'as jamais fait !

  • Ah, ah, ah, très drôle. Non, mais je ne suis pas venu vous amener la marchandise et passer la soirée à cuver sur ce fauteuil à vous entendre copuler comme des lapins, s'énerva le jeune homme.

  • Tu proposes quoi ? intervint Tobias, désireux de calmer cet échange peu constructif.

  • Sors des verres, on ne va pas regarder les bouteilles toute la soirée, j’ai soif ! lança Oscar, peu habitué à ce langage.

 

Tobias et Casja furent presque surpris par l'assurance avec laquelle leur ami avait répondu. L'adolescent prit trois verres dans le bar et invita ses amis à le suivre dans la chambre adjacente à celle de son père. Ils se demandaient comment ils pourraient réaliser tout ce qu'ils avaient prévu sans être dérangés. Aucun souci, Tobias avait ajouté un calmant à la boisson de son père. Cette révélation les laissa sans voix, ils étaient incrédules.

Les trois jeunes mirent de la musique branchée et commencèrent à boire de la bière pour se mettre en appétit. Le rythme les emporta, ils se trémoussaient à trois sur des morceaux remasterisés datant de plusieurs décennies. La fumée de cigarette, désormais non toxique en ce début de siècle, envahit la pièce, créant une ambiance brumeuse qui ajouta du piment à leur soirée.

Comme convenu, la chambre était équipée d'un système anti-bruit extérieur, au cas où des couples ou des amis souhaiteraient exprimer leur plaisir sans déranger les autres clients du complexe. La musique était si forte qu'il était impossible de s'entendre parler dans la belle chambre éclairée par des néons aux couleurs vives changeantes au rythme de la musique. L'alcool coulait à flots pour Tobias et Casja, mais Oscar était celui qui en consommait le moins. La perte de contrôle engendrée par l'alcool lui était insupportable. Après seulement une heure de beuverie, Tobias et Casja perdirent déjà pied ; ils riaient sans raison et leurs émotions étaient exacerbées.

La chaleur étouffante de la pièce les poussa à se mettre plus à l'aise. Contrairement aux idées reçues, les Suédois sont très pudiques en public, mais beaucoup moins en privé. Ils se rendirent au sauna pour profiter de la quiétude et continuer à chanter leurs chansons favorites. Les deux garçons regardèrent Casja, surtout Tobias, qui la dévorait des yeux et désirait passer la nuit avec elle. Oscar se montrait plus discret tandis que la jeune fille n'hésitait pas à faire des allusions osées pour savoir qui retirerait sa serviette en premier. Tobias remporta ce défi. Trente minutes plus tard, ils revinrent dans la chambre, les cheveux humides et seulement vêtus de leur serviette.

Oscar se rendit dans la salle de bain pour se passer un peu d’eau fraiche sur le visage. Tobias le suivit pour savoir ce qui n’allait pas.

  • Qu’est-ce que tu fous ? demanda Tobias, inquiet de voir son ami se mettre à l'écart.

  • Rien, j’ai besoin de réfléchir, répondit Oscar, d'un ton hésitant.

  • Détends-toi, lâche la pression et amuse-toi ! Moi je sens déjà les effets de l’alcool altérer mon… ma tête. C’est le seul moment où je me sens libre !

  • Retourne boire et te droguer avec Casja. J'en ai assez de vous regarder faire les cons ! s'exclama Oscar.

  • Ouh, mais c’est que tu me fais une crise de jalousie toi ? Qu’est-ce qui se passe ? Tu t’en es coincé une quand tu t’es branlé ce matin ou quoi ?

  • Arrête de faire le con, putain ! s’insurgea Oscar qui plaqua Tobias contre la porte. Ce dernier arborait un sourire provocateur, il jouait.

  • Eh bah quoi ? Tu vas faire quoi là hein ? Vas-y, défonce-moi la gueule si t’as des couilles !

  • Arrête tout de suite ! s'énerva Oscar.

  • Je le savais, t’as rien dans le froc, railla Tobias, provoquant son ami.

  • Tu ne comprends rien…

 

Oscar tenait fermement les bras de Tobias, qui dégageait une odeur d'alcool désagréable. La colère laissa place à l'incertitude, et Oscar hésita un instant. Finalement, il embrassa Tobias avec passion, ressentant une flamme et un désir qu'il avait longtemps refoulés. Sentir les lèvres de son ami contre les siennes le libéra de ses chaînes intérieures. Tobias se laissa faire, convaincu qu'Oscar embrassait bien pour un garçon. Cependant, ce baiser et cette sensualité masquaient les véritables sentiments d'Oscar, et Tobias crut à tort que l'alcool en était le principal responsable.

Tobias, quant à lui, cachait également un lourd secret. Il avait découvert sa condition de variant vers l'âge de douze ans après d'atroces migraines incurables. Le jeune homme possédait des facultés télépathiques extraordinaires, mais ce don était difficile à gérer au quotidien. Il était contraint de prendre des drogues et des médicaments pour maîtriser ses capacités et échapper à sa condition. Il pouvait, entre autres, sonder l'esprit des autres pour connaître leurs pensées, percevoir des images, ressentir des sensations, voire vivre leurs émotions grâce à son empathie. Un super pouvoir ? Non, plutôt une malédiction qui le rendait malheureux en découvrant les tréfonds de l'âme humaine. Tobias craignait que sa famille ou ses amis découvrent la vérité sur sa nature. Il ne voulait pas être perçu comme un monstre malgré l'exclusion institutionalisée des variants.

Le jeune homme se libéra de l'étreinte d'Oscar pour reprendre son souffle et ses esprits, tandis que la musique et les cris de joie de Casja résonnaient à proximité. Il n'avait remarqué aucun signe précurseur de l'attirance d'Oscar envers lui, ce qui le conforta dans l'idée que son ami explorait de nouvelles expériences sexuelles. Finalement, Tobias regarda Oscar avec un sourire en coin, partagé entre la surprise et la flatterie d'avoir été embrassé de la sorte.

  • T’es gay ou quoi ? dit Tobias, les yeux à demi fermés en s'essuyant les lèvres. Son ami ne répondit pas. Je n’y crois pas, putain ! reprit-il, comme tombant des nues. Tu veux juste qu’on se tripote ?

  • Non ! Ce n'est pas ce que tu crois !

  • Allez, dis-le. T’es à fond sur moi c’est ça ? ricana Tobias.

  • Il vaut mieux que je parte…, balbutia Oscar, mal à l’aise.

  • Nan, nan, attends, fit Tobias en retenant son ami par le bras. Réponds-moi, je suis trop défoncé pour que je le sache moi-même.

 

Les paroles de Tobias semblaient dénuées de sens, car personne autour de lui n'était au courant de sa condition de variant. Lorsqu'il était ivre, il avait tendance à être trop honnête ou maladroit, ce qui posait problème à sa famille après ses nombreuses soirées arrosées entre amis. Cependant, dans la situation actuelle, Tobias parvenait encore à réfléchir, d'une certaine manière.

Oscar, quant à lui, avait une voix tremblante, la peur liée à ce lourd secret l'empêchait de s'exprimer clairement.

  • Je crois que… j’ai des sentiments pour toi.

  • Ah oui, merde. Je ne comprends pas, pourtant tu n’es pas efféminé ou précieux, pourquoi je ne l’ai jamais su auparavant ?! s'interrogea Tobias, de manière maladroite.

 

Tobias réagit de manière étrange, affichant un sourire béat et hagard. Son état d'ébriété l'empêchait de réagir de manière appropriée, le poussant à faire des remarques stéréotypées sur les hommes homosexuels, risquant ainsi de vexer son ami. L'adolescent peinait à imaginer qu'on puisse éprouver de tels sentiments à son égard ; il n'avait jamais aimé quelqu'un de cette manière. Pour lui, le sexe semblait être une voie plus facile, évitant la complexité d'une relation avec tous ses avantages et inconvénients, surtout dans un contexte familial déjà tumultueux. Quant à l'amour, il le considérait comme une notion réservée à un âge plus avancé, voire douteux.

Ivre, Casja entra dans la salle de bain en titubant.

  • Bon, vous foutez quoi vous deux, j’ai déjà sorti la squid, j’ai envie de voir les étoiles ouh !

 

Les deux garçons immobiles ne répondirent pas. Oscar craignait que Tobias dise tout à Casja.

  • Hé ? Vous planez déjà ou quoi ? ricana Casja.

  • Je m’en vais, lança Oscar qui sortit de la pièce, vexé et honteux.

  • Mais qu’est-ce qu’il a encore ce débile ?

  • Rattrape-le, j’ai dit une connerie, avoua Tobias éreinté.

  • Putain les mecs, vous êtes lourds.

 

Casja rattrapa Oscar alors qu'il se rhabillait complètement une fois dans la chambre où se trouvaient leurs affaires. Profitant de l'occasion, elle contempla le corps dénudé et imberbe du jeune homme, le comparant à celui d'autres garçons de même stature. Casja dut admettre qu'Oscar avait des atouts convaincants.

Une fois qu'il eut terminé de s'habiller, la jeune fille ne comprenait pas pourquoi il se mettait dans de tels états d'âme, gâchant ainsi tous leurs moments de détente.

  • Il s’est passé quoi ? Pourquoi tu te barres ?

  • Ce ne sont pas tes affaires Casja !

  • Tu n’en as pas marre de foutre le bordel ? asséna-t-elle sans cacher son agacement.

  • Profite bien de ta soirée, moi je me casse, pesta Oscar qui remit son pull et attrapa sa veste.

  • Attends, attends, et tu vas aller où à minuit ? Tu ne vas pas prendre le volant avec ce que tu as bu.

  • Je vais marcher, répondit Oscar.

  • Non, ne fais pas chier, tu ne vas nulle part Oscar, ordonna Tobias qui reparut dans la chambre à son tour. Il fait trop froid dehors !

  • Je n’en ai rien à foutre, laisse-moi passer.

  • Tu veux que je t’attache à la chaise ? Tu restes ici putain !

 

Oscar se résigna. Il n'était pas en état de marcher jusqu'à sa chambre d'hôtel, située à plus de dix minutes de trajet dans ces températures glaciales et avec un éclairage quasi inexistant sur la route. Le jeune homme réalisa que le périple serait trop dangereux et opta pour la voie de la sagesse et de la sécurité. De plus, Tobias ne voulait pas qu'il lui arrive quelque chose. Pourquoi ne pas appeler un taxi alors ? Au fond de lui, Oscar voulait rester pour veiller sur ses deux amis.

La jeune fille prépara trois rayures de squid sur un petit miroir spécialement acheté pour l’occasion. Elle fut la première à aspirer la substance dans une narine avec une paille, ce qui dégouta Oscar.

Ce dernier refusa d'en prendre, préférant se rabattre sur de l'eau. Pendant ce temps, Tobias commença à ouvrir une bouteille de vodka qu'il comptait mélanger avec du jus d'ananas pour atténuer son goût particulièrement agressif. L'ajout de fruit ou de sucre dans cette boisson spiritueuse rendait sa consommation plus supportable pour Tobias, qui avait recours à la drogue en dernier ressort. Ce soir-là, il avait plutôt envie de se saouler avec de l'alcool. Casja, quant à elle, opta pour la drogue. Elle souhaitait planer sans risquer de se retrouver avec une gueule de bois le lendemain matin.

Dans un geste maladroit, elle laissa tomber son miroir servant de plateau sur le sol, qui se brisa en mille morceaux. Sept ans de malheur, selon la superstition populaire. Préoccupé par les éclats de verre qui pourraient la blesser, Oscar la retint, l'empêchant de ramasser la poudre bleue éparpillée sur le sol.

Ils retournèrent dans la chambre pour éviter que le père de Tobias ne les surprenne dans le salon. Oscar prit place sur une chaise, pendant que les deux autres adolescents commençaient déjà à ressentir les effets de leur drogue respective : squid et vodka fruitée. Casja se déplaçait sur le lit en dansant, tombant à plusieurs reprises. Ils chantaient des paroles en anglais approximatif, dans une chaleur étouffante qui accentuait leur soif. Tobias se rapprocha de Casja, qui se frottait à lui avec insistance. Oscar refusa de regarder, par pudeur, désespérant de voir ses amis agir ainsi.

Le jeune roux encore sobre se leva et jeta les dernières doses de drogue à la poubelle pour éviter que quiconque n'en consomme davantage et ne risque une overdose, un profond coma ou même la mort.

Tobias venait d'atteindre un stade désagréable après l'exaltation et le plaisir initial, où la perception du temps avait altéré tous ses sens. Ses paroles étaient devenues lourdes et pâteuses, ses mains posées sur son ventre et sa poitrine, tandis que sa tête était assaillie de nausées insupportables. La fête était bel et bien terminée ; les jeux étaient finis.

  • Putain… je crois que je vais gerber, grommela Tobias qui eut plusieurs haut-le-cœur.

  • Pourquoi il faut toujours que je rattrape vos conneries, soupira Oscar.

 

Le jeune homme porta Tobias jusqu'aux toilettes pour qu'il puisse évacuer le contenu de son estomac. Oscar entrevoyait déjà les heures difficiles à venir, où il devrait veiller sur ses deux amis qui s'étaient mis dans un état lamentable. Il soutint la tête de Tobias pour éviter qu'il ne se blesse en la cognant contre la cuvette, guidant sa bouche pour viser correctement. Une fois que Tobias eut fini de vomir et qu'Oscar l'eut essuyé avec soin, il le transporta en caleçon jusqu'au canapé et le couvrit d'un plaid.

Au moment où il s'apprêtait à s'éloigner, Tobias saisit la main d'Oscar.

  • Oscar, ne pars pas, excuse-moi, geignit l’adolescent.

  • Je dois voir comment va Casja. Reste tranquille, je vais revenir, promit Oscar.

  • J’ai peur du noir…

 

Tobias se sentait vraiment mal, l'abus d'alcool lui avait déclenché une violente migraine qui le clouait au lit. Oscar laissa une petite lampe allumée près de lui, sachant que Tobias avait peur du noir depuis son enfance, un secret qu'il gardait jalousement pour lui.

Ensuite, Oscar se dirigea vers la chambre où Casja était déjà endormie. Par respect et pudeur, il la recouvrit délicatement. Malgré les sentiments complexes qu'il éprouvait pour les garçons, Oscar ne put s'empêcher de remarquer la beauté de Casja, même si son état et son comportement ambivalent la rendaient moins attrayante à ses yeux.

Que faire à présent ? Profitant de ce moment de répit, Oscar entreprit de ranger le désordre laissé par leur soirée tumultueuse. Il jeta les bouteilles vides de bière et d'alcool dans les bacs de recyclage et effaça toutes les traces de leurs excès. Le chalet retrouva peu à peu son calme, à l'exception du salon où Tobias gémissait toujours, subissant les conséquences de sa cuite.

La nuit avançait, et Oscar, malgré sa fatigue, ne pouvait s'empêcher de veiller sur Tobias. Il se tenait à côté de lui, admirant son visage apaisé par le sommeil. Il prit discrètement une photo de Tobias avec son téléphone, voulant garder ce moment pour lui, peu importe ce qui se passerait ensuite entre eux.

Le contact doux de sa main sur la joue de Tobias le fit frissonner. Ils se tenaient la main, un geste simple mais chargé d'émotion. Oscar sentit Tobias resserrer sa prise, comme s'il cherchait du réconfort dans leur lien d'amitié.

Après avoir veillé sur Tobias pendant un moment, la fatigue finit par rattraper Oscar. Il retourna dans la chambre où Casja dormait paisiblement. Il voulait préserver les apparences, surtout en vue du réveil de Philip le lendemain matin.

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