

Chapitre 7 : « Dans le noir »
Année 2116 | 30 octobre (passé) – 16 h 00, quartier Bellevue, Seattle - Washington
Le réveil d’Ethan fut brutal. Une migraine lancinante vrillait son crâne, pulsant jusque dans sa mâchoire. Il peina à remettre de l’ordre dans ses pensées. Des flashs flous lui revenaient : Pixy, la seringue, la douleur fulgurante. Baissant les yeux, il constata que sa chemise était tachée de café et que son téléphone gisait brisé sur le sol. Il se souvenait vaguement être sorti comme chaque matin, café en main, prêt à rejoindre sa voiture. Puis cette jeune femme, ravissante, avait foncé droit sur lui.
Encore confus, il balaya du regard son appartement. Rien ne semblait avoir été volé. Pourtant, il se sentait mal. Son estomac le brûlait, sa gorge était sèche. Une sensation de lendemain de soirée trop arrosée, sans la moindre trace de fête. Son téléphone détruit ruinait ses plans : plusieurs rendez-vous et leurs bénéfices financiers venaient de s’envoler.
Il entendit frapper à la porte.
Jetant un coup d’œil par l'œilleton, il reconnut son contact de l’agence, accompagné de plusieurs miliciens lourdement armés. Leur chef, un homme mince, portant des lunettes noires et une longue veste sombre, qui accentuait son allure spectrale, entra sans attendre d’invitation.
L’appartement était rangé, prêt à toute inspection. Ethan et lui se connaissaient bien. Ethan aidait l’agence à identifier des variants en échange d’avantages financiers. Il croyait œuvrer pour le bien de son pays, même si ses méthodes étaient immorales. À cause de lui, de nombreux variants avaient été capturés, neutralisés, puis expédiés vers les complexes de la BMRA, là où plus personne ne revenait.
-
Que s'est-il passé, monsieur Klent ? demanda l’homme d’une voix sèche.
-
Il s’est passé quelque chose. Je crois… avoir été attaqué. Et drogué.
-
Fâcheux. De quoi vous souvenez-vous ?
-
Une jeune femme… blonde… la vingtaine, dit-il, encore choqué d’avoir été dupé. Elle m’a foncé dessus alors que je sortais. Je l’ai invitée à monter… et elle m’a piqué avec une seringue.
-
Original, commenta l’homme, impassible. Et c’est tout ? Un nom ?
-
Elle s’est présentée sous le nom de Pixy.
L’agent nota l’information sur sa tablette et interrogea la base de données de la BMRA. Aucune correspondance. L’alias d’Hannah avait bien servi à brouiller les pistes.
Pendant ce temps, les miliciens de l'agence fouillait l'appartement du jeune homme au peigne fin.
-
Aucune trace sous ce nom, monsieur Klent. Si elle vous visait, je doute qu’elle vous ait donné son véritable prénom.
-
Elle me visait ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?
-
Vous avez été démasqué, répondit l'agent, implacable.
-
Merde...
-
Avez-vous des caméras de surveillance ici ou dans l’immeuble ?
-
Oui… dans ma chambre et le salon. Mais...
-
Mais ?
-
Impossible de voir leurs visages. Elles étaient trois.
-
Intéressant… Elles utilisent des brouilleurs perfectionnés pour masquer leur identité. Et plusieurs de mes hommes ont été exécutés par un variant utilisant une vélocité extraordinaire, non loin de votre appartement. Cela prouve que tout est lié.
Ethan n'arrivait pas à croire que des variants l'avaient pris pour cible.
L’homme marcha quelques pas dans l’appartement, son regard glissant distraitement sur le mobilier. Relever des empreintes digitales lui paraissait inutile. Il se retourna vers Ethan, toujours assis, le visage blême.
-
Et qu’en est-il de ce fameux Donovan, si intéressant pour la BMRA ?
Le visage d'Ethan se tordit de mépris, piqué dans son égo.
-
C'est un petit con qui ne sait pas ce qu'il veut, trop prudent, trop coincé, grogna-t-il. Il m’a fait perdre mon temps.
-
Vous aviez pourtant une tâche très simple, monsieur Klent : découvrir sa véritable identité. C’est vous qui avez fait perdre du temps à l’agence.
-
Comment ça ? Je ne peux pas forcer les gens à me rencontrer s’ils ne veulent pas !
-
Baissez d’un ton, répliqua l’homme d’une voix glaciale. N’oubliez pas qui vous paie… pour l’instant.
La colère d’Ethan monta, brûlante. Ce type l’humiliait ouvertement. Mais c’était surtout l’image d’Hannah qui revenait, son visage rieur, sa silhouette fuyante. Elle l’avait humilié. Une rage froide éclata en lui.
-
Cette petite pute m’a attaqué par surprise ! Je peux faire un portrait-robot si vous voulez.
-
Ce ne sera pas nécessaire, dit l’homme avec indifférence.
-
Pourquoi ?
-
Parce que nous avons d’autres moyens pour les retrouver.
Ethan frappa du poing sur la table, le regard injecté de sang.
-
Vous êtes en train de me dire que vous vous en foutez de ce qui m’est arrivé ?! Pourquoi je devrais risquer ma peau pour l’agence ? Autant arrêter là et reprendre ma vie normale !
-
Très bien.
L’homme n’avait même pas sourcillé. Calmement, il sortit une arme de poing de la poche intérieure de sa veste. Ethan, stupéfait, n’eut pas le temps de bouger. Tout se passa en une fraction de seconde.
Le coup partit, sec. La balle traversa son torse, près du cœur. Il s’effondra sur le sol, la bouche ouverte, suffoquant. Ses yeux fixaient le plafond, immenses, emplis d’incompréhension et de terreur. Son corps convulsait faiblement, tandis qu’il cherchait de l’air.
-
Monsieur Klent, dit l’homme avec une sérénité terrifiante. L’agence ne tolère aucun échec. Surtout lorsqu’il s’agit d’objectifs d’une telle importance.
Ethan tenta de lever la main, agrippant le vide, ses doigts se crispant dans un ultime sursaut de vie. Son sang se répandait sur le carrelage blanc, rouge et brillant sous la lumière. Il tenta de parler, mais aucun son ne sortit, seulement un gargouillis sanglant.
L’homme, imperturbable, avança d’un pas et tira une seconde balle dans sa tête. Son corps s’affaissa définitivement, l’œil vitreux, la bouche entrouverte dans une expression figée de douleur et de terreur.
Sortant un petit écran numérique de sa poche, l’homme le déposa près du cadavre. Sur l’affiche apparaissaient en lettres rouges : « Les variants vous vaincront ! Mort aux humains ! À bas la BMRA ! ».
Sa voix redevenue glaciale, professionnelle, dénuée de la moindre émotion, donna des ordres à ses subordonnés :
-
Veuillez contacter les autorités, et prévenez nos contacts et les médias pour diffuser un avis de recherche de quatre fugitifs, potentiellement dangereux, opérant sur la côte ouest. Partagez la photo de Lucas Roselys dans tout le pays.

Jane

Andras

Lydia

Hiro

Walter
Année 2116 | 16 novembre 12 h 15 - Flower Street, Los Angeles - Californie
Jane et Lydia dévalaient les marches du bâtiment à toute allure en direction de Flower Street. Autour d’elles, les immeubles adjacents au restaurant vibraient de gigantesques panneaux holographiques diffusant en boucle des alertes d’attaque terroriste. Le visage de Lydia apparut, dorénavant jugée comme une criminelle à neutraliser.
Le ciel, assombri par la poussière et la fumée, rendait l’atmosphère presque irrespirable. La montre de Jane vibrait frénétiquement à son poignet, mais elle n’osa y jeter un œil. L’instant était trop critique. D’ordinaire si calme, si résolue, elle sentait cette fois son cœur s’accélérer douloureusement. Tout s’était enchaîné trop vite, comme une décision précipitée dictée par la panique plus que par la stratégie. Elle avait beau courir, la sensation d’urgence et d’impuissance la rongeait, lui compressant la poitrine jusqu’à lui donner la nausée. Son pas s’allongea encore, guidé par la terreur de voir cette mission s’achever dans un bain de sang.
HOPE, l’intelligence artificielle, déclencha soudain un voyant clignotant sur sa montre : le signal d’activation du plan d’extraction « Héliosis ». Un protocole ultime permettant à Andras de récupérer un groupe en détresse vitale. Dès qu’Héliosis était lancé, tous les résidents encore présents au site Alpha étaient confinés, et ceux en mission devaient rejoindre le site Beta au plus vite avant d’y être cloîtrés jusqu’à nouvel ordre.
Sans la moindre hésitation, Jane appuya sur le dispositif tout en maintenant fermement le bras de Lydia, dont les jambes peinaient à suivre la cadence. La médecin trébuchait à chaque marche, terrorisée. Mais la poigne de Jane la maintenait debout, implacable. Leur survie en dépendait.
Alertés par l’activation du protocole, Hiro et Walter se dépêchèrent de les rejoindre. En civil pour passer inaperçus, ils portaient de petits sacs à dos renfermant du matériel indispensable. Aucun mot ne fut échangé. L’urgence étouffait toute parole.
Malgré sa cécité, Walter, grâce à son hyperosmie, perçut avant même leur arrivée que quelque chose clochait. L’air autour d’elles vibrait de dioxyde de carbone, signal d’un stress intense. Il distingua la sueur acide de Lydia, le parfum synthétique de Jane, mêlés à la pollution métallique de la ville, aux gaz d’échappement, à l’électricité, aux effluves lourds de la foule pressée. Un chaos olfactif sur-stimulant, qui l’empêchait d’isoler la menace dans cette panique croissante.
Jane, consciente du danger, fouilla dans son sac et en sortit un petit flacon. Elle en pulvérisa généreusement sur elle-même et sur Lydia. Walter, malgré la confusion, identifia aussitôt cette fragrance artificielle conçue spécialement pour ses perceptions olfactives. Un parfum imperceptible pour la plupart, mais qui lui permettait de localiser ses alliés dans la cohue. Hiro, sachant que Walter fonctionnait à l’odorat, ne posa aucune question et continua de suivre son partenaire à l’aveugle.
Après de longues secondes qui semblèrent des heures, Jane et Lydia parvinrent à leur hauteur. L’expression de Jane était crispée, son regard froid comme l’acier.
-
On traîne une ficelle, messieurs, lâcha-t-elle d’une voix sèche, tout en balayant nerveusement la rue du regard. Smell, sentez-vous quelque chose ?
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Il y a trop de monde… Je ne peux pas localiser la menace avec précision, répondit Walter, le front plissé sous l’effort. On doit trouver un meilleur endroit pour une extraction.
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Tenez, docteur, fit Hiro en tendant un petit anneau à Lydia. Enfilez-le. C’est un brouilleur anti-variant.
La médecin, tremblante, obéit sans discuter. Ils traversèrent un carrefour embouteillé, slalomant entre les voitures à l’arrêt. Jane maintenait Lydia par le bras, l’empêchant de chanceler. La médecin, suffoquant sous la peur, transpirait à grosses gouttes, le souffle court et sifflant.
-
Lydia, regardez devant vous et suivez-nous prestement, sinon vous êtes morte, prévint Jane d’une voix glaciale.
-
ATTENTION ! cria brusquement Hiro.
Avant que Lydia ne comprenne, Hiro la plaqua elle et Jane contre le mur le plus proche. Un coup de feu éclata, déchirant l’air. La seconde suivante, Hiro s’effondra au sol, une balle logée dans son épaule. Il hurla de douleur, son visage tordu par la souffrance, tentant de se redresser malgré le flot de sang qui giclait de sa blessure.
Walter dégaina aussitôt son arme et tira instinctivement vers l’assaillant. Ses sens, désormais concentrés, lui révélaient enfin la scène comme s’il y voyait.
Jane, réactive, agrippa Lydia et l’autre bras d’Hiro, tandis que Walter couvrait leur fuite. Ensemble, ils le traînèrent dans une ruelle, échappant de justesse à plusieurs nouvelles balles qui fendirent l’air autour d’eux. Les cris des passants résonnaient, hystériques. Certains s’écroulaient, d’autres couraient en hurlant. Des corps tombaient, le sang éclaboussant le trottoir. Les deux terroristes, lourdement armés, arrosaient la foule sans distinction. Ils voulaient la terreur. Et ils l’obtenaient.
Les hologrammes publicitaires géants explosaient sous les balles, projetant des gerbes de lumière et de verre. Les vitrines éclataient, les patrouilles de la BMRA, dépassées, reculaient sous le feu nourri. Les deux hommes utilisaient des mitraillettes de guerre, celles qu’on vendait sur les marchés noirs d’Amérique du Sud, conçues pour faucher des dizaines de vies en quelques secondes.
Walter, retranché derrière un conteneur, repéra les deux tireurs à une cinquantaine de mètres. Son visage se crispa d’une rage animale, prêt à bondir.
-
Ce sont eux, madame. Jun et Sören.
Profitant d’une brève accalmie, Jane dégaina un revolver nacré des années 1920, modifié par la technologie moderne. Elle vérifia la chambre, son regard glissant furtivement sur la rue devenue un charnier. Des cadavres, des blessés, des cris… tout se mêlait dans un chaos absolu.
Pendant ce temps, Lydia, les mains tremblantes, appuyait de toutes ses forces sur l’épaule d’Hiro pour ralentir l’hémorragie. Le jeune homme suffoquait, ses paupières battant comme s’il allait perdre connaissance d’une seconde à l’autre. Son souffle s’accélérait, haletant, et son visage blêmit dangereusement.
Le temps pressait. La moindre seconde de plus les rapprochait de la mort.
-
HOPE, lança Walter en fixant sa montre. Comment sauver Leon ?
-
Analyse en cours. Le muscle de l’épaule est touché. L’hémorragie pourrait entraîner une perte de conscience dans quelques minutes. Le rythme cardiaque et la tension artérielle sont en hausse. Une prise en charge médicale immédiate est nécessaire, répondit la voix calme et synthétique de l’intelligence artificielle.
Walter répéta à Lydia toutes les informations.
-
Je ne peux pas le soigner ici, dit-elle, le souffle court, tout en déchirant son foulard pour improviser un garrot. Ne fermez pas les yeux, restez avec nous ! Je vais comprimer la plaie, vous perdez trop de sang.
-
Argh… ! hurla Hiro, son visage déformé par la douleur.
-
Nous devons partir maintenant, ordonna Jane en revenant vers eux, la tension vibrant dans sa voix.
-
Laissez-moi ici… je vais vous ralentir, murmura Hiro, les paupières lourdes.
-
Pas question, trancha Jane sans la moindre hésitation. Personne n’est abandonné. Ou je serais contrainte de vous tuer moi-même. Héliosis, nous sommes sur Flower Street. À vous.
-
Je suis en route, répondit la voix grave d’Andras.
-
HOPE, besoin d’un lieu d’extraction immédiat, enchaîna Jane, son ton sec comme un coup de fouet.
-
Analyse en cours. À mille mètres, tournez à gauche sur Wilshire Boulevard, puis dirigez-vous vers le bâtiment désaffecté de FederationEx sur votre droite.
Jane scruta la rue. Partout, des corps de policiers gisaient, blessés ou morts. Les patrouilles de la BMRA, prudentes, n’attaquaient pas frontalement, conscientes du danger. Devant elle, deux variants renégats semblaient invincibles, protégés par une force invisible qui déviait chaque tir. Jane les reconnut aussitôt. Jun et Sören. Un frisson de rage glacée lui parcourut l’échine : ils avaient tué Drew récemment, et cette perte la hantait encore.
Les dents serrées, elle analysa rapidement la situation. Leurs munitions étaient limitées, inutile de gaspiller des balles contre ces monstres. Son regard repéra une rangée de voitures garées : leur seule chance de fuir avec un blessé.
-
Montez dans la voiture, là-bas ! ordonna-t-elle, autoritaire.
Par chance, HOPE pirata le véhicule en un instant. Les serrures claquèrent dans un clic, et Walter aida Hiro à monter à l’arrière. Jane fit signe à Lydia de prendre le volant tout en restant à couvert. Se retournant, elle visa Jun et Sören et tira deux balles. L’une atteignit Sören au bras, mais il ne réagit presque pas, lâchant simplement son arme dans un geste mécanique. Jane s’engouffra dans la voiture tandis que Lydia enclenchait le démarrage rapide.
La rue n’était plus qu’un champ de bataille. Verre brisé, carcasses de métal fumantes, corps sans vie. Jane gardait un visage impassible, mais ses mains tremblaient légèrement sur ses genoux. Le tireur pointait toujours son arme dans leur direction.
-
Foncez ! hurla-t-elle, tandis que des balles s’abattaient sur la carrosserie.
-
Qui nous attaque ? demanda Lydia, la voix tremblante, esquivant un groupe de civils affolés.
-
Jun et Sören, répondit Jane d’un ton glacial. Des variants renégats. Ils travaillent pour l’agence et ont tué plusieurs de nos camarades. Tournez ici !
Soudain, la vitre arrière éclata. Walter esquiva de justesse, sa tête frôlée par des éclats de verre. Il continuait à appuyer sur la plaie d’Hiro pour contenir l’hémorragie. Lydia, aidée par HOPE, zigzaguait pour éviter les tirs. Un impact plus violent pulvérisa les phares. Puis, un pneu arrière éclata, et la voiture devint incontrôlable. Lydia batailla pour la maintenir sur la route, virant difficilement dans Wilshire Boulevard, à proximité du point d’extraction.
Jun et Sören ne couraient pas après eux. Jun, sans user de pyromancie, visait leur véhicule à distance avec une précision terrifiante grâce à son arme sophistiquée. Il ordonna à Sören d’avancer. Ce dernier, massif et balafré, portait sur son visage les marques sanglantes de ses victimes, chacune gravée comme un trophée de son sadisme. Nourri par la douleur des autres, Sören entrait en transe, se délectant de la terreur environnante.
Jane sentit la panique lui ronger les entrailles. Leur fuite devenait impossible. Ces deux-là étaient implacables, et le temps jouait contre eux.
-
On avance, grogna Jun en toisant Sören. T’es blessé, mon gars.
-
Mmh, répondit Sören avec un sourire sinistre. Je sens qu’ils ont un blessé eux aussi. Je peux suivre sa douleur…
-
Le boss veut qu’on capture le médecin en vie. Tu pourras t’amuser avec les autres.
-
Excellent, souffla Sören, un éclat malsain dans le regard, dégainant deux couteaux qui scintillèrent sous les réverbères.
Pendant ce temps, la voiture percuta un lampadaire solaire dans un fracas métallique. L’impact résonna dans la nuit. Jane, sonnée, reprit ses esprits en un instant. Son regard balaya l’obscurité à la recherche de Jun et Sören. Bien qu’ils aient gagné quelques précieuses secondes, elle savait qu’ils n’étaient pas à l’abri.
Walter, nerveux, agrippa Hiro pour le sortir du véhicule. Lydia l’aida, et ensemble ils coururent vers l’imposante silhouette du bâtiment désaffecté de FederationEx, ancienne poste privée aux allures de forteresse. Jane couvrait leurs arrières, arme au poing, prête à tirer à la moindre alerte.
Elle leva les yeux vers le ciel, cherchant des signes d’Héliosis. L’hélicoptère furtif, sans pales ni hélices visibles, était capable de se camoufler en plein vol. Chaque seconde d’attente augmentait la tension suffocante. À peine atteignaient-ils les portes que deux voitures de police surgirent en vrombissant. Des agents en descendirent, armes braquées.
-
Ne bougez plus ! Levez les mains en l’air ! hurla un policier, sa voix trahissant la peur.
Lydia, terrifiée, leva les mains en tremblant. Jane, imperturbable, dissimula son arme avant d’obtempérer lentement.
-
Voyons, messieurs, nous n’avons rien fait du tout, dit-elle d’une voix posée et glacée.
-
Silence ! Levez les mains, hurla un autre, le doigt crispé sur la détente.
Ils obéirent. Mais avant qu’ils ne puissent dire un mot, plusieurs coups de feu claquèrent. Les balles fauchèrent les policiers un à un. Jun et Sören venaient d’émerger de l’ombre, implacables. Sans perdre une seconde, Walter, soutenu par Lydia, porta Hiro vers la porte du bâtiment. D’un coup de pied violent, il l’enfonça. Tous s’y engouffrèrent.
Jane, dernière à entrer, verrouilla derrière eux. Ils barricadèrent précipitamment l’entrée avec des meubles pourris, des planches disjointes, des morceaux de ferraille rouillés. Cela ne tiendrait pas longtemps, mais chaque seconde gagnée comptait.
Dehors, les patrouilles de la BMRA arrivaient, alertées par les tirs. Elles interpellèrent Jun et Sören, les retenant quelques instants. Un répit, maigre mais vital.
Jane activa la lumière de sa montre connectée. La faible lueur bleutée éclaira le vaste hall abandonné, où le silence semblait dévorer tout son.
-
Pas de temps à perdre, murmura-t-elle. On doit rejoindre le toit et retrouver Héliosis.
Ils s’élancèrent dans les escaliers en spirale. Chaque pas résonnait comme une course contre la mort.
-
Madame, Leon est trop mal en point pour continuer, alerta Waltern haletabt.
-
Lydia, pouvez-vous faire quelque chose ? demanda Jane sans s’arrêter.
-
Éclairez-le, ordonna Lydia, concentrée.
-
Bien. IvoryGhost, quelle est votre position ? demanda Jane au pilote via sa montre.
-
Bientôt sur le toit, répondit le pilote dans un grésillement.
Lydia et Walter déposèrent délicatement Hiro au sol, son corps affaibli et endolori par la blessure. La douleur visible sur son visage tordait ses traits à chaque respiration difficile, et Walter sentit les perles de sueur sur le front de son ami. Lydia tenta de lui retirer sa veste pour examiner la plaie. Elle était profonde, l’hémorragie persistait malgré le garrot.
Elle inspira profondément, posa ses mains tremblantes sur la blessure et ferma les yeux. Walter crut un instant que Hiro s’évanouissait. Mais non. Sous les mains de Lydia, la douleur s’atténuait et la plaie se refermait doucement. Hiro rouvrit les yeux, plissant les paupières sous la lumière froide. La douleur avait diminué. Il resterait une cicatrice, mais il vivrait.
-
Merci, Lydia, murmura-t-il d’une voix rauque.
-
Ne forcez pas, vous êtes encore fragile, le prévint-elle en l’aidant à se lever.
Jane esquissa un sourire. Voir Hiro debout la soulageait.
-
Je ne pensais pas avoir besoin aussi vite de vos compétences, Lydia, dit-elle en soupirant. Mais nous ne sommes pas encore tirés d’affaire. On avance !
-
À vos ordres, répondit Hiro, la voix faible mais déterminée.
Jane inspira profondément. Lydia était un atout précieux. Son pouvoir de guérison les sauverait encore. Mais elle n’avait pas le temps de s’attarder sur cette pensée. Jun et Sören étaient à leurs trousses, implacables, et la BMRA les traquait. Quelque chose clochait. Pourquoi l’agence restait-elle en retrait ? Un piège… Ils étaient cernés de toutes parts.
Le groupe monta encore deux étages, essoufflé, jusqu’à atteindre une porte donnant sur le toit. En l’ouvrant, ils furent accueillis par une bourrasque de vent frais. Jane, plissant les yeux, distingua un appareil volant en approche silencieuse. Héliosis. Ses contours camouflés se posaient sans bruit à l’extrémité du toit. À l’intérieur de l’habitacle, Andras leur faisait signe de monter rapidement.
En contrebas, Jun et Sören observaient la scène avec une impatience glaciale.
-
Mec, descends-les. Ils sont en train de fuir avec leur engin, rugit Sören, furieux.
-
Ils ne vont pas aller bien loin, répondit Jun d’une voix basse, glacée.
Jun, d’origine chinoise, prépara soigneusement son arme. Un lanceur de missile téléguidé, précis et implacable. Il pointa l’appareil vers Héliosis, verrouillant la cible. Le projectile s’élança avec une fulgurance terrifiante, son moteur rugissant dans la nuit. Jun pilotait son tir avec une aisance quasi instinctive, traquant l’appareil dans sa fuite désespérée.
-
Attention Héliosis, missile en approche. Impact dans trente secondes, alerta HOPE.
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Merde… pesta Andras, serrant son harnais. Je ne pourrai pas l’éviter. Je vais descendre au plus bas et larguer les contremesures. Préparez-vous à sauter dès que je vous le dirai !
Jane, Hiro, Walter et Lydia se cramponnèrent aux sangles de l’appareil, prêts à sauter. En contrebas, les voitures de police et celles de la BMRA convergeaient vers eux, tentant de bloquer leur fuite. Héliosis filait au-dessus d’Elysian Park, autrefois verdoyant mais désormais calciné, lugubre, marqué par des troncs noircis et des terrains craquelés. L’hôpital Barlow Respiratory n’était plus qu’un squelette éventré, et le stade Dodger se dressait tel un mausolée abandonné. À l’est, le fleuve Los Angeles, tantôt asséché, tantôt gonflé par les pluies acides, reflétait un ciel rougeoyant de pollution et de feux lointains.
Héliosis volait vite, mais pas assez pour distancer le missile. Jun et Sören, à bord d’une voiture volée, suivaient sa trajectoire, tandis que les forces des autorités peinaient à les rattraper.
-
DANGER. DANGER. DANGER, répétait l’ordinateur de bord.
Dans un ultime effort, Andras tenta une manœuvre désespérée. Le missile se rapprochait à une vitesse folle. Ses talents de pilote ne suffisaient plus.
D’un geste brusque, l’homme masqué tendit son bras vers le vide. Aussitôt, une tornade gigantesque se forma à cent mètres devant eux. Un vortex colossal, immobile, tournoyant à une vitesse vertigineuse.
-
Sautez dans la tornade ! hurla Andras.
Lydia crut que c’était la fin. Sauter dans une tornade les tuerait. Mais c’était Andras qui la contrôlait. Jane, Hiro, Walter et Lydia sautèrent à tour de rôle, aspirés dans le tourbillon. Andras sauta à son tour, maintenant sa concentration sur la tempête.
Héliosis s’engouffra dans la tornade. Le missile le rattrapa, et l’impact fut brutal. L’explosion déchira la nuit dans un grondement infernal. Mais le vortex, contrôlé par Andras, écarta les projectiles et canalisa le souffle de l’explosion. À l’intérieur du tourbillon, le groupe flottait, protégé, leurs corps voltigeant sans risque entre les spirales de vent.
Lydia, tremblante, observa ce spectacle irréel. Tout près d’elle, Andras se tenait en lévitation, son masque blanc immaculé contrastant avec le chaos. Son simple regard la traversa comme un frisson glacial.
Le mystérieux pilote fit descendre le groupe au sol, déposant chaque membre avec une précision presque surnaturelle. La tornade s’évapora, laissant place au silence, à la désolation, et au bruit strident des sirènes. Tous étaient indemnes, mais encore secoués. Leur moyen de transport venait d’être réduit en cendres. Et sous son masque, Andras bouillonnait d’une rage que rien ne pouvait masquer.
Par chance, Hiro, Jane et Walter avaient gardé leurs sacs à dos avant de sauter. Lydia, elle, tremblait encore de stupeur.
-
HOPE, Héliosis détruit. Besoin urgent de fuite, demanda Jane d’une voix tranchante.
-
...Échec de transmission…
Andras contemplait Héliosis, son œuvre, brûler avec le soleil qui déclinait à l'ouest. Cet appareil l’avait accompagné dans tant de missions… et à cet instant, il ressentait un vide immense, comme si on venait d’arracher un dernier fragment de son âme.
Jane, Walter et Hiro s’approchèrent lentement de lui. Andras restait figé, silhouette noire et masque blanc tourné vers les flammes. Lydia, quant à elle, restait en retrait, encore sous le choc, le souffle court.
La comtesse rompit le silence d’une voix douce mais ferme.
-
Venez, IvoryGhost. Je suis navrée pour Héliosis… mais nous devons avancer. Leon, Smell, escortez Lydia et ne la perdez pas de vue. Vous savez ce dont est capable le désespoir, et je refuse que tout cela ait été vain.
-
HOPE vous a-t-elle donné un plan de fuite ? demanda Walter.
-
Négatif, répondit Jane aussitôt. Nous sommes seuls pour l’instant. Mais nous avons encore du matériel et quelques vivres. Si ma mémoire est bonne, nous sommes à l’est d’Elysian Park, non loin de la rivière Los Angeles. Il ne faudra pas longtemps à la police et à la BMRA pour retrouver nos traces dans ces terrains vagues. Et le soleil se couche. Messieurs, inventaire du matériel.
Jane, Walter et Hiro commencèrent aussitôt un rapide état des lieux de leur équipement et des munitions, tandis qu’Andras s’approchait lentement de Lydia. Elle eut un mouvement de recul en le voyant, troublée par ce masque qui imitait les expressions d’un visage invisible. Ses yeux bleu glacier, pourtant, laissaient transparaître une peine profonde. Lydia, le regard posé sur lui, perçut ce chagrin, comme un écho à son propre effroi.
Andras resta silencieux. Lydia replaça une mèche de ses cheveux blancs derrière son oreille avant de murmurer, la voix tremblante.
-
Je… je ne sais pas qui vous êtes. Mais… nous sommes en vie grâce à vous. Merci…
-
Plus d’Héliosis… soupira-t-il, la voix teintée d’une tristesse mécanique. Je n’ai aucune rose à vous offrir, docteur Sorel. Pourriez-vous soigner la douleur de mon cœur face à une perte si grande ?
-
Je suis désolée… J’aimerais tant pouvoir vous aider.
-
Votre famille est en sécurité, finit-il par dire.
Les yeux de Lydia s’illuminèrent, un espoir soudain éclairant son visage. Jane n’avait donc pas menti. Sa famille était saine et sauve, grâce à l’intervention de connaissances d’Andras qui opéraient dans l’ombre. Elle posa sa main sur l’épaule d’Andras. Lui, doucement, attrapa la main du médecin entre ses gants noirs cloutés.
-
Restez en vie, murmura-t-il simplement.
Andras et Lydia revinrent ensuite vers le reste du groupe, tandis que la lumière déclinait inexorablement, laissant place aux prémices d’une nuit dangereuse.
À cinq cents mètres, près de l’ancienne Buena Vista Station, se trouvait un complexe désaffecté, autrefois utilisé pour l’épuration des égouts. Jane ne connaissait pas les lieux, mais une froide angoisse envahit son esprit. Personne n’osa la déranger pendant qu’elle réfléchissait à la suite. Ils ne pouvaient rester à découvert ; la traque continuait.
Après quelques instants, Jane trancha le silence inquiétant.
-
Nous devons nous rendre dans le complexe situé à une centaine de mètres. Smell, à vous de nous dire ce que vous sentez.
-
Comptez sur moi, répondit-il.
Le variant visualisait difficilement les lieux grâce à son hyperosmie. Les carlingues métalliques perturbaient son introspection, et il ne pouvait se prononcer avec certitude sur ce qui les attendait dans cet entrepôt désaffecté.
Ils marchèrent plusieurs minutes avant d’arriver devant le bâtiment. La structure de trois étages se dressait, silhouette spectrale rongée par le temps. Métal rouillé, fenêtres brisées, graffitis effacés… La nature avait repris ses droits : lierre, racines et mousses rongeaient le béton fissuré.
Maintenant qu'ils étaient plus près, Walter analysa les lieux, et sentit une odeur étrange émanant des profondeurs de l'endroit. Des égouts. L'inquiétude se lisait sur son visage, comme s'il faisait face à des émanations inconnues, que son don surdéveloppé ne pouvait matérialiser.
Arrivé à proximité, Walter plissa le nez. Une odeur rance s’élevait des profondeurs.
-
Avec tout le respect que je vous dois, madame, murmura-t-il, tendu, est-ce vraiment prudent ? Je sens des égouts. HOPE m’avait signalé des événements… étranges dans ces tunnels de Los Angeles. Certains disent qu’ils sont hantés.
Jane fronça les sourcils, une lueur ironique dans le regard.
-
Je crains plus les vivants que les fantômes, Smell. Mais je partage vos craintes. Seulement, c’est notre meilleure option. Nous sommes traqués par trop d’ennemis, Jun et Sören en tête. Si nous tentons de rejoindre la ville en état d’alerte maximale, nous serons capturés. J’ose espérer que personne n’a peur du noir ?
Lydia, encore sous le choc, n’osa pas protester. Andras, impassible sous son masque, rabattit la capuche de sa veste sur ses cheveux blonds. Hiro, lui, resta proche de Walter, partageant sans mot dire ses doutes. Il faisait confiance à son camarade, qui contrôlait son don avec professionnalisme.
Jane, d’un ton plus ferme, coupa court à toute hésitation.
-
Tant que nous restons soudés, rien ne nous arrivera. Du moins, je l'espère, murmura-t-elle à peine.
Les trois hommes acquiescèrent. Tous savaient qu’un doute, aussi mince soit-il, pouvait fissurer la cohésion du groupe. Et si Jane faiblissait, tout s’effondrerait.
Chacun portait un sac à dos chargé de vivres et de matériel. Seule Lydia en était dispensée. Ses vêtements étaient déchirés, ses talons brisés, et ses jambes, tachées de sang séché, témoignaient de la brutalité de leur fuite. Tous portaient encore les traces de l’explosion, sauf Andras, toujours impeccable.
Hiro dégaina son arme, fit sauter le cadenas rouillé. Jane se posta près de Lydia, silencieuse et tremblante. Walter, en tête, scrutait les ombres, ses sens aux aguets.
Rien ne troublait encore le silence, si ce n’est, au loin, les gyrophares et les robots sapeurs-pompiers qui luttaient contre les flammes de l’épave d’Héliosis.
Un rire sec, au timbre allemand, fendit l’air.
-
Tiens, tiens, vous voilà !
Tous se figèrent, tournant à l’unisson. De l’ombre, une voix grave et tranchante claqua.
-
Retournez-vous. Le premier qui tente quoi que ce soit, je le descends direct. Lydia Sorel, tu viens avec nous.
Le groupe pivota lentement. Jun et Sören faisaient face à la troupe, leurs armes pointées, un rictus satisfait aux lèvres. Andras, campé devant Jane, tourna la tête comme un prédateur jaugeant sa proie. Un rictus glacé se dessina sur son masque blanc.
-
Enfin je te vois en chair et en os, le masque blanc, grinça Jun.
-
C’est qui ce connard masqué ? grommela Sören.
-
Tss… un salopard. Mercenaire, pirate, variant. On va se faire un plaisir de te livrer à la BMRA.
-
Qui te dit que tu vas y arriver ? cracha Andras, déclenchant une tension électrique.
Jun avança à bout portant. Andras ne cilla pas, indifférent au canon braqué sur lui. Lydia, elle, haletait, figée par la peur.
Jun pressa le canon contre le masque.
-
Enlève ton masque, cria-t-il, curieux de découvrir les traits de cet homme insaisissable.
-
On n’a pas le temps pour ça, grogna Sören. Les flics vont rappliquer. Livrez-nous Lydia Sorel, et on abrège vos souffrances avant que la BMRA ne s'occupe de vous.
Lydia recula d’un pas, tremblante. Jun, frustré, braqua son arme sur elle. Jane s’interposa.
-
Restez où vous êtes, Lydia, ordonna-t-elle, sa voix glaciale. Elle s’avança d’un pas. Cela faisait longtemps, vermines.
-
Toi, la vieille… Tu veux crever la première ? ricana Jun, son doigt crispé sur la gâchette.
-
La mort vous fauchera plus vite que vous ne l’imaginez, souffla Jane, un sourire glacé aux lèvres. L’agence vous trahira tôt ou tard. Vous n’êtes que des pions.
-
Elle parle trop. Je vais leur montrer la vraie douleur, grogna Sören, les yeux brillant d’un sadisme maladif.
Jane hésita à user de son don. L’air vibra d’un silence lourd.
-
POLICE ! Lâchez vos armes !
Une voix retentit derrière eux.
-
Maintenant, IvoryGhost ! hurla Jane.
Profitant de la diversion, Andras leva la main. Un souffle. Une tornade miniature jaillit, projetant Jun et Sören contre le mur. Leurs tirs ricochèrent dans le vent, balayés dans un sifflement strident. Une seconde bourrasque frappa les policiers, les clouant sur place.
Dans la confusion, Jane bondit, entraînant Lydia. Walter et Hiro couvrirent la fuite. Tous s’engouffrèrent dans l’entrepôt. Les échos de leurs pas résonnèrent dans le labyrinthe de métal, tandis qu’au dehors, la tempête soudaine hurlait sa promesse de mort. Andras resta sur place quelques instants pour renforcer ses tourbillons et ralentir ses opposants. Il tira à plusieurs reprises vers des policiers, les tuant sur le coup.
L’anxiété monta d’un cran lorsqu’ils atteignirent l’entrée du canal d’égouts, rejoints rapidement par Andras, courant comme si la mort le traquait. L’ouverture béante, plongée dans une obscurité totale, ressemblait à une gueule noire et menaçante. Walter s’arrêta net, levant le bras pour barrer le passage.
-
Je sens quelque chose, madame, dit-il d’une voix tendue.
-
Smell, nous devons avancer. Nous n’avons pas le choix, lança Jane, exaspérée. Qu’est-ce qui vous arrive ?
-
Il y a de la puanteur, des rongeurs, de l’eau souillée… et quelque chose de… bizarre, répondit Walter, reniflant l’air. J’ai un mauvais pressentiment, murmura-t-il, son visage crispé par une nervosité palpable.
-
Nous descendons, c’est un ordre, trancha Jane.
Lydia observa Andras, qui demeurait impassible. Lire l’inquiétude dans le regard de Walter et Hiro ne fit qu’accentuer la panique de Lydia. Elle n’osait ni parler ni bouger. L’idée de s’enfoncer dans ces tunnels étouffants lui semblait plus terrifiante que de rester à découvert. Hiro échangea un regard lourd d’inquiétude avec Walter, qui, malgré son expérience, partageait sa peur.
L’odeur nauséabonde emplissait déjà leurs narines. Walter, désemparé, tentait d’identifier ces senteurs inconnues qui brouillaient sa « vision » mentale.
Un silence oppressant régnait, ponctué seulement par le goutte-à-goutte lointain et le ruissellement continu d’un filet d’eau. Les murs suintaient de graisse et de crasse, et des bruits indistincts – insectes ou rongeurs – résonnaient avant de s’estomper, laissant place à un silence mortuaire, troublé par leur respiration haletante. Même Jane ne parvenait pas à dissiper sa propre inquiétude. Le moindre faux pas suffirait à les perdre dans ce labyrinthe. Personne ne viendrait les chercher. Et au-delà des éboulements et des risques d’inondation, il restait la menace d’y croiser d’autres prédateurs.
Andras brisa enfin le silence oppressant.
-
Avec votre permission, je souhaite marcher en tête et guider le groupe.
-
D’accord, acquiesça Jane. Smell vous suivra, ensuite Lydia, puis Leon. Aucun bruit. Nous devons rester invisibles. Exécution.
Andras alluma sa montre, projetant une lumière bleutée sur les murs humides, arme au poing. Ils s’enfoncèrent dans la noirceur. Lydia jeta un dernier regard vers l’entrée, qui disparut rapidement derrière eux.
Ils avançaient lentement, leurs pas éclaboussant l’eau croupie. Le niveau montait peu à peu, leur mordant la peau d’un froid glacial. Aux chevilles. Aux genoux. Lydia et Jane grelottèrent, avançant à contrecœur dans cette soupe fétide et verdâtre. Hiro, les bras levés, tentait de protéger son sac de vivres au-dessus de l’eau.
Soudain, un cri strident perça l’obscurité. Inhumain, écho d’une présence lointaine. Walter tourna vivement la tête, mais le son s’était déjà éteint. Ils poursuivirent leur avancée, refusant de céder à la peur. L’eau monta jusqu’à leur taille, puis leur poitrine. Lydia, trop petite pour toucher le fond, devait trotter pour garder la tête hors de l’eau. Jane, plus grande, la soutenait. Rebrousser chemin était désormais impensable. Walter gardait Andras en vue, le cœur battant à tout rompre.
Ils atteignirent bientôt une intersection. Trois tunnels : gauche, milieu, droite.
-
Allons à gauche, indiqua Andras.
-
L’eau y semble plus profonde… prenons un autre chemin, proposa Walter.
-
Suivons l’intuition d’IvoryGhost, trancha Jane. Nos ennemis s’attendront à ce que nous prenions la voie la plus facile.
Ils obéirent, pataugeant dans une eau brunâtre et visqueuse à l’odeur insoutenable. Mais après quelques minutes, le niveau baissa enfin, redescendant à hauteur des jambes. Deux cents mètres plus loin, le silence se fit plus dense. Plus oppressant. Seuls leurs pas et quelques bruits incertains résonnaient.
Jane ordonna une pause. Ils s’arrêtèrent dans un couloir plus large, tentant de sécher leurs vêtements imbibés.
Andras et Hiro se postèrent en sentinelles, armes en main. Walter, épuisé par l’utilisation de son don, s’adossa à la paroi. Jane s’assit près de Lydia, tremblante de froid, qui buvait à petites gorgées sa gourde.
-
Comment vous sentez-vous ? demanda Jane d’une voix presque maternelle.
-
Ça pourrait être pire… Mes mains n’arrêtent pas de trembler… Je sais que c’est le stress, mais… Comment faites-vous pour garder votre sang-froid ?
-
J’ai vécu assez de vies pour apprendre à les contrôler, répondit Jane, pensive. Mais croyez-moi, on ne s’habitue jamais vraiment à ce genre de situations.
Lydia hocha la tête, reconnaissante.
-
Je n’ai pas eu l’occasion de vous remercier… Sans vous, je serais déjà morte. Et ma famille aussi.
-
Je doute que la BMRA souhaite réellement votre mort. Ils veulent vous contraindre, vous utiliser pour leurs desseins, répondit Jane, un éclat sombre dans les yeux.
-
C’est de ma faute… J’aurais dû être plus prudente, murmura Lydia.
Jane adoucit sa voix.
-
Culpabiliser ne vous aidera pas à avancer. Ce n’est pas vous qui avez créé cette situation.
-
Je… je peux vous poser une question ?
-
Allez-y.
-
Pourquoi voulez-vous que je rejoigne votre groupe ?
Jane resta silencieuse un instant, ses yeux gris scrutant l’obscurité.
-
Je choisis toujours mes alliés avec soin, surtout ceux qui peuvent contrer la BMRA. Nous ne sommes pas invincibles. J’ai besoin de personnes fiables, capables de protéger les variants. Et vos recherches sont cruciales…
-
Ma thèse sur la biologie mutante ? murmura Lydia. Comment ça pourrait vraiment vous aider ?
-
Nous aider ? Les idées sont des armes. Et avec les compétences d’IvoryGhost sur le darknet, nous pourrons prouver la vérité. Vos travaux peuvent briser la propagande de la BMRA. Et je compte y parvenir, avec chacun de mes alliés.
Lydia resta silencieuse. Elle doutait de sa valeur, elle qui avait caché sa nature de variante pendant si longtemps. Que Jane, leader de HOPE, la considère comme un atout essentiel la déstabilisait.
Elle se risqua à une dernière question.
-
Quel est votre don, Jane ?
Le regard de Jane s’assombrit. Puis un sourire profond et sincère, presque tendre, illumina son visage.
-
Ne pas mourir pourrait tenter tout mortel… Mais je vis ce fardeau depuis tant de siècles… Je n’ai jamais eu la force d’y mettre fin. Je ne peux laisser ce monde sombrer dans le chaos, car j'ai une part de responsabilité, fit-elle, énigmatique.
Un bruit soudain, peut-être un râle, les interrompit. Les hommes se figèrent immédiatement, Andras levant son arme en direction du son. Les deux femmes se relevèrent, aux aguets. Un autre bruit, plus distinct cette fois, se fit entendre.
-
On reprend la route, ordonna Jane, maintenant.
Sans plus attendre, le groupe s’enfonça de nouveau dans les profondeurs. Ils parcoururent presque un kilomètre, contraints parfois de ramper dans des passages si étroits qu’ils avançaient à genoux, le métal et le béton éraflant leurs genoux et avant-bras. Enfin, ils atteignirent une salle plus large, humide, envahie de moisissures, où des panneaux rouillés signalaient une zone interdite. Une vieille échelle de métal crasseuse descendait encore plus bas.
-
On va devoir descendre, constata Andras, essuyant un barreau glissant. Soyez prudents.
Un cri, plus proche cette fois, résonna dans le tunnel derrière eux. Puis un autre, comme si quelque chose courait vers eux. Sans hésitation, Walter s’agrippa à l’échelle et commença à descendre, suivi de Jane et Lydia. Hiro, le visage crispé par la douleur, s’accrocha à son tour. Andras, en arrière-garde, scrutait l’obscurité, prêt à tirer. Ce qui approchait n’était pas un simple animal. Les bruits étaient lourds, rapides, déformés. Si c’était des humains, ils auraient crié ou tiré depuis longtemps.
Andras entama la descente à son tour, l’arme toujours en main. Un autre cri, cette fois si proche qu’il sembla résonner juste au-dessus d’eux. La descente paraissait interminable. L’obscurité était totale, à peine troublée par la lumière faible des bracelets de Jane et d’Andras. Soudain, un hurlement déchira le silence, suivi d’un grattement métallique contre l’échelle, comme si la créature descendait à leur suite. Puis, un silence écrasant.
Ils touchèrent enfin le sol, dans une obscurité presque absolue. Hiro alluma sa montre, éclairant une petite crevasse d’où s’écoulait un filet d’eau. Les murs ruisselaient d’une substance épaisse et nauséabonde, et des cadavres de rats, parfois éventrés, jonchaient le sol. Une odeur de sang et de charogne saturait l’air.
-
Qu’est-ce que c’était ? murmura Walter, la voix éteinte.
-
Aucune idée, mais ça n’était pas Jun ou Sören, répondit Andras, le regard toujours rivé vers l’échelle.
Sans un mot, ils s’engouffrèrent dans la crevasse qui s’ouvrait sur un tunnel étroit. Rapidement, ils furent obligés de ramper à plat ventre, luttant contre l’étroitesse des lieux et la glaise qui collait à leurs vêtements. Hiro fermait la marche, jetant sans cesse des regards inquiets derrière lui, comme si une ombre rampait à leur suite. Dans cette obscurité suffocante, leurs esprits se mirent à vaciller. Des souffles, des chuchotements indistincts, des bruits mous et humides s’intensifiaient, semblant surgir de partout.
Après plusieurs minutes à ramper, le tunnel s’élargit enfin, leur permettant de se redresser. Le bruit de l’eau s’intensifia, jusqu’à devenir un grondement sourd. Puis, un son blanc interrompit leurs montres-radios. Jane se figea, récepteur en main, tentant désespérément de capter un signal. Si HOPE pouvait les localiser, ils trouveraient une sortie. Mais rien. Le silence radio était total.
Sans autre option, ils reprirent leur marche, parcourant des heures durant ces boyaux putrides et tortueux. Enfin, le passage déboucha sur un vaste espace. Au-dessus d’eux, une immense bouche d’aération laissait filtrer un maigre filet de lumière grisâtre. Le sol était couvert de flaques stagnantes, et des centaines de cadavres de rats et de chats en décomposition jonchaient l’endroit, répandant une odeur insupportable. Autour d’eux, des monticules de déchets formaient des colonnes grotesques.
-
C’est quoi cet endroit ? demanda Walter, la voix étranglée par la nausée. C’est la sortie ?
-
Non, je ne pense pas, répondit Andras, pointant un autre passage. Il n’y a rien ici pour grimper jusqu’à la bouche d’aération. On devrait continuer par là.
Voyant la douleur sur le visage de Hiro, qui tentait vainement de la dissimuler, Lydia s’approcha et examina son épaule, déjà soignée plus tôt, mais dont le bandage était trempé.
-
Continuons, lança simplement Jane. On ne peut pas traîner. Nous sommes suivis.
-
Attendez une minute, s’il vous plaît, demanda Lydia, préoccupée. Il faut que je vérifie son épaule. L’hémorragie s’est peut-être rouverte.
-
Vous avez cinq minutes, accorda Jane d’un ton ferme. IvoryGhost, Smell, surveillez les accès.
Lydia posa doucement ses mains sur la blessure de Hiro, se concentrant pour apaiser sa douleur sous le regard attentif de Jane. Le silence pesait lourd, entrecoupé seulement des respirations haletantes du groupe. Mais soudain, un coup de feu retentit, fracassant la quiétude et frôlant Hiro de quelques centimètres. D’autres tirs suivirent immédiatement, des rafales s’abattant sur eux comme une pluie de mort.
Jun et Sören apparurent, illuminant l’espace d’une lampe puissante. Pris par surprise, Jane se plaça instantanément entre Lydia et Walter, son arme pointée vers les assaillants. Lydia, pétrifiée, se blottit contre Andras, qui posa un bras protecteur autour d’elle. Walter, quant à lui, s’était dissimulé dans un renfoncement.
-
Ne bougez plus ! hurla Jun. Et toi, lâche ton arme ! lança-t-il à l’adresse de Jane.
-
Sinon quoi ? Vous pensez vraiment que j’ai peur de la mort ? répliqua Jane d’un ton glacial.
-
Toi, peut-être pas, ricana Sören, mais celle qu’on veut, si ! Je sens sa peur, sa souffrance. Je la sens à des kilomètres.
Jun ajusta son arme, visant leurs têtes avec précision.
-
Si tu ne lâches pas ton flingue, on vous descend tous. Mon arme est programmée pour viser vos têtes et les jambes du médecin. On n’a pas besoin qu’elle puisse marcher pour la ramener.
Mais avant que la situation ne puisse empirer, un cri strident retentit, suivi de dizaines d’autres. Des ombres noires surgirent des ténèbres derrière Jun et Sören. Les deux hommes, surpris, ouvrirent le feu à l’aveuglette sur ces créatures bondissant dans leur direction. Jane ne perdit pas une seconde : elle tira aussi, tandis que Walter sortait de sa cachette pour riposter. Une des créatures se jeta sur Hiro, cherchant à lui mordre le cou, mais il parvint à la repousser d’un coup brutal à la tempe.
-
IvoryGhost ! hurla Jane en tirant avec précision. Partez ! Emmenez Lydia ! Protégez-la ! Prenez mon récepteur !
Elle lança le dispositif à Andras, qui l’attrapa d'une main. Suivi de près par Lydia, ils s'éloignèrent par le passage opposé, s’enfonçant dans l’obscurité.
-
Smell, allez-y ! ordonna Jane, sa voix coupée par les tirs.
-
Pas sans vous ! répondit walter, hésitant.
-
C’est un ordre ! répliqua Jane. Ils ne vous suivront pas !
Il tira quelques coups avant de céder et de quitter la salle. Derrière lui, Hiro s’était relevé, luttant désespérément contre les créatures à mains nues, frappant avec une force féroce. Non loin, Sören, concentré sur le flot de monstres, aperçut Hiro sur sa droite. D’un mouvement rapide, il ajusta son tir pour l’abattre. Mais avant que la balle ne parte, une créature bondit sur lui, ses crocs déchirant sa gorge. Un geyser de sang jaillit, éclaboussant le sol tandis que Sören s’effondrait, secoué de spasmes. Sa main appuya par réflexe sur la détente, abattant la créature, mais c’était trop tard pour lui.
Hiro, profitant du chaos, ramassa l’arme de Sören et rejoignit Jane pour repousser les assauts. Jun, débordé par la violence de l’attaque, se glissa vers une petite ouverture à l’arrière de la salle, juste assez large pour s’y engouffrer. Avant de disparaître, il sortit une grenade de son gilet et la lança dans la pièce.
-
Bombe ! hurla Jane. On file !
Sans perdre une seconde, ils s’élancèrent. Sören, agonisant au sol, ne ressentait plus ni douleur ni peur. Seul un sourire morbide se dessina sur son visage tandis que les créatures le piétinaient, juste avant que la grenade n’explose.
L’explosion ravagea tout. Jane et Hiro, déjà en fuite, furent projetés au sol par le souffle dévastateur. Le bruit assourdissant s’éteignit, laissant place à un silence oppressant. Après un moment de confusion, Jane se releva, aidée par Hiro.
-
Tout va bien, madame ? demanda Hiro, haletant, les yeux plissés de douleur.
-
Je vais bien, Leon… Et vous ? Vous n'êtes pas blessé ?
-
Ça ira, répondit-il, se tenant l’épaule. Il faut qu’on retrouve les autres. Ils ne doivent pas être loin.
Jane hocha la tête. Ensemble, ils pénétrèrent dans un boyau étroit. Le silence régnait, presque irréel après le chaos. Seuls leurs pas résonnaient, éclaboussant l’eau stagnante. Quelques minutes plus tard, des chuchotements indistincts retentirent, les incitant à accélérer.
-
Qu’est-ce que c’était ? murmura Hiro, resserrant sa prise sur le sac.
-
Des expériences de la BMRA, répondit Jane d’une voix tendue. Des mutants infectés par un nouveau virus. Ils ont été envoyés ici… Si des variants s’étaient cachés dans ces tunnels, ils n’auraient eu aucune chance.
-
Pourquoi feraient-ils ça ?
-
Ils cherchent à créer un nouveau type de variant et à les tester en conditions extrêmes. Ce tunnel est leur laboratoire vivant.
-
Ces choses… ce sont des variants améliorés ? demanda Hiro, abasourdi.
-
Transformés serait plus juste. Ce que la nature prend des siècles à accomplir, la BMRA l’a fait en quelques années avec le docteur Solomon Crane. Il va falloir qu’on s’occupe de lui, ajouta-t-elle avec froideur.
-
Ils vont payer, jura Hiro entre ses dents.
Jane acquiesça. Malgré toute son expérience, elle ne put réprimer un frisson d’horreur. Des larmes embuèrent ses yeux fatigués.
Soudain, un râle rauque retentit, si proche qu’ils se retournèrent d’un coup. Jane leva son arme, scrutant l’obscurité faiblement éclairée par sa montre.
-
Nous ne sommes pas seuls, murmura-t-elle, la voix tremblante alors que la sueur mêlée de sang coulait le long de ses joues.
Elle tira, mais la créature bondit de côté, esquivant la balle avec une agilité inhumaine. Maigre et décharnée, elle se tenait là, mutilée, la peau déchiquetée par d’anciennes blessures. Ses yeux vitreux, injectés de sang, brillaient d’une rage pure. Elle bondit sur Hiro, l’écrasant au sol.
Jane appuya à nouveau sur la détente, mais son arme était vide. Hiro, plaqué, luttait désespérément, utilisant ses poings et son sac comme bouclier.
-
Fuyez, madame ! Fuyez ! hurla-t-il, la voix brisée par l’effort.
Jane sentit la panique l’envahir. Elle voulut utiliser sa télékinésie pour repousser la bête, mais d’autres cris retentirent. Elle n’avait pas le choix. Son cœur s’emballa.
-
Hiro… murmura-t-elle, la voix noyée dans le vacarme.
Choquée, elle se retourna à contrecœur et s’enfuit, laissant derrière elle le jeune homme qui se débattait avec une énergie désespérée. La créature revint à la charge, agrippa ses chevilles et le tira dans les ténèbres. Son cri déchirant résonna dans le tunnel.
Jane, en pleine fuite, entendit ce cri. Elle ralentit, le cœur transpercé par la certitude : c’était Hiro. Son protégé. La douleur la frappa comme une lame. Une douleur ancienne, familière, celle de la perte, celle qui la poursuivait depuis des siècles. Et encore une fois, elle pleura.
La fatigue eut raison d’elle. Ses forces l’abandonnèrent, et elle s’effondra dans le noir, seule.
Un éclat. La lumière. Éblouissante, celle d’une montre. Des sons lointains et étouffés perçaient sa torpeur. Peu à peu, la voix devint plus distincte, celle d’un homme, ou plutôt un masque blanc à peine visible dans l’obscurité. Elle sentit des mains la relever doucement. Autour d’elle, les cris des créatures se rapprochaient, puis tout redevint flou. Le monde tourbillonnait avant de sombrer à nouveau.
Jane se réveilla en sursaut, comme si son corps reprenait vie par pur instinct.
-
Ça va aller, murmura Lydia, caressant ses cheveux. Vous êtes en sécurité maintenant. Tout va bien.
-
Que s’est-il passé ? demanda Jane d’une voix faible en s’asseyant avec son aide.
-
On a couru dans le tunnel aussi vite qu’on a pu. Quand on a entendu l’explosion, Andras a voulu revenir. Vous étiez évanouie à mi-chemin… Mais Hiro…
-
Ils l’ont eu, murmura Jane, accablée.
Le silence retomba lourdement. Jane réalisa que la désobéissance d’Andras lui avait sauvé la vie. Après un moment, Lydia reprit.
-
On a continué d’avancer. Après quelques minutes, on est arrivé à une coursive. On est au sec ici, et les créatures ne nous ont pas suivis.
Jane s’adossa contre la paroi, tenant sa tête entre ses mains. Une vive douleur lui martelait les tempes. Elle passa une main dans ses cheveux et sentit une substance poisseuse. Du sang. Elle se sentait terriblement proche de la mort.
-
Je vous ai soignée, dit Lydia. Vous aviez plusieurs blessures à la tête. Votre don semble accélérer votre guérison.
-
Vous ne devez pas utiliser votre don pour moi, dit Jane d’un ton ferme. Il est bien trop précieux.
-
Mais vous êtes notre cheffe, répliqua Lydia.
-
Vous vous trompez, soupira Jane. Je ne suis que l’instigatrice de l’espoir. La mort rôde autour de moi depuis des siècles. Un jour, elle m’emportera aussi…
Lydia se tut. Non loin, Walter restait immobile, le visage ravagé par la perte d’Hiro, son camarade depuis leur arrivée dans ce projet. Lydia lui prit la main en signe de réconfort.
-
Vous êtes réveillée ! s’exclama Andras en voyant Jane. Je vais retourner en arrière pour chercher Leon.
-
Je vous l’interdis, répondit Jane en se levant avec difficulté. Je le ferais moi-même si je le pouvais, mais je ne peux pas vous laisser vous sacrifier, dit-elle d’une voix vacillante. Hiro était cher à nous tous, sa perte est immense, mais je ne permettrai pas que l’un d’entre vous meure à cause de cela. C’est impossible… Je suis désolée, Smell.
-
Je comprends, madame. Je vais me ressaisir, dit Walter, visiblement ému.
-
Très bien, dit Jane avec fermeté. Maintenant, nous devons avancer et sortir d’ici. Si nous atteignons la surface, la communication avec HOPE sera rétablie.
Le groupe se remit en marche, chacun portant en lui le poids de la perte, mais avec l’espoir tenace de trouver enfin une issue.


Ethan


