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Jane Roselys

Chapitre 2 : « Les traces du passé »

Année 2116 | 24 octobre – 8 h 40, Site Alpha, Santa Monica - Los Angeles - Californie

La berline sombre s’immobilisa devant un portique de sécurité d'une sophistication impressionnante. Des caméras discrètes, des détecteurs thermiques couplés à des lasers aléatoires, ainsi que des capteurs volumétriques balayaient l’entrée principale et les murs d’enceinte. Contrairement aux résidences des élites, où les systèmes d’alarme étaient parfois plus décoratifs qu'efficaces, le site Alpha HOPE était sous la protection d'une intelligence artificielle du même nom. HOPE gérait en autonomie toutes les défenses du domaine et supervisait également trois robots serviteurs chargés de la propreté et de la surveillance, un système rappelant celui d'Angélique, autrefois gardienne des refuges NickroN.

Devant Sidonie, à travers la vitre de la voiture, se dressait le portail imposant du domaine. Noir, massif, conçu pour résister aux technologies d’attaque les plus avancées, il masquait complètement la vue sur l’immense habitation. À cela s’ajoutaient des détecteurs anti-drones et un brouilleur sophistiqué, rendant toute tentative d'espionnage ou de surveillance par le gouvernement fédéral quasiment impossible. La réputation de Jane en matière de prudence n’était pas usurpée. Chaque détail du projet semblait orchestré avec une minutie infaillible.

Hiro, carte d'accès en main, la passa devant un scanner. Alors que le portail silencieux s’ouvrait, il jeta un regard rapide autour de lui, s’assurant qu'aucun intrus ne tentait de s'infiltrer. À ses côtés, Walter ne réagissait à rien d'autre qu’aux odeurs ordinaires de la rue, l’effort des joggeurs au loin équipés d'appareils sophistiqués diffusant leurs données de santé, ainsi que la fraîcheur des déjections canines sur le trottoir voisin. Dans le calme absolu, le portail coulissa presque imperceptiblement sur son rail, comme s'il cherchait à dissimuler l’existence même du domaine qu'il protégeait.

Sidonie apprécia la chaleur douce des rayons du soleil après plusieurs jours de ténèbres et de mauvais temps. La pollution qui recouvrait la planète depuis la dernière guerre mondiale de 2059 n’était pas assez dense pour atténuer complètement la luminosité de ce jour.

Bien qu’elle ait décidé de suivre Jane, la méfiance persistait en elle. L'angoisse, alimentée par la fatigue et leur fuite explosive, pesait sur ses épaules. La présence même de Jane, cigarette en main, l'agaçait profondément. Il y avait chez elle une autosuffisance et une arrogance naturelle, mais aussi un charisme indéniable. Son passé, empreint de décisions douteuses, ne faisait pas d'elle une personne bienveillante, mais son esprit de stratège inspirait le respect et la crainte.

Quant à Hiro et Walter, les deux hommes à l’avant, ils accomplissaient leur rôle avec une dévotion quasi aveugle. Leur respect pour Jane, celle qui les avait recueillis en échange de loyauté, était évident. Pourtant, Sidonie ne pouvait se résoudre à leur faire confiance. Au moindre signe suspect, elle savait qu’elle devrait fuir, disparaître si nécessaire, car personne ne pouvait la rattraper dans les méandres du temps.

 

Le portail finit par s'ouvrir complètement, révélant une jeune femme d'un mètre soixante-cinq, fine et vive. Son visage de porcelaine, aux lèvres et aux joues délicatement rosées, était encadré par de beaux cheveux blonds ondulés qui tombaient jusqu'aux épaules. Elle était un véritable rayon de soleil, bienveillante de prime abord. Un foulard doré dansait autour de sa fine gorge, agité par la brise du matin, lui donnant un air à la fois solennel et sérieux.

Tendue, elle attendait le feu vert de l’intelligence artificielle HOPE, dont le visage apparut sur l’écran de sa montre.

  • Scan véhicule en cours…, dit une voix robotique féminine. Menace minime, nouvel occupant à bord autorisé.

  • Merci HOPE, dit la jeune femme.

 

Elle fit un signe amical aux deux hommes à l'avant, alors que la voiture pénétrait dans le domaine et se gara dans l’allée. Hiro, assis au volant, leva légèrement la main en guise de salut. Le portail se referma derrière eux, et après un bref instant, il baissa la vitre, un sourire narquois aux lèvres.

  • Bonjour ma douce Hannah, heureux de te revoir, lança Hiro d'un ton aguicheur.

  • Ah, Hiro, répondit-elle en roulant des yeux, son ton ironique, tout en rengainant son arme. Tiens, petit cadeau pour toi…

 

Soudain, elle dirigea l’arme à feu vers Hiro. Sidonie, prise de panique, tenta frénétiquement de tirer sur la poignée de la porte, mais celle-ci ne s'ouvrit pas. Elle tourna rapidement la tête vers Jane, qui restait impassible, d'une froideur presque glaçante. En revenant à Hannah, Sidonie réalisa quelque chose de complètement inattendu : l'arme semblait se désagréger. La matière se transformait en une poussière lumineuse, qui s'envolait doucement dans l'air, emportée par une brise invisible.

En l’espace de quelques secondes, le pistolet avait disparu, laissant place à un simple pistolet à eau, totalement inoffensif. Sans perdre un instant, Hannah vida tout le réservoir sur le visage de Hiro, éclatant de rire.

  • Rah bon sang ! Tu m’as mouillé toute la tête et mes fringues ! Ce n’est pas la première fois que tu me fais le coup, Hannah. Ce n’est pas drôle ! ragea Hiro en s'essuyant le visage avec frustration.

  • Et je recommencerai avec plaisir, répondit Hannah, s’éloignant du véhicule, un sourire satisfait aux lèvres.

  • Tu la cherches souvent toi aussi, se moqua Walter.

Les deux hommes sortirent du véhicule, laissant Jane et Sidonie seules dans l'habitacle. Walter et Hiro s’éloignèrent avec Hannah vers la porte imposante de trois mètres de haut, aussi solide qu’un rempart. Jane, assise sans bouger, tourna enfin un regard perçant vers Sidonie, qui semblait prête à sortir, mais sans grande motivation.

  • Un instant, ordonna Jane avec autorité, sa voix coupant l’air comme une lame, stoppant net le geste de Sidonie qui s'apprêtait à ouvrir la portière.

  • Quoi encore ? soupira Sidonie, visiblement irritée.

  • Avant de rentrer dans la maison, je vais vous présenter brièvement les personnes avec qui vous allez partager ces lieux. Cela nous fera gagner du temps.

  • Je suis fatiguée. On ne peut pas remettre ça à plus tard ?

  • Non, trancha Jane d'un ton glacial, et je ne vous demande pas votre avis.

 

Sidonie resta silencieuse, piégée dans cet échange de pouvoir où Jane semblait toujours avoir l'ascendant.

Jane actionna un bouton dissimulé à portée de ses doigts fins et nerveux, déclenchant l'apparition d'un hologramme. Un léger bourdonnement emplit l'habitacle alors que l’image flottait dans l’air, projetée avec une netteté parfaite.

  • Code 45, ordonna Jane d'une voix calme, mais ferme.

 

L’intelligence artificielle HOPE se manifesta instantanément. À l'intérieur de l'hologramme, des fiches d’identification commencèrent à apparaître une par une, présentant chaque résident avec leur photo et une série de détails essentiels : nom, âge, capacités, et fonctions au sein du complexe.

  • Scan base de données en cours. Veuillez patienter, annonça HOPE d'une voix synthétique, tandis que les informations défilaient rapidement devant les yeux attentifs de Sidonie.

Sidonie Wallorn

Sidonie

Hiro Hawk

Hiro

Jane Roselys

Jane

HOPE

HOPE

Walter Penfrom

Walter

Hannah - Ethan

Hannah Galaway, alias Pixy, sexe féminin, née le 06/05/2090 (26 ans) à San Marina*, Fédération Unie. Présente à HOPE depuis un an. Famille connue. Description : cheveux blonds ondulés, yeux verts, 1 m 65, 59 kg. Don : illusion polymorphique. Le sujet a la capacité de modifier l'apparence des humains ou des objets pour une durée limitée. Intérêt pour la BMRA : élevé.

Hiro Hawk

Hiro Hawk, alias Leon, sexe masculin, né le 26/01/2084 (32 ans) à Sacramento, Fédération Unie. Présent à HOPE depuis 1 an et 6 mois. Famille connue. Activité : garde du corps, agent d'infiltration. Description : cheveux noirs coiffés en bataille, yeux noirs, 1 m 84, 79 kg, type asiatique. Il arbore des tatouages tribaux autour du cou et sur une grande partie du corps, un piercing à l'oreille gauche et une cicatrice à l'arcade sourcilière droite. Don : polymorphie. Le sujet est capable de prendre la texture et les propriétés des objets qu'il touche. S'il s'agit d'une personne, Hiro peut seulement imiter ses traits. Intérêt pour la BMRA : prioritaire.

Sarah Garden

Sarah Garden, alias Elektra, sexe féminin, née le 05/07/2091 (25 ans) à San Francisco, Fédération Unie. Présente à HOPE depuis 2 ans. Famille connue. Activité : anciennement analyste à la BMRA, responsable de l'analyse des données au site Alpha HOPE. Description : cheveux blonds argentés longs, œil gauche bleu tandis que le droit a été crevé, 1 m 59, 68 kg. Don : électrokinésie. Le sujet peut s'introduire dans le code source informatique de tout appareil électronique ou d'un réseau connecté, ce qui lui permet d'accéder rapidement à une grande quantité de données. Intérêt pour la BMRA : élevé.

Martha Moore

Martha Moore, alias Maria, sexe féminin, née le 15/09/2091 (25 ans) à Portland, Fédération Unie. Présente à HOPE depuis 8 mois. Famille connue. Activité : agent d'intervention. Description : cheveux noirs frisés, yeux marrons, 1 m 80, 70 kg. Don : le sujet est muni d'une vélocité fulgurante lui permettant de parcourir temporairement des distances à dix fois la vitesse du son et d'être une excellente combattante au corps à corps. Intérêt pour la BMRA : élevé.

Andras Visarin

Andras Visarin, alias IvoryGhost, sexe masculin, né à une date inconnue (environ 30 ans), dans un pays inconnu. Présent à HOPE depuis données manquantes. Famille inconnue. Activité : mercenaire indépendant, pirate informatique et pilote d'Héliosis. Description : cheveux longs lisses blond vénitien, yeux bleus, 1 m 79, 75 kg, musclé. Le sujet porte constamment un masque blanc équipé de nano transmission qui empêche toute identification faciale. Le sujet est capable de contrôler la pression de l'air, et ainsi générer des tempêtes et de dangereuses tornades. Intérêt pour la BMRA : prioritaire.

Walter Penfrom

Walter Penfrom, alias Smell, sexe masculin, né le 15/09/2083 (33 ans) à Dunbar, Britannie de l'Ouest. Présent à HOPE depuis 1 an et 3 mois. Famille tuée. Activité : garde du corps, agent d'intervention. Description : cheveux teints en violet courts, yeux dissimulés par der nanolunettes pour personne aveugle, 1 m 84, 76 kg. Don : hyperosmie. Le sujet est doté d'un puissant odorat lui permettant de ressentir toutes les odeurs sur plusieurs kilomètres. Il peut visualiser son environnement grâce à son odorat malgré sa cécité de naissance causée par son don. Intérêt pour la BMRA : élevé.

Jane Roselys

Jane Roselys, alias Ann Sinclair, sexe féminin, née le 04/02/1338 (778 ans) à Paris, France. Présente à HOPE depuis l'origine. Famille connue. Activité : comtesse douairière de Roselys et d'Artois jusqu'en 2102, agent infiltré à la BMRA, directrice de la section Alpha du projet HOPE. Description : cheveux grisonnants coiffés en chignon, yeux bleu-gris, 1 m 83, 68 kg. Don : données manquantes. Intérêt pour la BMRA : capital.

Sidonie Wallorn

Sidonie Wallorn, sexe féminin, âge, date et lieu de naissance inconnus. Présente à HOPE depuis 5 minutes. Famille inconnue hormis son amant Kahlan Raven. Description : cheveux roux longs, yeux bleus, 1 m 75, 61 kg. Don : chronokisénie catalyste. Le sujet est capable de retourner dans le passé ou le futur seul ou accompagné à l'aide d'un pendentif en forme de montre à gousset jouant le rôle de catalyseur. Le danger est élevé en cas de modification sévère du continuum espace-temps, pouvant créer des paradoxes, des destructions psychiques irréversibles, perte de mémoire, déconnexion avec la réalité et risque accru d'anosognosie. Intérêt pour la BMRA : capital.

Lucas Stweeman

Lucas de Roselys, alias Lucas Stweeman lorsqu'il résidait à NickroN Renaissance, sexe masculin, né le 14/03/2088 (28 ans) à Arras, Empire Europa. Famille connue, descendant direct de Jane Roselys. Activité : héritier déchu du comté de Roselys et d'Artois. Description connue : cheveux blonds longs, yeux bleus, 1 m 79, 71 kg. Don : catalyste d'énergie. Le sujet peut contrôler l'énergie matérialisée à l'aide d'un catalyseur métallique en adamantium. Don passif de vieillissement ralenti. Intérêt pour la BMRA : capital.

Personne

Données en cours d'élaboration.

Drew Carter

KILLED

Satine Faknir

KILLED

Cole Grant

KILLED

Billy Nettelstroth

KILLED

Sidonie regarda défiler les portraits des quatre individus marqués d’un « Killed » en rouge. Ces visages figés dans la mort semblaient pourtant encore chargés d’histoires, des récits d’une lutte à laquelle elle allait désormais être mêlée.

Le premier, Drew Carter, avec son charme juvénile et ses cheveux blond vénitien, paraissait insouciant, mais Sidonie devina qu’il avait été bien plus complexe qu’il n’y paraissait.

Le second, Satine Faknir, était plus intrigante, avec son visage impassible et ses cheveux bruns tirés en arrière. Elle semblait distante, comme si elle avait porté le poids d’un secret trop lourd.

Cole Grant, la soixantaine, paraissait imposant de charisme. Ses cheveux blancs et son bouc soigneusement taillé lui donnaient l’allure d’un homme de pouvoir, quelqu’un qui avait peut-être joué un rôle stratégique avant de tomber.

Enfin, Billy Nettelstroth, dont le visage était marqué par des cicatrices, dégageait une dureté presque terrifiante. Ses yeux bleus glacés transperçaient l’écran, comme s’ils contenaient une rage encore vivante malgré sa mort.

 

Ces personnes avaient toutes été des membres de cette résistance, des gens qui, comme elle, avaient choisi de combattre. Et pourtant, ils étaient tombés, victimes de la BMRA et de la trahison.

Sidonie prit un moment pour digérer cette douloureuse fatalité. La lutte provoquait des drames et des tragédies, et les visages des variants exécutés accentuaient davantage son appréhension et son malaise.

  • Comment sont-ils morts ? demanda-t-elle, essayant de ne pas laisser paraître son trouble.

  • Tués par des renégats, répondit Jane en masquant sa colère. Ces mutants ont choisi de se vendre à la BMRA. Ils traquent les nôtres, croyant que cela leur épargnera la mort ou leur assurera une place dans ce « nouvel ordre » que nous impose la BMRA depuis tant d’années. La perte récente des quatre personnes a profondément marqué l’équipe, mais n’allez pas croire que je me laisse submerger par l’émotion. Chaque visage sur cette liste nous rappelle que le moindre faux pas peut nous coûter la vie, même pour des gens comme nous.

 

Au même moment, Hannah croisa les bras, observant Walter et Hiro avec un mélange d’agacement et de curiosité. Elle n’avait toujours pas compris pourquoi Jane gardait tant de mystère autour de cette nouvelle venue, Sidonie.

  • Jane ne nous a pas parlé de cette nouvelle recrue, hormis à vous deux, dit Hannah en replaçant une mèche derrière son oreille. C’est étrange.

  • ​Nous obéissons aux ordres, répondit martialement Walter.

  • En tout cas, elle me plaît, déclara Hiro en souriant, un air malicieux sur le visage.

 

Hannah leva les yeux au ciel, visiblement irritée, tandis que Walter soupira.

  • Hiro, tu ne peux vraiment pas être sérieux deux minutes ?!

  • Jalouse ? répliqua Hiro.

  • Pas du tout, je m’en fiche, rétorqua-t-elle en se calmant un peu. Comment s’est passée son extraction ?

  • Comme d’habitude, répondit Walter d’un ton glacial. Enlèvement, explications, acceptation. Et contrairement à nous autres, cette fille, Sidonie, paraît spéciale, surtout aux yeux de Jane.

  • Pourquoi dis-tu cela ? s’étonna Hannah.

  • Je le sens, c’est tout. Elle manipule un don temporel extraordinairement dangereux. Et elle n’a aucune compétence en combat. Nous verrons bien ce que décidera Jane.

  • Bon, assez parlé, s’impatienta Hiro. Je suis crevé, j’ai faim, et j’aimerais me changer.

Jane et Sidonie finirent par apparaître devant le petit groupe. Hannah irradia Sidonie d’un sourire accueillant, digne de la réputation bienveillante que la majorité de ses camarades lui accordait. La nouvelle recrue, peu adepte des sourires forcés et des mondanités, se contenta d’un bref signe de tête. Elle voyait la politesse comme une forme déguisée d’hypocrisie, mais tout de même utile. 

Après avoir scanné le badge d’accès d’Hannah, la porte s’ouvrit en silence, révélant un intérieur à la fois moderne et sophistiqué. Les lignes épurées des meubles et la lumière douce se mêlaient harmonieusement avec la technologie de pointe qui imprégnait chaque recoin.

Une voix féminine mécanique, familière et pourtant légèrement déshumanisée, résonna doucement dans l’air.

  • Bienvenue dans la résidence HOPE. La température ambiante est de vingt-quatre degrés Celsius. La sécurité intérieure et extérieure est optimale.

  • Messieurs, ce sera tout pour l'instant, ordonna Jane.

 

Hiro et Walter obtempérèrent sans un mot. Ils s’éloignèrent après un simple signe de tête, laissant les trois femmes seules dans l’immense hall marbré, où chaque détail semblait avoir été pensé pour marier fonctionnalité et esthétique.

Le moindre son semblait calculé, comme si aucune improvisation n’était possible ici. Pourtant, malgré ce confort et cette sécurité apparente, Sidonie ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine oppression.

Jane, elle, paraissait totalement à l’aise dans ce cadre rigide. Sa démarche assurée et son regard froid trahissaient une habitude presque routinière de ce genre de dispositif. Sans un mot de plus, elle fit un signe à Sidonie pour qu’elle avance.

À sa droite, un escalier élégant menait à l’étage supérieur, probablement là où se trouvaient les chambres des résidents. La cuisine, à gauche, brillait sous les lumières tamisées, ses deux réfrigérateurs imposants et ses appareils dernier cri parfaitement intégrés à la pièce ouverte. L’ensemble respirait la modernité, mais aussi une froideur calculée.

Devant la cuisine, la grande table en bois massif attira son attention. Dix places, exactement ce qu’il fallait pour les résidents d’HOPE, site Alpha. Au-dessus d’elle, une œuvre d’art immense trônait, probablement un vestige de l’aviation du XXIᵉ siècle, ses nuances anthracites et grises renforçant l’atmosphère solennelle de la pièce. Sidonie se sentit petite en traversant cet espace baigné de lumière et dominé par ces murs aux tons métalliques.

Son regard fut attiré par un écriteau en face de l’escalier. Éphésiens 6:12, gravé dans le marbre : « Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes. » Un frisson la parcourut. Ce verset, lourd de sens, résonnait profondément avec ce qu’elle vivait. Une devise, peut-être, pour cette communauté étrange qu’elle venait de rejoindre.

En se retournant, Sidonie aperçut le salon derrière un mur discret. L’espace, spacieux et parfaitement aménagé, était centré autour d’une cheminée en pierre ancienne, contrastant avec l’écran holographique moderne au-dessus. Les canapés, aux formes carrées et épurées, invitaient à la détente, même si l’atmosphère restait tendue, comme si chaque recoin du lieu avait une fonction précise, un objectif déterminé.

La « Salle Enigma » à droite du salon, marquée par une porte discrète, suscita sa curiosité. Laboratoire médical, centre numérique, ce lieu semblait être le cœur opérationnel d’HOPE. Tout y était aseptisé, chaque mur, chaque meuble, chaque élément respirait la précision froide et calculée.

La lumière naturelle, filtrant à travers les immenses baies vitrées, baignait la pièce, renforçant l’impression d’espace et de grandeur. L’immense jardin extérieur s’étendait à perte de vue, semblant presque se fondre avec l’intérieur.

La nouvelle recrue ressentit un malaise profond. Cet endroit respirait un contrôle absolu, une surveillance omniprésente. 

Jane, qui l’avait précédée, déposa nonchalamment son sac sur le plan de travail. Elle se dirigea d’un pas décidé vers la grande table, comme si chaque mouvement avait été anticipé. Sidonie remarqua l’absence de Martha et de Sarah, souvent présentes à cette heure.

Elle se sentait toujours aussi étrangère à cet environnement, en décalage avec cette vie calculée et millimétrée.

  • Hannah, veuillez accompagner Sidonie dans sa chambre. Je vous donne trente minutes pour vous installer et prendre vos marques. Ensuite, nous nous réunirons pour un débriefing et le petit-déjeuner.

  • Oui, madame, répondit Hannah sans la moindre hésitation.

 

Hannah, après avoir lancé un sourire en guise d’invitation, guida Sidonie dans le silence. Lorsque Jane s’éloigna, Sidonie soupira discrètement, ressentant comme un soulagement soudain. La pression qui pesait sur ses épaules semblait s’alléger à mesure qu’elle s’éloignait de la présence imposante de Jane.

En montant le grand escalier moderne qui dominait le hall, Sidonie ne put s’empêcher d’admirer l’architecture, bien qu’un bref vertige la saisisse en regardant la hauteur. Elle préféra fixer son attention sur Hannah, qui marchait avec assurance quelques pas devant elle. Une étrange sensation l’envahissait en présence de la jeune femme, sans qu’elle parvienne à en identifier la cause.

Arrivées à l’étage, Sidonie découvrit un long couloir où les chambres étaient parfaitement alignées, chacune portant le nom de son occupant gravé sur la porte. Hannah s’arrêta devant une porte qui portait désormais le nom de Sidonie, et l’ouvrit d’un geste fluide.

L’intérieur de la chambre reflétait l’élégance et le minimalisme du reste de HOPE. Un grand lit double trônait au centre, recouvert de draps d’un blanc éclatant. Face au lit, un dispositif holographique était encastré dans le mur, accompagné d’une petite commande et d’une lampe. La pièce baignait dans une lumière naturelle, filtrée par une large baie vitrée qui offrait une vue imprenable sur le jardin. Les stores, d’un blanc immaculé, ajoutaient une touche de douceur, créant une atmosphère paisible, en contraste avec la tension que Sidonie ressentait encore intérieurement.

Hannah observa Sidonie cacher rapidement son pendentif. Elle brisa le silence, avec un ton bienveillant, face à une Sidonie murée dans une position défensive et méfiante.

  • Bien, je te laisse prendre tes marques. N’oublie pas, on se retrouve dans trente minutes pour le déjeuner.

  • Je sais, merci, répliqua Sidonie d'un ton sec.

  • Je suis consciente que tout ceci te paraît soudain et nouveau. N’hésite pas à m’appeler si tu veux qu’on discute.

Sidonie hésita un instant, avant de laisser sa curiosité prendre le dessus.

  • Qui est l’homme masqué ? Cet Andras Visarin ?

Le visage d’Hannah perdit tout à coup sa bonne humeur.

  • C’est un mercenaire, un pilote et un pirate informatique très connu. Personne ne connaît son véritable visage, et tout le monde le considère comme fou à lier. Il ne me porte pas particulièrement dans son cœur, et je m’en porte mieux. Il est étrange, impulsif, et je préfère ne pas rester en sa présence.

  • D’accord. C’est mieux de le savoir. À plus tard.

 

Lorsque Hannah quitta la chambre, Sidonie se retrouva enfin seule face à cet environnement luxueux et trop parfait. Elle jeta un dernier regard à la pièce, puis ses yeux se fixèrent instinctivement sur son pendentif, qu’elle serra dans sa main comme pour se rassurer. Un soupir profond s’échappa de ses lèvres.

 

Sidonie, lasse et épuisée par les événements des dernières heures, se dirigea vers le lit, traînant ses affaires à la main. Tout ce qu’elle désirait, c’était plonger dans les draps après une longue douche chaude. Elle laissa son sac tomber au sol, retira sa veste et se jeta dans le lit moelleux. Le confort de ce grand lit, bien loin des matelas inconfortables des refuges et des hôtels miteux qu’elle avait connus, la surprit.

Elle retira délicatement son pendentif, qu’elle posa sur la table de chevet à côté d’une pendule au design ancien et d’une lampe moderne à intensité réglable. Allongée sur le lit, elle laissa sa main glisser sur le tissu doux, un luxe auquel elle n’était plus habituée. Après un moment, elle se redressa, fouilla dans son sac pour en sortir quelques vêtements propres, et se dirigea vers la salle de bain.

La pièce, aussi spacieuse que le reste de la chambre, dégageait une sensation de calme. Une douche à l’italienne en marbre noir occupait un large espace. Des serviettes blanches soigneusement pliées reposaient sur une étagère, aux côtés de gels douche et shampoings soigneusement alignés. Tout semblait si parfait, si irréel. Sidonie resta un instant immobile, se demandant combien de temps ce confort durerait avant de se dissiper.

Elle se déshabilla et ouvrit le robinet. L’eau chaude coula immédiatement, emplissant la pièce de vapeur. Sidonie se laissa glisser sous le jet brûlant, espérant que la chaleur apaiserait son corps et son esprit. Mais à mesure que l’eau ruisselait sur sa peau, une lourdeur différente s’installa en elle.

Les larmes commencèrent à couler sans qu’elle ne puisse les retenir, se mêlant à l’eau qui descendait sur son visage. Elle ne savait pas si c’était le contre-coup de la nuit passée ou un sentiment plus profond, enfoui depuis longtemps. Kahlan lui manquait terriblement. Cette absence qui, au fil du temps, l’avait rendue plus fragile. Dans la chaleur et la vapeur, un souvenir émergea.

Sidonie sentait ses mains se poser délicatement sur la peau de Kahlan. Il était séduisant avec ses longs cheveux noirs attachés, une barbe naissante et une musculature digne d’un athlète, qui cachait pourtant une douceur et un amour pour Sidonie aussi infinis que le temps lui-même. Il admirait la grâce et la beauté de Sidonie, surtout ses cheveux roux qu’il aimait tant caresser. La jeune femme craquait littéralement devant le corps puissant de son amant, son seul et unique amour, à la fois protecteur et rassurant.

Nus tous les deux, il la serrait contre lui tandis que ses doigts parcouraient sa chevelure. Il l’embrassa tendrement dans le cou, remontant jusqu’à son oreille, où il lui murmura combien il l’aimait.

Sidonie tourna doucement la tête, un sourire de bonheur éclairant ses lèvres. Leurs regards se croisèrent, et cette fois, Kahlan ne fuyait plus. Son regard était calme, momentanément libéré des démons qui le hantaient. Les deux amants s’embrassèrent passionnément, leurs baisers se prolongeant dans cette bulle de douceur et d’intimité, tandis que la vapeur d’eau enveloppait la pièce, comme pour les protéger du monde extérieur. Ce moment partagé, empreint d’amour et de complicité, rendit cette nuit tout simplement merveilleuse.

Les souvenirs s’entremêlèrent dans l’esprit de Sidonie, la ramenant brutalement à un autre moment douloureux. Ses lèvres se mirent à trembler, incapables de contenir l’émotion qui montait en elle. Ses sanglots devinrent plus intenses, et les larmes, comme un torrent incontrôlable, coulèrent de nouveau sur son joli visage. Le poids du passé la submergeait.

 

Elle revoyait avec une clarté presque cruelle les derniers instants passés avec Kahlan avant son départ. Ce fut l’une des conversations les plus déchirantes de sa vie, une confrontation où chaque mot semblait creuser un fossé plus profond entre eux. Elle se souvenait de son regard, de la tension dans l’air, de l’incertitude qui pesait sur leurs cœurs. Sidonie aurait tout donné pour changer le cours de cette discussion, pour retenir Kahlan un peu plus longtemps, mais le destin en avait décidé autrement.

  • Pourquoi tu pars, Sidonie, dit Kahlan, POURQUOI ?!

 

Cette question, posée avec une telle intensité, la blessait plus qu’elle n’osait l’avouer. Mais elle avait l’impression de n’avoir pas d’autre choix. Elle devait partir, et même si cela signifiait tout perdre, elle ne pouvait pas rester. Kahlan, lui, ne comprenait pas.

  • Je dois le faire, Kahlan. Je n’ai pas le choix, avait-elle répondu, les mots lourds de regret.

  • Et nous dans tout ça ? Je ne veux pas que tu partes, que tu ailles encore vers de nouveaux périples uniquement pour voir si ça ira mieux demain. Vis dans le présent avec moi, Sid’ !

 

Mais Sidonie restait silencieuse. Chaque mot était un coup de plus contre son cœur déjà fragilisé. Elle ne voulait pas partir, mais elle en était convaincue : c’était la seule chose à faire.

  • Tu es toute ma vie, lui avait-il dit. Comment dois-je te prouver que je t’aime pour ne pas me laisser tomber ici ?

 

Sidonie tourna la tête, les larmes brûlant ses joues. Elle l’aimait, mais la situation les dépassait tous les deux. Elle lui devait la vérité, mais elle ne pouvait pas la formuler autrement que par ce baiser d’adieu. 

 

  • Je reviendrai, Kahlan, avait-elle murmuré avant de s’enfuir, le cœur en miettes.

Le cri de Kahlan, hurlant son nom dans le hall de l’immeuble, fut la dernière chose qu’elle entendit avant de disparaître. Son « Siiiiiiid » déchiré resta gravé en elle, tout comme la colère et la tristesse qu’elle savait qu’il ressentirait.

Ce jour-là, en prenant son pendentif avant de partir, Sidonie avait laissé derrière elle bien plus qu’un homme aimant : elle avait laissé une partie de son âme.

***

Sidonie fut brutalement tirée de ses pensées par la voix synthétique de l’intelligence artificielle HOPE, l’arrachant à ce douloureux moment de réminiscence :

  • Attention, quantité d’eau chaude autorisée dépassée. Veuillez couper le robinet sous peine d’astreinte temporaire.

 

Elle s’exécuta immédiatement, terminant sa douche sans réaliser qu’il lui restait peu de temps avant le rendez-vous. En silence, Sidonie se sécha rapidement avec une serviette. Son visage, encore marqué par les larmes, retrouva un masque neutre tandis qu’elle tentait de composer une apparence plus présentable. Elle enfila une robe rouge longue, simple mais élégante, ajustée par une petite ceinture noire à la taille, préparée pour elle à l’avance. Après avoir choisi une paire de chaussures sobres, elle remit son pendentif autour de son cou, un geste machinal qui lui apportait un semblant de réconfort. Son instinct lui dictait qu’il lui serait toujours possible de fuir dans un autre espace-temps au moindre problème.

Sidonie prit une grande inspiration avant de descendre l’escalier. Les autres résidents étaient déjà installés autour de la grande table de la salle à manger, plongés dans un silence pesant. Ses battements de cœur s’accélérèrent à l’idée d’être dévisagée par tant d’inconnus en même temps. Elle ne craignait pas le jugement ; sa stratégie habituelle consistait à se fondre dans le décor et passer inaperçue. Mais cette fois, elle pressentait que cela ne fonctionnerait pas.

Hiro fut le premier à remarquer son arrivée. Il resta figé devant la beauté de la nouvelle venue, captivé par l’élégance discrète qu’elle dégageait désormais. Walter, privé de la vue, se fiait à ses autres sens. Il perçut le parfum du gel douche, celui du shampoing, et même l’odeur subtile de l’or et du verre de sa montre à gousset.

Les deux hommes se tenaient côte à côte, tandis que Sarah et Jane occupaient le bout de la table. Hannah, assise en face d’Hiro et Walter, esquissa un énième sourire chaleureux à l’intention de Sidonie, visiblement satisfaite de sa tenue.

Aux côtés d’Hannah se trouvait une jeune femme à la peau sombre, grande, les cheveux tressés et attachés en queue de cheval. Sidonie reconnut Martha Moore, aperçue plus tôt dans la présentation des résidents du site Alpha. Martha ne daigna même pas lever les yeux de son écran, absorbée par ses lectures avec une mine renfrognée. Lorsqu’enfin son regard croisa celui de Sidonie, il n’y eut ni accueil ni chaleur : seulement un mépris palpable, froid et silencieux. Sidonie comprit instantanément que cette femme lui causerait des problèmes.

Sarah Garden, plus petite et moins athlétique, ne mesurait qu’un mètre cinquante-neuf. Elle était plongée dans l’analyse des données pour la prochaine mission. Des mèches de ses cheveux blonds argentés masquaient son œil droit, tandis que son visage rond, associé à son choix vestimentaire exclusivement noir, la démarquait des autres. Cette couleur reflétait son désintérêt total pour tout ce qui relevait de l’image ou de la mode.

L’une des cicatrices les plus marquantes de Sarah était son œil droit, crevé durant son enfance par une profonde entaille reçue lors d’une agression. Elle dissimulait cette terrible blessure avec ses cheveux ou un cache-œil lorsqu’elle quittait la maison. Aujourd’hui, elle travaillait avec une concentration intense, fixant son écran sans jamais lever le regard. Ses doigts frôlaient à peine le clavier tactile, l’écran réagissant à ses commandes avec une rapidité presque surnaturelle. Elle lança un bref regard à Sidonie, sans aucune expression discernable, préférant attendre que Jane fasse les présentations en bonne et due forme.

Sidonie, en silence, s’approcha du groupe.

  • Veuillez-vous assoir, Sidonie, dit simplement Jane.

 

Sidonie s’exécuta et prit place en bout de table, à l’opposé de Jane. Devant elle s’étalait un véritable festin : bacon, œufs frits, légumes, fruits… Un repas digne des anciens hôtels de luxe, qui éveilla son admiration. Elle réalisa à quel point elle avait été privée de ce genre d’abondance, et son esprit vagabonda brièvement vers ceux qui n’avaient même pas accès à un simple bol de riz. Dans ces temps de pénurie et d’inflation, ce contraste entre un luxe insolent et la vie modeste qu’elle avait connue lui apparut brutalement.

Lorsque Jane prit la parole, Sarah et Martha cessèrent aussitôt leurs occupations pour lui prêter toute leur attention.

  • Très bien. Je vous présente Sidonie Wallorn, notre nouvelle recrue. Si vous souhaitez plus de renseignements sur ses facultés, veuillez consulter le rapport L3291 sur la Chronokinésie. Et pour éviter toute question futile, j’ai déjà présenté chacun d’entre vous à mademoiselle Wallorn à l’aide de vos fiches respectives. Je vous demande de l’accueillir comme il se doit et de lui témoigner le même respect qu’à moi. Des questions ?

Un murmure d’assentiment parcourut la table, accompagné de hochements de tête. Pourtant, les réactions différaient. Martha observait Sidonie d’un œil méfiant, comme si elle jaugeait une possible rivale, tandis qu’Hannah lui adressa un sourire bienveillant, offrant un contraste apaisant. Sarah resta impassible, tandis qu’Hiro la dévisageait d’un regard rieur. Walter, lui, ne la regardait pas directement, sa tête étant simplement orientée vers l’avant.

  • Dans ce cas, reprit Jane. Sidonie, sachez qu’ici nous apprécions l’ordre et la rigueur, car vous devez garder à l’esprit qu’une lutte pour la survie de nos semblables se joue à chaque instant. Mangeons, puis nous passerons au briefing.

 

Le silence qui suivit fut pesant, interrompu seulement par le bruit des tasses, des couverts et des verres. Ce calme méthodique accentuait le malaise de Sidonie. Elle se sentait étrangère dans cet environnement presque militaire, où chaque geste semblait calculé, approuvé et toléré par Jane, et où la convivialité semblait avoir déserté la pièce depuis longtemps.

Cependant, malgré cette atmosphère tendue, Sidonie savoura son déjeuner. Elle veilla à ne pas paraître vorace, mais se délecta de chaque bouchée. C’était une bénédiction après tout ce temps sans véritable repas. Son esprit fit un bref retour à ces lieux moins hospitaliers, remplis de compagnons peu recommandables. Ici, l’ambiance était différente, mais tout aussi oppressante.

  • HOPE, dit Jane d'une voix ferme, présente le mutant 4830.

 

Sidonie réprima une grimace de déplaisir à l’entente de ce terme déshumanisant. Jane parlait de Lucas, son descendant, comme s’il n’était qu’un numéro, réduit à une simple désignation. Lorsque l’hologramme apparut au centre de la table, Sidonie reconnut immédiatement le visage du jeune homme blond, ciselé comme le marbre des statues antiques. Celui qu’elle avait rencontré à NickroN Renaissance. Lucas, avec ses longs cheveux dorés et son regard imprégné d’une tristesse qu’il peinait à dissimuler, ressemblait à un ange déchu, un héritier qui avait choisi l’exil plutôt que la soumission.

Sidonie observa discrètement les autres membres du groupe. Tous fixaient l’image et les informations projetées par l’hologramme, analysant chaque détail. Ce fut surtout le regard d’Hannah qui retint son attention : ses yeux brillaient d’une admiration à peine voilée, mêlée de surprise. Visiblement, elle ne s’attendait pas à voir un jeune homme aussi séduisant, et son expression trahissait sa curiosité naissante.

HOPE poursuivit, affichant toutes les données disponibles sur Lucas que Sidonie avait déjà parcourues dans la voiture. Le silence retomba une fois l’exposé terminé, jusqu’à ce que Walter rompe enfin le calme pesant d’une voix grave.

  • Comment a-t-il pu se cacher durant trois ans ? demanda Walter, l’air dubitatif.

  • Mon cher Walter, commença Jane en tirant calmement sur sa cigarette, contrairement aux idées reçues, les professeurs de NickroN enseignaient à leurs élèves diverses techniques pour se fondre dans la masse. Je parle en connaissance de cause. Mon descendant n’a pas échappé à cette règle, et c’est pour cela qu’il a été extrêmement difficile de le localiser jusqu’à maintenant. C’est à vous, Sarah.

La jeune femme détestait prendre la parole en public. Elle bafouilla dès le début, expliquant qu’elle avait comparé la dernière photo connue de Lucas Roselys auprès de millions de bases de données, autorités publiques, entreprises de sécurité privée, et divers canaux de communication. Elle avait trouvé une correspondance partielle avec un portrait de lui sur un site de rencontres. Il se faisait appeler Donovan et indiquait résider à Seattle. Des recherches croisées avaient confirmé qu’il travaillait discrètement comme préparateur de commandes sur le port, un emploi idéal pour passer inaperçu.

Sidonie observa Jane, qui ne cachait pas sa déception. Elle semblait peinée qu’il ait pu s’abaisser à chercher des rencontres virtuelles, elle qui le pensait au-dessus de ce genre de futilité. Mais son visage resta digne et froid, jusqu’à ce que Sarah révèle un détail inattendu.

  • Lucas aurait échangé avec dix profils, mais un en particulier a retenu son attention. Un homme du nom d’Ethan, âgé de vingt-cinq ans.

  • Un mec ? s’exclama Hiro, surpris par la révélation.

Même si l’homosexualité n’était plus un crime et restait moralement acceptée dans la plupart des pays civilisés, la IIIe Guerre mondiale avait ravivé un conservatisme féroce et un culte de la natalité. Les homosexuels étaient ainsi considérés comme inutiles, déviants, voire dangereux, car trop proches de la cause pro-variante. 

Après un court silence, Hannah intervint.

  • Quoi ? Ce n’est pas ton type, Hiro ? se moqua-t-elle avec un sourire en coin.

  • Hey ! s’insurgea Hiro. C’est toi qui es à fond sur les blonds, Hannah…

  • Cessez immédiatement vos gamineries, ordonna Jane d’une voix sèche. Sarah, terminez.

 

Hiro lança un regard réprobateur à Hannah, piqué par la moquerie de sa collègue. Lors de cet échange banal, Sidonie nota ces éléments dans un coin de son esprit, car l'humour pouvait dissimuler la vérité. Jane avait ordonné le silence, et cela ne souffrait aucune contestation.

Sidonie écoutait avec un malaise grandissant. Sarah avait extrait sans aucune hésitation l’intégralité des échanges personnels de Lucas, exposant sa vie privée comme une banale information logistique. Un dégoût lui monta aux lèvres, qu’elle peina à contenir. Pourtant, dans la voix de Sarah, Sidonie détecta un infime regret, presque imperceptible, bien que son visage reste impassible.

Elle observa ensuite Jane. Cette femme, avec sa posture souveraine et son regard d’acier, semblait considérer l’amour comme une faiblesse, un luxe inutile face aux devoirs imposés par la société. Dans le monde de la comtesse douairière de Roselys, héritage d’une époque où les mariages étaient des instruments d’alliance, les sentiments étaient secondaires, presque insignifiants. L’homosexualité de Lucas ne l’aurait probablement pas dérangée s’il avait seulement accepté de perpétuer la fragile lignée des Roselys par n’importe quel moyen.

  • Bien. Puisque nous savons où se trouve ce petit impertinent, c’est là que vous intervenez, Sidonie, lança Jane en la fixant.

Sidonie resta figée, surprise par la tournure de la conversation. Elle sentit les regards peser sur elle, chacun attendant sa réaction.

  • Comment ? rétorqua-t-elle, irritée. Je manipule le temps, pas la géolocalisation d’individus.

 

Jane, impassible, prit une longue bouffée de cigarette, laissant s’échapper plusieurs cercles de fumée parfaitement maîtrisés. Elle parlait d’une voix douce, mais chaque syllabe résonnait comme un ordre déguisé en bienveillance.

 

  • Utilisez votre imagination, ma chère. Ce n’est pas la première personne que vous recherchez. Et vous avez tout le temps nécessaire pour y parvenir à l'aide de votre don temporel.

 

Sidonie retint un soupir. Elle connaissait ce genre d’injonction, faussement polie mais indiscutable. Elle tourna les yeux vers Hannah, qui lui adressa un sourire apaisant, comme pour désamorcer la tension. Pourtant, l’expression de Sidonie resta fermée. Pendant un instant, elle crut qu’Hannah allait parler, mais celle-ci porta simplement son verre à ses lèvres, un geste qui semblait plus lourd de sens qu’il n’y paraissait.

La scène était étrange. Un silence flottait, comme si chacun retenait son souffle en attendant la réaction de Sidonie.

Jane fixa Sidonie de ses yeux perçants, un mince sourire s’étirant sur ses lèvres. Elle sentait que quelque chose troublait la jeune femme, et son instinct aiguisé lui dictait que Sidonie n’était pas à l’aise avec ses directives.

 

  • Vous hésitez, Sidonie ? demanda Jane d’une voix douce mais lourde de sous-entendus, tout en écrasant le mégot de sa cigarette avec une précision calculée.

Sidonie releva les yeux vers elle. Le silence dans la pièce devint pesant, chaque membre de l’équipe observant cette interaction sans oser intervenir. Martha restait tendue, ses doigts crispés sur le dossier de sa chaise, tandis qu’Hannah semblait surveiller la situation avec une vigilance plus subtile.

  • Je ne pense pas être la bonne personne pour faire ce que vous demandez, répondit franchement Sidonie.

  • Votre naïveté et votre modestie sont malvenues, ma chère, répliqua Jane d’un ton plus maternel. Lucas ne doit en aucun cas tomber entre les mains de la BMRA. Je vous laisse le choix de la méthode, tant que vous atteignez cet objectif : Lucas doit être ramené à HOPE, sain et sauf. N’espérez aucune aide si vous échouez. 

 

Jane marqua une petite pause, reprenant une nouvelle cigarette.

  • Le temps joue contre vous, Sidonie. Vous avez trente jours pour ramener Lucas à HOPE, sinon il sera trop tard, dit-elle de manière énigmatique. Hannah et Martha vous assisteront dans vos recherches.

  • Madame ? s’étonna Martha, le visage crispé, qui n’appréciait guère l’idée de faire équipe avec une inconnue.

  • Très bien, répondit Hannah, ravie de faire équipe avec Martha et Sidonie.

Jane remarqua la surprise de Martha, mais l’éluda pour continuer à donner ses ordres.

  • Sarah, vous leur communiquerez toutes les informations utiles avant leur départ, indiqua Jane.

  • À vos ordres, répondit-elle machinalement.

Sidonie, bouillonnante de mépris, ne put s’empêcher d’exploser.

  • Pourquoi êtes-vous aussi tyrannique, Jane ?!

  • Veuillez nous laisser, je vous prie. Tous, ordonna Jane avec fermeté.

Sidonie, encore immobile face à Jane, sentit un frisson d’angoisse la traverser. Le départ des autres la laissa seule avec cette femme dont l’aura d’autorité et de contrôle pesait sur ses épaules. Elle se souvenait de Lucas comme d’un ami bienveillant, quelqu’un qui avait fui pour retrouver une liberté à laquelle il aspirait, loin du chaos. Se plier aux ordres de Jane, qui voyait Lucas uniquement comme un élément stratégique, la révoltait intérieurement.

Une fois la pièce vidée, Jane se leva calmement, les cendres de sa cigarette se dispersant lentement dans l’air.

 

  • Sidonie, j’ose espérer que le jugement que vous venez de porter, devant presque tous mes subordonnés, n’est pas destiné à bafouer mon autorité et l’ordre établi ? 

  • Je ne comprendrais jamais pourquoi ils vous obéissent au doigt et à l’œil, finit par répondre Sidonie, résignée.

Jane se plaça au-dessus de Sidonie, comme lors de leurs retrouvailles. Sidonie, consciente que sa rancœur risquait d’exploser, évitait soigneusement son regard.

 

  • Je saisis votre surprise, ma chère, répondit Jane d’un ton glacial. Vous pensez probablement que je suis une incapable qui s’amuse à défier l’une des agences les plus mortelles au monde. C’est vrai, la BMRA est dangereuse, Sidonie. Une femme dans ma position n’a pas besoin d’être aimée par ses subordonnés. Vos jugements sur mes méthodes m’importent peu. Pourquoi avez-vous pleuré ? demanda Jane d’une voix froide.

  • Cela ne vous regarde pas ! répondit Sidonie avec un mépris à peine dissimulé. Je suis ici, vous me protégez, et en échange, je sers vos intérêts. Le reste ne concerne que moi !

  • Vous pensez toujours à Kahlan Raven, c’est bien ça ? Croyez-vous vraiment qu’il voudra encore vous revoir après l’avoir abandonné ? Vous a-t-il avoué qu’Ambre Balsey s’était sacrifiée pour le sauver durant l’assaut de NickroN ?

 

Sidonie resta interdite un instant, la surprise peinte sur son visage.

  • Pardon ? murmura-t-elle, sous le choc.

  • Votre stupéfaction, prémices d'une jalousie féminine, m’amuse, reprit Jane, un sourire en coin. Je pensais que le sombre Kahlan vous aurait informée.

  • Qu’essayez-vous de faire, Jane ! répliqua Sidonie, les yeux flamboyants de colère.

  • Allons, inutile de vous emporter, Sidonie, répondit Jane calmement. La vérité est pourtant simple. Assumez vos choix plutôt que de les fuir. Vous n’imaginez pas un instant que vous êtes venue ici pour profiter du confort sans accomplir la mission que je viens de vous confier ?

 

Sidonie serra les poings sous la table, luttant pour garder son calme, mais elle resta silencieuse.

  • Allez-vous mettre tout en œuvre pour retrouver Lucas ? demanda Jane d’un ton plus direct.

 

La jeune femme hésita, ses pensées s’emmêlant. Finalement, elle se força à répondre, la voix à peine plus forte qu’un murmure.

 

  • Est-ce que j’ai vraiment le choix ? Et pourquoi l’obliger à revenir ici ?

Jane sourit, presque avec bienveillance.

  • Le choix n’est qu’une illusion, ma chère. Nous vivons des temps difficiles où nos désirs personnels passent après nos responsabilités. Toute ma vie, j’ai dû faire des choix qui exigeaient des sacrifices. Concernant Lucas, il est de ma lignée, de mon sang. Qu’il le veuille ou non, mon descendant représente une part de moi qui ne peut pas se permettre d’être perdue. Il a un rôle à jouer, bien plus grand qu’il ne l’imagine. Et je me dois de le protéger de ses propres erreurs.

Sidonie hocha la tête, la gorge serrée, réalisant que cette mission n’était qu’un autre rouage dans le plan de Jane. 

  • Si je n’avais aucun cœur, reprit Jane, j’aurais confié cette tâche à des gens moins subtils. Je préfère une approche plus douce pour qu’il nous rejoigne, car nous ne vivons pas en paix, ma chère. La BMRA, les variants, les luttes de pouvoir… Personne n’y échappe, pas même Lucas. Il a cru pouvoir fuir, mais c’est un mensonge, une illusion. La guerre ne laisse aucun répit, et s’il persiste à se cacher, il finira tôt ou tard par être broyé.

Sidonie hésita à nouveau avant de poser la question qui la taraudait.

 

  • Et s’il refuse ? Et s’il ne veut pas vous rejoindre ? Pourquoi ne l’avez-vous pas aidé durant toutes ces années ?

 

Jane la fixa froidement.

  • L’aider ! Lucas a toujours fui ses responsabilités incombant à un comte impérial de l’Empire Europa. Il n’a pas su y faire face, préférant fuir plutôt que d’affronter la vérité. Lucas n’est donc pas innocent, il a fait ses choix, comme vous. Le choix, Sidonie, n’est plus une option ici. Maintenant, poursuivit Jane, je vais vous offrir une motivation supplémentaire pour cette mission. Si vous vous engagez pleinement à retrouver mon descendant, il se pourrait que mes ressources à la BMRA me permettent de faire des recherches sur votre cher Kahlan. Je ne garantis pas son sort, bien sûr, mais cela pourrait accélérer les choses. Donnant-donnant.

 

Le cœur de Sidonie s’emballa. Cette proposition était à la fois tentante et odieuse.

 

  • On en viendrait presque à comprendre pourquoi la BMRA emploie des variants renégats pour ses basses besognes, répliqua-t-elle amèrement. Vous ne pouvez concevoir que nous souhaitons tracer notre propre voie, plutôt que d’obéir aveuglément aux ordres d’une autre personne !

  • Dois-je prendre votre réponse pour un « oui » ? demanda Jane avec un sourire narquois et des yeux inquisiteurs. Vous pouvez me haïr autant que vous le souhaitez, ça m’est égal. Mais sachez ceci : votre colère vous empêchera de faillir, et en fin de compte, vous obtiendrez ce que vous êtes venue chercher dans cet espace-temps.

Sidonie sentit sa rage monter davantage, chaque mot de Jane la frappant là où elle était la plus vulnérable. Comment les autres pouvaient-ils la supporter sans broncher ? Cette femme savait trop de choses sur elle, trop de secrets qu’elle manipulait à sa guise.

Jane s’avança, se baissant doucement jusqu’à ce que leurs visages soient à la même hauteur. Le regard perçant de Jane était insoutenable, comme si elle pouvait lire dans les pensées de Sidonie et y trouver la moindre faiblesse.

Jane marqua une petite pause avant de reprendre, implacable :

  • J’ai besoin d’une réponse. Allez-vous retrouver Lucas ? Je ne me contente pas de suppositions, je ne vis que de certitudes, Sidonie.

  • Oui, souffla-t-elle, détournant le regard.

 

Je se redresse, un sourire en coin.

  • Parfait. Je savais que vous seriez à la hauteur de mes espérances. Lucas a été votre ami, cela rendra vos retrouvailles… intéressantes. Et sachez-le, il n’y a jamais de coïncidence, dit-elle d’un ton énigmatique. Si Lucas revient sain et sauf à HOPE, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour retrouver Kahlan. N’oubliez pas, Sidonie : je tiens toujours mes promesses. Allez prendre un peu de repos, vous en avez besoin.

 

Sidonie se leva brusquement de sa chaise, prête à quitter la pièce en courant, mais la voix glaciale de Jane la retint.

 

  • Ah, une dernière chose. N’oubliez pas de reproduire votre boucle temporelle. Je serais attristée de vous voir disparaître. Vous devez me prévenir avant de vous retrouver dans votre cachette miteuse au Cecil Hotel.

 

Encore une fois, Sidonie se sentit prise au piège, contrainte de satisfaire les exigences de Jane. Cependant, cette fois-ci, elle décida de réagir avec une attitude provocatrice, ses yeux s’assombrissant.

 

  • Je pourrais en profiter pour tuer votre homologue dans le passé, lâcha-t-elle avec un regard défiant.

Jane sourit légèrement, imperturbable.

 

  • Essayez donc, mais ne faites pas l’erreur de sous-estimer ma détermination. Je n’hésiterai pas à éliminer un agent qui ose me défier ou me trahir, qu’il fasse partie de ma famille ou non. Et pour vos tentatives de provocation… Je n’agis jamais par caprice, Sidonie. Vous feriez bien d’en faire autant.

 

L’esprit de Sidonie bouillonnait, tiraillé entre la rage, le doute et l’urgence de prendre une décision. Elle savait qu’elle n’avait pas le luxe du choix.

  • Sidonie, reprit Jane calmement. Si vous n’effectuez pas cette boucle temporelle, vous disparaîtrez. J’ai passé beaucoup de temps à étudier les rapports de NickroN sur vos dons. Vous portez un fardeau complexe, certes, mais même notre intelligence artificielle, HOPE, n’a pas encore réussi à déchiffrer toutes les subtilités de vos pouvoirs. Et croyez-moi, elle explore des milliards de possibilités à chaque instant. Cependant, certaines choses échappent encore à son contrôle. Là-dessus, je compte sur vous.

  • Ravie d’apprendre que je ne suis qu’un sujet d’expérimentation pour vous et votre machine, répliqua Sidonie avec amertume.

  • Et pas n’importe lequel, répondit Jane avec légèreté. Mais je ne vous retiens pas plus longtemps. Le temps n’est pas notre allié cette fois.

 

Cette fois, Sidonie quitta la pièce en courant, désireuse de fuir Jane et de se réfugier dans sa chambre. Elle s’allongea sur le lit, se blottit contre les coussins et tira la couette de plumes jusqu’à son menton. Pleurer toutes les larmes de son corps ne servirait à rien. Son esprit, tourmenté, finit par s’abandonner à un sommeil agité.

Sidonie sombra dans un rêve si réel qu’elle pouvait percevoir chaque détail : l’odeur étouffante, les bruits lointains, et l’air lourd qu’elle déplaçait à chacun de ses gestes. Elle se trouvait dans une pièce sombre, étroite, un studio modeste. Elle le savait instinctivement : Lucas vivait ici. Il était allongé sur un lit inconfortable, le torse à découvert, simplement recouvert d’un drap mince. Son souffle régulier laissait penser qu’il dormait paisiblement, inconscient du sort qui l’attendait. Sidonie le regarda longuement, troublée par sa beauté intacte, comme si le temps avait épargné ses traits. 

 

Soudain, une sensation d’oppression envahit Sidonie. Dans la pénombre, deux yeux brillants fixaient Lucas avec une intensité prédatrice. Elle s’approcha, distinguant enfin une vieille femme au visage marqué par le temps, immobile dans l’ombre. Une aura malsaine émanait de cette inconnue, et Sidonie comprit immédiatement qu’elle n’était pas Jane, mais quelqu’un d’autre, animée par des intentions sinistres. La vieille femme observait Lucas avec un mélange de désir et de rancœur, son regard se gorgeant de vie volée. Doucement, elle souleva le drap qui recouvrait le jeune homme, déçue de ne pas le trouver nu. Elle posa alors sa main frêle et ridée sur son bras, ses ongles longs et acérés, semblables à des griffes, effleurant sa peau.

Le contact réveilla Lucas en sursaut. Clignant des yeux, il aperçut dans l’obscurité la silhouette de sa propriétaire, une femme qui avait pris l’habitude de pénétrer chez lui sans prévenir. Sidonie, invisible et impuissante, le regarda se redresser avec un mélange d’agacement et de dégoût. Il tira le drap sur son corps, gêné par la présence de cette intruse, avant d’allumer la lumière d’un geste nerveux. Son regard était brûlant de colère, mais la vieille femme ne se laissa pas impressionner. Elle le réduisit au silence, menaçant de l’expulser s’il osait protester. Lucas passa une main tremblante dans ses cheveux, son visage trahissant son angoisse.

Sidonie comprit rapidement que Lucas était en danger. La vieille femme exploitait sa vulnérabilité financière pour le harceler, menaçant sans cesse de le mettre à la rue. Elle lui demanda le loyer qu’il ne pouvait pas payer, son patron ayant encore une fois retardé son salaire. Incapable de réagir ou d’interférer, Sidonie assistait, désemparée, à cette scène dégradante. La vieille femme alla plus loin, proposant à Lucas de régler sa dette en échange d’un rapport sexuel.

Lucas blêmit, refusant catégoriquement de se soumettre à cette humiliation. Pourtant, une hésitation passa sur son visage : une heure de supplice pourrait lui offrir un court répit. Mais l’idée même de céder à cette ignoble proposition le dégoûtait profondément. Sidonie sentit son cœur se serrer devant le dilemme de son ami, impuissante face à cette situation abjecte. La vieille femme continuait de le manipuler, savourant son pouvoir sur lui, prête à profiter de sa position dominante.

Finalement, Lucas se ressaisit et promit de payer le lendemain, espérant éviter l’expulsion et, pire encore, d’être dénoncé à la BMRA.

Tout s’effaça dans un brouillard opaque. Sidonie, piégée dans ce cauchemar, réalisa à son réveil que ce rêve n’était pas qu’une simple illusion. Il reflétait une sombre réalité, une réalité qui lui échappait. Des larmes coulèrent sur ses joues alors qu’elle regrettait, plus que jamais, de ne pas avoir retrouvé Kahlan.

*San Marina est une ville futuriste de la Fédération Unie, située dans l’État du Texas. Fondée en 2062, elle abrite aujourd'hui plus de trois cent mille habitants. La ville se distingue par un développement technologique avancé, en faisant l'un des centres névralgiques de l'innovation dans une région encore accrochée aux traditions et à la morale.

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