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Chapitre 2 : « Les traces du passé »

Année 2116 | 24 octobre – 8 h 40, QG HOPE, Santa Monica - Los Angeles - Californie

La berline sombre s’immobilisa devant un portique de sécurité d'une sophistication impressionnante. Des caméras discrètes, des détecteurs thermiques couplés à des lasers aléatoires, ainsi que des capteurs volumétriques balayaient l’entrée principale et les murs d’enceinte. Contrairement aux résidences des élites, où les systèmes d’alarme sont parfois plus décoratifs qu'efficaces, le site Alpha HOPE était sous la protection d'une intelligence artificielle du même nom. HOPE gérait en autonomie toutes les défenses du domaine et supervisait également trois robots serviteurs chargés de la propreté et de la surveillance, un système rappelant celui d'Angélique, autrefois gardienne des refuges NickroN.

Devant Sidonie, à travers la vitre de la voiture, se dressait le portail imposant du domaine. Noir, massif, et conçu pour résister aux technologies d’attaque les plus avancées, il masquait complètement la vue sur l’immense habitation. À cela s’ajoutaient des détecteurs anti-drones et un brouilleur sophistiqué, rendant toute tentative d'espionnage ou de surveillance par le gouvernement fédéral quasiment impossible. La réputation de Jane en matière de prudence n’était pas usurpée — chaque détail du Projet semblait orchestré avec une minutie infaillible.

Hiro, carte d'accès en main, la passa devant un scanner. Alors que le portail silencieux s’ouvrait, il jeta un regard rapide autour de lui, s’assurant qu'aucun intrus ne tentait de s'infiltrer. À ses côtés, Walter ne réagissait à rien d'autre qu’aux odeurs ordinaires de la rue — l’effort des joggeurs au loin, et la fraîcheur des déjections canines sur le trottoir voisin. Dans le calme absolu, le portail coulissa presque imperceptiblement sur son rail, comme s'il cherchait à dissimuler l’existence même du domaine qu'il protégeait.

Sidonie apprécia la chaleur douce des rayons du soleil, après plusieurs jours de ténèbres et de mauvais temps. La pollution qui recouvrait la planète depuis la dernière guerre mondiale de 2059 n’était pas assez dense pour atténuer complètement la luminosité de ce jour.

Elle s'interrogeait encore. Pourquoi être venue ici ? Pourquoi avoir suivi Jane ? Depuis leur départ, Sidonie réfléchissait à cette boucle temporelle qu'elle devait boucler pour ne pas disparaître. Les raisons lui échappaient toujours, et ce mystère la plongeait dans un abîme de doutes et de peurs. Voyager dans d'autres espace-temps pouvait se révéler inutile, voire dangereux, car chaque modification des événements pouvait entraîner des conséquences imprévisibles.

Elle avait quatre jours. Quatre jours pour retourner dans le passé et avertir Jane. Si cette boucle n'était pas bouclée, Sidonie risquait de s’effacer de cette réalité, et le cours des événements pourrait en être gravement altéré. Sans son enlèvement au Cecil Hotel, tout serait différent, irréversiblement.

Bien qu’elle ait décidé de suivre Jane, la méfiance persistait en elle. L'angoisse, alimentée par la fatigue et les événements récents, pesait sur ses épaules. La présence même de Jane, cigarette en main, l'agaçait profondément. Il y avait chez Jane une autosuffisance et une arrogance naturelle, mais aussi un charisme indéniable. Son passé, empreint de décisions douteuses, ne faisait pas d'elle une personne bienveillante, mais son esprit de stratège restait impressionnant. Ancienne professeure à NickroN en 2103, Jane avait mystérieusement disparu avant la reconstruction du second institut dix ans plus tard, une absence qui intriguait Sidonie.

Quant à Hiro et Walter, les deux hommes à l’avant, ils accomplissaient leur rôle avec une dévotion quasi aveugle. Leur respect pour Jane, celle qui les avait recueillis en échange de loyauté, était évident. Pourtant, Sidonie ne pouvait se résoudre à leur faire confiance. Au moindre signe suspect, elle savait qu’elle devrait fuir, disparaître si nécessaire.

 

Le portail finit par s'ouvrir complètement, révélant une jeune femme d'environ un mètre soixante, fine et vive. Son visage de porcelaine, aux lèvres et aux joues délicatement rosées, était encadré par de discrets cheveux blonds ondulés qui tombaient jusqu'aux épaules. Une frange légère ornait son front, tandis qu’un foulard doré dansait autour de sa fine gorge, agité par la brise du matin, lui donnant un air à la fois solennel et sérieux.

Les passagers de la voiture ne pouvaient deviner qu'elle dissimulait une arme à feu derrière son dos, prête à intervenir si des intrus tentaient de pénétrer dans le complexe avec une clé magnétique volée. Tendue, elle attendait le feu vert de l’intelligence artificielle HOPE, dont le visage apparut sur l’écran de sa montre.

  • Scan véhicule en cours…, dit une voix robotique féminine. Menace minime, nouvel occupant à bord autorisé.

  • Merci HOPE, dit la jeune femme.

 

Hannah fit un signe amical aux deux hommes à l'avant, alors que la voiture pénétrait dans le domaine et se gara dans l’allée. Hiro, assis au volant, leva légèrement la main en guise de salut. Le portail se referma derrière eux, et après un bref instant, il baissa la vitre, un sourire narquois aux lèvres.

  • Bonjour ma douce Hannah, heureux de te revoir, lança Hiro d'un ton aguicheur.

  • Ah, Hiro, si tu savais à quel point je te méprise, répondit-elle en roulant des yeux, son ton ironique, tout en rengainant son arme. Tiens, petit cadeau pour toi…

 

Soudain, elle dirigea l’arme à feu vers Hiro. Sidonie, prise de panique, tenta frénétiquement de tirer sur la poignée de la porte, mais celle-ci ne s'ouvrit pas. Elle tourna rapidement la tête vers Jane, qui restait impassible, d'une froideur presque glaçante. En revenant à Hannah, Sidonie réalisa quelque chose de complètement inattendu : l'arme semblait se désagréger. La matière se transformait en une poussière lumineuse, qui s'envolait doucement dans l'air, emportée par une brise invisible.

En l’espace de quelques secondes, le pistolet avait disparu, laissant place à un simple pistolet à eau, totalement inoffensif. Sans perdre un instant, Hannah vida tout le réservoir sur le visage de Hiro, éclatant de rire.

  • Rah bon sang ! Tu m’as mouillé toute la tête et mes fringues ! Ce n’est pas la première fois que tu me fais le coup, Hannah. Ce n’est pas drôle ! — ragea Hiro en s'essuyant le visage avec frustration.

  • Et je recommencerai avec plaisir, répondit Hannah, s’éloignant du véhicule, un sourire satisfait aux lèvres.

  • Tu la cherches souvent toi aussi, se moqua Walter.

 

Sidonie, encore secouée par l’apparition soudaine de l'arme à feu — qu'elle haïssait tant —, lâcha un soupir las. Ce n’était qu’une blague, ou plutôt la manière d’Hannah de « saluer » ses camarades. Jane, de son côté, restait de marbre, son visage aussi froid qu’inexpressif.

Les deux hommes sortirent du véhicule, laissant Jane et Sidonie seules dans l'habitacle. Walter et Hiro s’éloignèrent avec Hannah vers la porte imposante de trois mètres de haut, aussi solide qu’un rempart. Jane, assise sans bouger, tourna enfin un regard perçant vers Sidonie, qui semblait prête à sortir, mais sans grande motivation.

  • Un instant, ordonna Jane avec autorité, sa voix coupant l’air comme une lame, stoppant net le geste de Sidonie qui s'apprêtait à ouvrir la portière.

  • Quoi encore ? soupira Sidonie, visiblement irritée.

  • Avant de rentrer dans la maison, je vais vous présenter brièvement les personnes avec qui vous allez partager ces lieux. Cela nous fera gagner du temps.

  • Est-ce que cela ne peut pas attendre ?

  • Non, et je ne vous demande pas votre avis, répondit Jane d’un ton glacial, laissant peu de place à la discussion.

 

Sidonie resta silencieuse, piégée dans cet échange de pouvoir où Jane semblait toujours avoir l'ascendant.

Jane actionna un bouton dissimulé à portée de ses doigts fins et nerveux, déclenchant l'apparition d'un hologramme. Un léger bourdonnement emplit l'habitacle alors que l’image flottait dans l’air, projetée avec une netteté parfaite.

  • Code 45, ordonna Jane d'une voix calme, mais ferme.

 

L’intelligence artificielle HOPE se manifesta instantanément. À l'intérieur de l'hologramme, des fiches d’identification commencèrent à apparaître une par une, présentant chaque résident avec leur photo et une série de détails essentiels : nom, âge, capacités, et fonctions au sein du complexe.

  • Scan base de données en cours. Veuillez patienter, annonça HOPE d'une voix synthétique, tandis que les informations défilaient rapidement devant les yeux attentifs de Sidonie.

Sidonie Wallorn

Sidonie

Hannah Galaway

Hannah

Jeanne Roselys

Jane

Sarah Garden

Sarah

Walter Penfrom

Walter

Martha Moore

Martha

Hiro Hawk

Hiro

HOPE

HOPE

Hannah Galaway

Hannah Galaway, alias Pixy, sexe féminin, née le 06/05/2090 (26 ans) à San Marina, Fédération Unie. Présente à HOPE depuis un an. Famille connue. Description : cheveux blonds ondulés, yeux verts, 1 m 65, 59 kg. Don : illusion polymorphique. Le sujet a la capacité de modifier l'apparence des humains ou des objets pour une durée limitée. Intérêt pour la BMRA : modéré.

Hiro Hawk

Hiro Hawk, alias Leon, sexe masculin, né le 26/01/2084 (32 ans) à Sacramento, Fédération Unie. Présent à HOPE depuis 1 an et 6 mois. Famille connue. Activité : garde du corps, agent d'infiltration. Description : (apparence ordinaire choisie) cheveux noirs coiffés en bataille, yeux noirs, type asiatique. Il arbore un tatouage autour du cou, un piercing à l'oreille droite et une cicatrice à l'arcade sourcilière droite. Don : polymorphie. Le sujet est capable de prendre l'apparence de n'importe quel individu pendant une longue durée. Il ne lui est pas possible de copier les dons des variants. Intérêt pour la BMRA : prioritaire.

Sarah Garden

Sarah Garden, alias Elektra, sexe féminin, née le 05/07/2091 (25 ans) à San Francisco, Fédération Unie. Présente à HOPE depuis 2 ans. Famille connue. Activité : anciennement analyste à la BMRA, responsable de l'informatique au site Alpha HOPE. Description : cheveux blonds argentés longs, œil gauche bleu tandis que le droit a été crevé, 1 m 59, 54 kg. Don : électrokinésie. Le sujet peut s'introduire dans le code source informatique de tout appareil électronique ou d'un réseau connecté, ce qui lui permet d'accéder rapidement à une grande quantité de données. Intérêt pour la BMRA : élevé.

Martha Moore

Martha Moore, alias Maria, sexe féminin, née le 15/09/2091 (25 ans) à Portland, Fédération Unie. Présente à HOPE depuis 8 mois. Famille connue. Activité : agent d'intervention. Description : cheveux noirs frisés, yeux marrons, 1 m 80, 70 kg. Don : le sujet est muni d'une vélocité fulgurante lui permettant de parcourir temporairement des distances à dix fois la vitesse du son et d'être une excellente combattante au corps à corps. Intérêt pour la BMRA : élevé.

Aleksandr Orlov

Aleksandr Orlov, alias Lonan, sexe masculin, né le 26/10/2082 (34 ans) à Novossibirsk, Novoya Russia. Présent à HOPE depuis 11 mois. Famille inconnue. Activité : mercenaire, ingénieur et pilote d'Héliosis. Description : cheveux châtains longs, yeux bleus, 1 m 85, 78 kg. Il arbore un tatouage autour de son œil et joue gauche ainsi qu'une cicatrice à la joue droite. Don : aérokinésie. Ce variant peut contrôler la pression de l'air et créer des tornades ou augmenter la vitesse du vent à sa convenance. Intérêt pour la BMRA : prioritaire.

Walter Penfrom

Walter Penfrom, alias Smell, sexe masculin, né le 15/09/2083 (33 ans) à Dunbar, Britannie de l'Ouest. Présent à HOPE depuis 1 an et 3 mois. Famille tuée. Activité : garde du corps, agent d'intervention. Description : cheveux bruns mi-longs, yeux vitreux sans iris, 1 m 84, 76 kg. Don : hyperosmie. Le sujet est doté d'un puissant odorat lui permettant de ressentir toutes les odeurs sur plusieurs kilomètres. Il peut visualiser son environnement grâce à son odorat malgré sa cécité de naissance causée par son don. Intérêt pour la BMRA : élevé.

Jeanne Roselys

Jane Roselys, alias Ann Sinclair, sexe féminin, née le 04/02/1338 (778 ans) à Paris, France. Présente à HOPE depuis l'origine. Famille connue. Activité : comtesse douairière de Roselys et d'Artois jusqu'en 2102, agent infiltré à la BMRA, directrice de la section Alpha du projet HOPE. Description : cheveux noirs grisonnants, yeux gris, 1 m 83, 68 kg. Don : données manquantes. Intérêt pour la BMRA : capital.

Sidonie Wallorn

Sidonie Wallorn, alias Lena, sexe féminin, âge, date et lieu de naissance inconnus. Présente à HOPE depuis 5 minutes. Famille inconnue hormis son amant Kahlan Raven. Description : cheveux roux longs, yeux bleus, 1 m 75, 61 kg. Don : chronokisénie catalyste. Le sujet est capable de retourner dans le passé ou le futur seul ou accompagné à l'aide d'un pendentif en forme de sablier jouant le rôle de catalyseur. Le danger est élevé en cas de modification sévère du continuum espace-temps, ce qui peut créer des paradoxes, des destructions psychiques irréversibles, perte de mémoire, déconnexion avec la réalité et risque accru d'anosognosie. Intérêt pour la BMRA : capital.

Lucas Stweeman

Lucas de Roselys, alias Donovan ou Lucas Stweeman à NickroN, sexe masculin, né le 14/03/2088 (28 ans) à Arras, Empire Europa. Famille connue, descendant de Jane Roselys. Activité : héritier déchu du comté de Roselys et d'Artois. Description connue : cheveux blonds longs, yeux bleus, 1 m 79, 71 kg. Don : catalyste d'énergie. Le sujet peut contrôler l'énergie matérialisée à l'aide d'un catalyseur métallique. Don passif de vieillissement ralenti. Intérêt pour la BMRA : capital.

Personne

Données en cours d'élaboration.

Drew Carter

KILLED

Satine Faknir

KILLED

Cole Grant

KILLED

Billy Nettelstroth

KILLED

Sidonie regarda défiler les portraits des quatre individus marqués d’un "Killed" en rouge. Ces visages figés dans la mort semblaient pourtant encore chargés d’histoires, des récits d’une lutte à laquelle elle allait désormais être mêlée.

Le premier, Drew Carter, avec son charme juvénile et ses cheveux blond vénitien, paraissait être le plus insouciant, mais Sidonie devina qu’il avait probablement été bien plus complexe qu’il n’y paraissait. Elle se rappela vaguement de lui, peut-être une silhouette croisée dans les refuges NickroN, sans pouvoir vraiment le situer.

Le second, Satine Faknir, était plus intrigante avec son visage impassible et ses cheveux bruns tirés en arrière. Elle semblait distante, comme si elle avait porté le poids d’un secret trop lourd.

Cole Grant, d’âge mûr, paraissait imposant. Ses cheveux blancs et son bouc soigneusement taillé le faisaient ressembler à un homme de pouvoir, quelqu’un qui avait peut-être joué un rôle stratégique avant de tomber.

Enfin, il y avait Billy Nettelstroth, dont le visage marqué par les cicatrices lui donnait une apparence dure et menaçante. Ses yeux bleus glacés transperçaient l’écran, comme s’ils contenaient une rage encore vivante malgré sa mort.

Ces personnes avaient toutes été des membres de cette résistance, des gens qui, comme elle, avaient choisi de combattre. Et pourtant, ils étaient tombés, victimes de la BMRA ou d’autres dangers.

Sidonie prit un moment pour digérer cette douloureuse fatalité : la lutte provoquait des drames et des tragédies, et les visages des variants exécutés accentuaient davantage son appréhension et son malaise.

  • Qui les a tués ? demanda-t-elle, essayant de ne pas laisser paraître son trouble.

  • Des renégats, répondit Jane en masquant sa colère. Ces mutants ont choisi de se vendre à la BMRA. Ils traquent les nôtres pour l'agence, croyant que cela leur épargnera la mort ou leur assurera une place dans ce "nouvel ordre" que nous impose la BMRA depuis tant d'années. Leur perte a profondément marqué l'équipe, mais n'allez pas croire que je me laisse submerger par l’émotion. Chaque visage sur cette liste nous rappelle que le moindre faux pas peut nous coûter la vie, même pour des gens comme nous.

 

Au même moment, Hannah croisa les bras, observant Walter et Hiro avec un mélange d'agacement et de curiosité. Elle n'avait toujours pas compris pourquoi Jane gardait tant de mystère autour de cette nouvelle venue, Sidonie.

  • Jane ne nous a jamais vraiment parlé d’elle avant aujourd’hui, dit Hannah, remettant encore une fois ses mèches derrière ses oreilles. C’est bizarre. Elle ne fait jamais ça.

  • On a fait de notre mieux, répondit simplement Walter en haussant les épaules. Ils allaient nous tomber dessus, c’était limite. Mais Jane a réussi à la convaincre.

  • Elle me plait, déclara Hiro en souriant, un air malicieux sur le visage.

 

Hannah leva les yeux au ciel, visiblement irritée.

  • Tu ne peux vraiment pas être sérieux deux minutes ?!

  • Jalouse ? répliqua Hiro en la taquinant.

  • Pas du tout, c’est juste que ça m'étonne de ta part, répliqua-t-elle en se calmant un peu, avant d'ajouter avec un sourire : Bref, au moins, vous êtes revenus sans encombre. C’est tout ce qui compte.

  • On commence à avoir l'habitude des missions risquées, dit Hiro, en haussant légèrement les épaules.

Hannah soupira, se demandant comment Sidonie gérerait la situation. Les souvenirs de sa propre capture lui revenaient en mémoire, mélangés à une crainte sourde. Cette terrible refit soudainement surface, lorsque deux variants, aujourd'hui décédés, l'avaient enlevée chez elle à San Marina* pour subir le même dilemme : l'espoir et la sécurité ou être capturée par l’agence. 

Hannah espérait que la jeune femme aurait la force de s’adapter à leur mode de vie.

 

Après avoir scanné un badge d'accès, la porte s’ouvrit en silence, révélant un intérieur à la fois moderne et sophistiqué. Les lignes épurées des meubles et la lumière douce se mêlaient harmonieusement avec la technologie de pointe qui imprégnait chaque recoin.

Une voix féminine mécanique, familière et pourtant légèrement déshumanisée, résonna doucement dans l’air.

  • Bienvenue dans la résidence HOPE. La température ambiante est de vingt-quatre degrés Celsius. La sécurité intérieure et extérieure est optimale.

  • Messieurs, ce sera tout pour l'instant, ordonna Jane.

 

Hiro et Walter obtempérèrent sans un mot. Ils s’éloignèrent après un simple signe de tête, laissant Jane et Sidonie seules dans l'immense hall. La nouvelle recrue ressentit un malaise profond, cet endroit respirait un contrôle absolu, une surveillance omniprésente. 

Le moindre son semblait calculé, comme si aucune improvisation n’était possible ici. Pourtant, malgré ce confort et cette sécurité apparente, Sidonie ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine oppression.

Jane, elle, paraissait totalement à l’aise dans ce cadre rigide. Sa démarche assurée et son regard froid trahissaient une habitude presque routinière de ce genre de dispositif. Sans un mot de plus, elle fit un signe à Sidonie pour qu’elle avance.

 

Les deux hommes s’en allèrent directement vers l’étage.

Sidonie observa l'immense hall marbré, où chaque détail semblait avoir été pensé pour marier fonctionnalité et esthétique. À sa droite, un escalier élégant menait à l'étage supérieur, probablement là où se trouvaient les chambres des résidents. La cuisine, à gauche, brillait sous les lumières tamisées, ses deux réfrigérateurs imposants et ses appareils dernier cri parfaitement intégrés à la pièce ouverte. L’ensemble respirait la modernité, mais aussi une froideur calculée.

Devant la cuisine, la grande table en bois massif attirait également son attention. Dix places, exactement ce qu’il fallait pour les résidents d'HOPE, site Alpha. Au-dessus d'elle, une œuvre d'art immense trônait, probablement un vestige de l’aviation du 21e siècle, ses nuances anthracites et grises renforçant l'atmosphère solennelle de la pièce. Sidonie se sentit petite en traversant cette pièce baignée de lumière et dominée par ces murs aux tons métalliques.

Son regard fut attiré par un écriteau en face de l’escalier. Éphésiens 6 : 12, gravé dans le marbre : « Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes. » Un frisson la parcourut. Ce verset, lourd de sens, résonnait profondément avec ce qu’elle vivait. Une devise, peut-être, pour cette communauté étrange qu’elle venait de rejoindre.

En se retournant, Sidonie aperçut le salon derrière un mur discret. L’espace, spacieux et parfaitement aménagé, était centré autour d'une cheminée en pierre ancienne, contrastant avec l'écran holographique moderne au-dessus. Les canapés, aux formes carrées et épurées, invitaient à la détente, même si l'atmosphère restait tendue, comme si chaque recoin du lieu avait une fonction précise, un objectif déterminé.

La « Salle Enigma » à droite du salon, marquée par une porte discrète, suscita sa curiosité. Laboratoire médical, centre numérique, ce lieu semblait être le cœur opérationnel d'HOPE. Tout y était aseptisé, chaque mur, chaque meuble, chaque élément respirait la précision froide et calculée.

La lumière naturelle, filtrant à travers les immenses baies vitrées, baignait la pièce, renforçant l’impression d’espace et de grandeur. L’immense jardin extérieur s’étendait à perte de vue, semblant presque se fondre avec l’intérieur.

Jane, qui l'avait précédée, déposa nonchalamment son sac sur le plan de travail. Elle se dirigea d’un pas décidé vers la grande table, comme si chaque mouvement avait été anticipé. Sidonie remarqua l’absence de Martha et de Sarah, souvent présentes à cette heure.

Elle se sentait toujours aussi étrangère à cet environnement, en décalage avec cette vie calculée et millimétrée.

  • Hannah, veuillez montrer à Sidonie sa chambre. Vous avez trente minutes pour vous installer. Ensuite, nous nous réunirons pour un débriefing, et ce sera l'occasion de déjeuner.

  • Oui, madame, répondit Hannah sans la moindre hésitation.

 

Hannah, après avoir lancé un sourire en guise d’invitation, guida Sidonie dans le silence. Lorsque Jane s'éloigna, Sidonie soupira discrètement, ressentant comme un soulagement soudain. La pression qui pesait sur ses épaules semblait s’alléger à mesure qu'elle s'éloignait de la présence imposante de Jane.

En montant le grand escalier moderne qui dominait le hall, Sidonie ne put s’empêcher d’admirer l’architecture, bien qu’un bref vertige la saisisse en regardant la hauteur. Elle préféra fixer son attention sur Hannah, qui marchait avec assurance quelques pas devant elle. Une étrange sensation l’envahissait en présence de la jeune femme, sans qu’elle parvienne à en identifier la cause.

Arrivées à l’étage, Sidonie découvrit un long couloir où les chambres étaient parfaitement alignées, chacune portant le nom de son occupant gravé sur la porte. Hannah s’arrêta devant une porte qui portait désormais le nom de Sidonie, et l’ouvrit d’un geste fluide.

L’intérieur de la chambre reflétait l’élégance et le minimalisme du reste de HOPE. Un grand lit double trônait au centre, recouvert de draps d’un blanc éclatant. Face au lit, un dispositif holographique était encastré dans le mur, accompagné d'une petite commande et d’une lampe. La pièce baignait dans une lumière naturelle, filtrée par une large baie vitrée qui offrait une vue imprenable sur le jardin. Les stores, d’un blanc immaculé, ajoutaient une touche de douceur, créant une atmosphère paisible, en contraste avec la tension que Sidonie ressentait encore intérieurement.

Hannah esquissa un sourire tout en observant Sidonie cacher rapidement son pendentif. Ce geste n’échappa pas à la jeune femme, mais elle choisit de ne pas insister. Elle se contenta de hocher la tête avec une bienveillance légèrement distante.

  • Bien, dit Hannah en se retournant vers la porte. Je te laisse prendre tes marques. N'oublie pas, on se retrouve dans trente minutes pour le déjeuner. Et si tu veux parler de quoi que ce soit, je suis là.

 

Sidonie répondit par un simple hochement de tête, encore un peu perdue dans ses pensées. Lorsque Hannah quitta la chambre, Sidonie se retrouva enfin seule, face à cet environnement luxueux mais étranger. Elle jeta un dernier regard à la pièce, puis ses yeux se fixèrent instinctivement sur son pendentif, qu'elle serra dans sa main comme pour se rassurer.

Un soupir profond s'échappa de ses lèvres.

 

Sidonie, lasse et épuisée par les événements des dernières heures, se dirigea vers le lit, traînant ses affaires à la main. Tout ce qu’elle désirait, c’était plonger dans les draps après une longue douche chaude. Elle laissa son sac tomber au sol, retira sa veste et se jeta dans le lit moelleux. Le confort de ce grand lit, bien loin des matelas inconfortables des refuges et des hôtels miteux qu’elle avait connus, la surprit.

Elle retira délicatement son pendentif, qu’elle posa sur la table de chevet à côté d'une pendule au design ancien et d'une lampe moderne à intensité réglable. Allongée sur le lit, elle laissa sa main glisser sur le tissu doux, un luxe auquel elle n’était plus habituée. Après un moment, elle se redressa, fouilla dans son sac pour en sortir quelques vêtements propres, et se dirigea vers la salle de bain.

La pièce, aussi spacieuse que le reste de la chambre, dégageait une sensation de calme. Une douche à l'italienne en marbre noir occupait un large espace. Des serviettes blanches soigneusement pliées reposaient sur une étagère, aux côtés de gels douche et shampoings soigneusement alignés. Tout semblait si parfait, si irréel. Sidonie resta un instant immobile, se demandant combien de temps ce confort durerait avant de se dissiper.

Elle se déshabilla et ouvrit le robinet. L'eau chaude coula immédiatement, emplissant la pièce de vapeur. Sidonie se laissa glisser sous le jet brûlant, espérant que la chaleur apaiserait son corps et son esprit. Mais à mesure que l'eau ruisselait sur sa peau, une lourdeur différente s’installa en elle.

Les larmes commencèrent à couler sans qu'elle ne puisse les retenir, se mêlant à l'eau qui descendait sur son visage. Elle ne savait pas si c’était le contre-coup de la nuit passée ou un sentiment plus profond, enfoui depuis longtemps. Kahlan lui manquait terriblement. Cette absence qui, au fil du temps, l’avait rendue plus fragile. Dans la chaleur et la vapeur, un souvenir émergea.

Sidonie sentait ses mains se poser délicatement sur la peau de Kahlan. Il était séduisant avec ses longs cheveux noirs attachés, une barbe naissante et une musculature digne d’un athlète. Elle craquait littéralement devant son corps puissant, à la fois protecteur et rassurant. Kahlan, de son côté, admirait la grâce et la beauté de Sidonie, surtout ses cheveux roux qu'il aimait tant. Nus tous les deux, il la serrait contre lui tandis que ses doigts parcouraient sa chevelure. Il l’embrassa tendrement dans le cou, remontant jusqu’à son oreille, où il lui murmura combien il l'aimait.

Sidonie tourna doucement la tête, un sourire de bonheur éclairant ses lèvres. Leurs regards se croisèrent, et cette fois, Kahlan ne fuyait plus. Son regard était calme, momentanément libéré des démons qui le hantaient. Les deux amants s’embrassèrent passionnément, leurs baisers se prolongeant dans cette bulle de douceur et d'intimité, tandis que la vapeur d'eau enveloppait la pièce, comme pour les protéger du monde extérieur. Ce moment partagé, empreint d’amour et de complicité, rendit cette nuit tout simplement merveilleuse.

Les souvenirs s'entremêlèrent dans l'esprit de Sidonie, la ramenant brutalement à un autre moment douloureux. Ses lèvres se mirent à trembler, incapables de contenir l'émotion qui montait en elle. Ses sanglots devinrent plus intenses, et les larmes, comme un torrent incontrôlable, coulèrent de nouveau sur son joli visage. Le poids du passé la submergeait.

Elle revoyait avec une clarté presque cruelle les derniers instants passés avec Kahlan avant son départ. Ce fut l'une des conversations les plus déchirantes de sa vie, une confrontation où chaque mot semblait creuser un fossé plus profond entre eux. Elle se souvenait de son regard, de la tension dans l'air, de l'incertitude qui pesait sur leurs cœurs. Sidonie aurait tout donné pour changer le cours de cette discussion, pour retenir Kahlan un peu plus longtemps, mais le destin en avait décidé autrement.

  • Pourquoi tu pars, Sidonie, dit Kahlan, POURQUOI ?!

 

Cette question, posée avec une telle intensité, la blessait plus qu'elle n'osait l'avouer. Mais elle avait l'impression de n'avoir pas d'autre choix. Elle devait partir, et même si cela signifiait tout perdre, elle ne pouvait pas rester. Kahlan, lui, ne comprenait pas. Comment aurait-il pu ?

  • Je dois le faire, Kahlan. Je n’ai pas le choix, avait-elle répondu, les mots lourds de regret.

  • Et nous dans tout ça ? Je ne veux pas que tu partes, que tu ailles encore vers de nouveaux périples uniquement pour voir si ça ira mieux demain. Vis dans le présent avec moi, Sid’ !

 

Mais Sidonie restait silencieuse. Chaque mot était un coup de plus contre son cœur déjà fragilisé. Elle ne voulait pas partir, mais elle en était convaincue : c'était la seule chose à faire.

  • Tu es toute ma vie, lui avait-il dit. Comment dois-je te prouver que je t’aime pour ne pas me laisser tomber ici ?

 

Sidonie tourna la tête, les larmes brûlant ses joues. Elle l'aimait, mais la situation les dépassait tous les deux. Elle lui devait la vérité, mais elle ne pouvait pas la formuler autrement que par ce baiser d'adieu. "Je reviendrai, Kahlan," avait-elle murmuré avant de s’enfuir, le cœur en miettes.

Le cri de Kahlan, hurlant son nom dans le hall de l’immeuble, fut la dernière chose qu'elle entendit avant de disparaître. Son "Siiiiiiid" déchiré resta gravé en elle, tout comme la colère et la tristesse qu’elle savait qu’il ressentirait.

Ce jour-là, en prenant son pendentif avant de partir, Sidonie avait laissé derrière elle bien plus qu’un homme aimant : elle avait laissé une partie de son âme.

***

Sidonie fut brutalement tirée de ses pensées par la voix mécanique de HOPE. L’avertissement de l'intelligence artificielle la ramena au présent :

  • Attention, quantité dépassée d’eau chaude autorisée. Veuillez couper le robinet sous peine d'astreinte temporaire.

 

Surprise, elle obéit immédiatement. La réalité reprenait son cours après ce moment douloureux de réminiscence. En silence, Sidonie se sécha rapidement avec une serviette blanche, avant de prendre le séchoir portable. Son visage encore marqué par les larmes, elle tenta de se composer une apparence plus présentable. La fatigue, cumulée au chagrin, pesait lourd sur elle. Une fois ses cheveux secs, elle enfila une robe rouge longue, simple mais élégante, assortie d'une petite ceinture noire à la taille, préparée pour elle à l’avance. Après avoir choisi une paire de chaussures dans sa valise, elle remit son pendentif autour de son cou, un geste machinal qui lui apportait un semblant de réconfort.

Sidonie prit une grande inspiration avant d'ouvrir la porte et de se retrouver face au long couloir. Au rez-de-chaussée, elle devinait les autres occupants rassemblés autour de la grande table, attendant sa venue. Ses battements de cœur s'accéléraient à l'idée de rencontrer ces inconnus. Sa stratégie habituelle, se fondre dans le décor et passer inaperçue, ne fonctionnerait pas cette fois. Elle descendit lentement l’escalier, consciente que tous les regards allaient converger vers elle.

Hiro fut le premier à remarquer son arrivée. Il l’avait connue dans une situation bien différente, arrachée à cette chambre d’hôtel sordide, et la transformation le frappa. La jeune femme dégageait désormais une élégance discrète qui ne lui avait pas échappé. Walter, privé de la vue, se fiait à ses autres sens. Il pouvait détecter le parfum du gel douche, le shampoing, et même l’odeur subtile de l’or et du verre de son pendentif.

Les deux hommes se tenaient côte à côte, tandis que Sarah et Jane occupaient le bout de la table. Hannah, assise en face de Hiro et Walter, esquissa un sourire chaleureux à l’intention de Sidonie, visiblement satisfaite de son changement de tenue.

À côté d’Hannah se trouvait une jeune femme à la peau sombre, grande, les cheveux tressés et attachés en queue de cheval : Martha. Elle ne leva même pas les yeux de son écran, absorbée dans ses lectures avec une mine renfrognée. Sarah, plus petite et dotée d'un léger embonpoint, ne mesurant qu'un mètre cinquante-neuf, était plongée dans des analyses pour la prochaine mission. Ses cheveux blonds cendrés et son choix vestimentaire exclusivement noir la démarquaient. Le noir semblait refléter son désintérêt pour tout ce qui relevait de l'apparence ou de la mode.

L'une des cicatrices les plus marquantes de Sarah était son œil droit, crevé durant son enfance par une profonde entaille. Trois cicatrices en forme de griffes traversaient son visage, presque effaçant son sourcil. Elle cachait parfois ces marques avec une mèche de cheveux ou un cache-œil lorsqu’elle quittait la maison. Aujourd'hui, elle travaillait avec une concentration intense, fixant son écran sans jamais lever le regard. Ses doigts frôlaient à peine le clavier tactile, l’écran réagissant à ses commandes avec une rapidité presque surnaturelle.

Sidonie, en silence, s’approcha du groupe.

  • Veuillez-vous assoir, Sidonie, dit simplement Jane.

 

Sidonie s’exécuta, prenant place en bout de table, à l’opposé de Jane. Devant elle s'étalait un véritable festin : bacon, œufs frits, légumes, fruits, de quoi éveiller l’admiration de la jeune femme. Elle réalisa à quel point elle avait été privée de ce genre de repas, et son esprit vagabonda brièvement sur la réalité de ceux qui n’avaient pas accès à une telle abondance, surtout dans ces temps difficiles. Le contraste entre ce luxe et la vie modeste qu’elle avait connue lui apparut brutalement.

Lorsque Jane prit la parole, Sarah interrompit sa tâche sur l'ordinateur, toute son attention dirigée vers la chef de la maison.

  • Très bien. Je vous présente Sidonie Wallorn, catalyste temporel. Nous nous connaissons depuis un certain temps, et je lui ai déjà présenté chacun d’entre vous via la base de données. Cela nous évitera des échanges inutiles concernant la mission à venir. Je vous demande de lui témoigner le même respect qu’à moi. Est-ce bien clair ?

 

Un murmure d’assentiment passa autour de la table, accompagné de hochements de tête. Pourtant, les réactions variaient. Martha observait Sidonie d’un œil méfiant, comme si elle évaluait une potentielle rivale, tandis qu'Hannah lui adressa un sourire bienveillant, offrant un contraste agréable.

  • Comme vous pouvez le constater, Sidonie, ici nous valorisons l’ordre et la rigueur. Mangeons, puis nous passerons au briefing.

 

Le silence qui s'ensuivit fut pesant, interrompu uniquement par le bruit des tasses, des couverts, et des verres. Ce calme méthodique accentuait le malaise de Sidonie. Elle se sentait étrangère dans cet environnement presque militaire, où chaque geste semblait calculé, et où les mots semblaient avoir déserté la pièce.

Cependant, malgré cette ambiance tendue, Sidonie savoura son déjeuner. Elle veilla à ne pas en abuser, mais se délecta de chaque bouchée. C’était une bénédiction après tout ce temps sans un véritable repas. Son esprit fit un bref retour à ces lieux moins hospitaliers, avec des compagnons peu recommandables. Ici, l'atmosphère était différente, bien que tout aussi oppressante.

 

  • HOPE, dit Jane d'une voix ferme, présente le mutant 4830.

 

Sidonie réprima une grimace de déplaisir à l’entente de ce terme déshumanisant. Jane parlait de Lucas comme s'il n’était qu’un numéro, un être réduit à une simple désignation. Alors que l’hologramme s’affichait au centre de la table, Sidonie reconnut immédiatement le visage du jeune homme blond, celui qu’elle avait rencontré à NickroN Renaissance. Lucas, avec ses longs cheveux dorés et son regard empreint d’une tristesse qu’il peinait à dissimuler, ressemblait presque à un ange tombé du ciel.

Sidonie jeta un coup d’œil aux autres membres du groupe. Tous fixaient attentivement l’image et les informations projetées par l’hologramme, analysant chaque détail. Ce fut surtout le regard d'Hannah qui retint l'attention de Sidonie. Ses yeux semblaient briller d’une admiration qu’elle avait du mal à contenir. Visiblement, elle ne s’attendait pas à voir un jeune homme aussi séduisant, et son expression trahissait sa surprise. Lucas, bien que descendant de Jane, ne manquait pas d’un certain charme, et cela n’était pas passé inaperçu.

HOPE poursuivit, déployant toutes les données disponibles sur Lucas que Sidonie avait déjà parcourues dans la voiture. Le silence retomba sur la table une fois l’exposé terminé, jusqu’à ce que Walter rompe enfin le calme pesant avec une question.

  • Il a réussi à se cacher trois ans sans jamais se faire prendre par les autorités ? demanda-t-il, l'air dubitatif.

  • En effet, mon cher Walter, répondit Jane, en tirant calmement sur sa cigarette. Contrairement aux idées reçues, les professeurs de NickroN enseignaient à leurs élèves diverses techniques pour se fondre dans la masse. Je parle en connaissance de cause. Mon descendant n’a pas échappé à cette règle, et c’est pour cela qu’il a été extrêmement difficile de le localiser jusqu’à maintenant, dit-elle en faisant une pause jusqu'à tourner la tête vers Sarah. Sarah, avez-vous des nouvelles depuis le piratage des systèmes de reconnaissance faciale de la BMRA ?

  • En effet, madame, répondit Sarah d'une voix mécanique, presque robotique. En recoupant la dernière photo de Lucas Roselys à NickroN Renaissance avec des millions de visages enregistrés par la BMRA, je n’ai rien trouvé. La majorité des villes fédéralistes n’autorisent pas de telles technologies de surveillance, ce qui rend les recherches plus complexes. Il a probablement utilisé des méthodes pour éviter d’être reconnu en public. J’ai étendu mes recherches sur des forums cryptés et des réseaux moins sécurisés. J’ai fini par obtenir une correspondance. Un visage correspondant à Lucas Roselys, avec des ajustements comme une coiffure différente, pilosité faciale, et d'autres dissimulations. Mon analyse est fiable à 98 %, et HOPE a confirmé. Il vit à Seattle, sous le nom de Donovan, et travaille comme préparateur de commandes sur le port. 

  • Bien joué Sarah, reconnut Jane. Enfin une piste concrète. Autre chose ?

  • J’ai piraté l’entreprise où il travaille, mais ils n'ont aucune photo de leurs employés ni son adresse. Ils utilisent des coupons physiques pour la paie, donc c'est difficile de le localiser. Cependant, j’ai pu retrouver ses activités sur plusieurs sites de rencontres.

  • Une belle imprudence, se délecta Jane, le sourire aux lèvres. Continuez.

  • Il a discuté avec dix profils, mais un en particulier a retenu son attention. Un homme du nom d’Ethan, âgé de vingt-cinq ans.

  • Un mec ? s'exclama Hiro, clairement surpris par cette révélation.

  • Quoi ? Ce n’est pas ton type Hiro ? se moqua Hannah avec un sourire en coin.

  • C'est toi qui préfères les blonds, Hannah..., répliqua Hiro, légèrement taquin.

  • Cessez vos gamineries ! ordonna Jane d'une voix sèche. Sarah, terminez.

 

Hiro lança un regard réprobateur à Hannah, piqué par la moquerie, mais il se retint de répondre. Jane avait ordonné le silence, et cela ne souffrait aucune contestation.

Sarah, de son côté, poursuivit avec méthode, énumérant une multitude de détails, allant de la routine quotidienne de Lucas à ses relations sur les réseaux sociaux. Sa présentation, méticuleuse, semblait suggérer que chaque jeune adulte avait besoin d'une vie sociale, jalonnée de relations amoureuses. Pourtant, quelque chose dans sa voix, un infime regret, n’échappa pas à Sidonie, bien que Sarah, stoïque, ne laissait rien transparaître dans ses gestes.

Sidonie écoutait avec de plus en plus de malaise. L'informaticienne avait, sans hésitation, extrait l’intégralité des échanges personnels de Lucas, transformant sa vie privée en une affaire publique. Sidonie, dégoûtée, avait du mal à cacher sa réprobation. Elle dévisagea Jane, toujours aussi impassible. Cette dernière, avec sa posture froide et hautaine, semblait voir dans l’amour une faiblesse, un obstacle aux devoirs imposés par la société. Dans le monde de la comtesse, hérité d'une époque où les mariages n'étaient qu'un outil pour servir des alliances et des ambitions familiales, les sentiments amoureux étaient secondaires, presque insignifiants. L'homosexualité de Lucas ne l'aurait probablement pas dérangée, tant qu'il se serait conformé à ses attentes de transmettre la lignée, que ce soit naturellement ou par d'autres moyens.

  • Sidonie, c’est là que vous intervenez, lança Jane en direction de la jeune femme.

Sidonie resta figée un instant, surprise par la tournure des événements. Elle sentit les regards peser sur elle, chacun semblant attendre une réaction, une réponse à l’invitation de Jane.

  • Comment ? rétorqua Sidonie, irritée. Je manipule le temps, pas la géolocalisation d'individus.

 

Jane, quant à elle, ne semblait nullement affectée par le malaise qui planait autour de la table. Elle prit une longue bouffée de sa cigarette, laissant s’échapper plusieurs cercles de fumée élégants, parfaitement indifférente au reste de l’assemblée. La technologie qu’elle utilisait, bien au-delà de ce que le commun des mortels pouvait s'offrir, ne gênait personne ici.

 

  • Utilisez votre imagination, ma chère. Ce n’est pas la première personne que vous recherchez. Et vous avez tout le temps nécessaire pour y parvenir, répéta Jane, son ton doux mais ferme.

 

Sidonie retint un soupir. Ce n'était pas une simple demande d’aide, mais un ordre déguisé sous une apparente bienveillance. Elle avait appris à se méfier de ce genre d’injonctions. Elle tourna les yeux vers Hannah, qui lui adressa un sourire apaisant, comme pour désamorcer la tension qui couvait. Pourtant, l’expression de Sidonie ne s’adoucit pas. Pendant un instant, elle crut qu'Hannah allait dire quelque chose, mais elle se contenta de porter son verre à ses lèvres, un geste qui semblait plus significatif qu’il ne l’aurait dû.

La scène était étrange. Un silence flottait, comme si chacun retenait son souffle en attendant la réaction de Sidonie.

Jane fixa Sidonie de ses yeux perçants, un mince sourire s'étirant sur ses lèvres. Elle sentait que quelque chose troublait la jeune femme, et son instinct aiguisé lui dictait que Sidonie n'était pas à l'aise avec ses directives.

 

  • Vous hésitez, Sidonie ? demanda Jane d’une voix douce mais lourde de sous-entendus, tout en écrasant le mégot de sa cigarette avec une précision calculée.

Sidonie releva les yeux vers elle. Le silence dans la pièce devint pesant, chaque membre de l'équipe observant cette interaction sans oser intervenir. Martha restait tendue, ses doigts crispés sur le dossier de sa chaise, tandis qu’Hannah semblait surveiller la situation avec une vigilance plus subtile

  • Je ne pense pas être la bonne personne pour faire ce que vous demandez, répondit franchement Sidonie.

  • Allons, ne vous sous estimez pas ma chère, répliqua Jane avec un ton plus maternel. Lucas a choisi de disparaître, et il n'est pas question qu'il tombe entre les mains de la BMRA, ou des personnes peu recommandables. Je vous laisse le choix de la méthode, Sidonie, tant que le résultat est atteint : Lucas doit être ramené à HOPE. Je pense qu'il est inutile de vous rappeler de ne pas utiliser vos capacités temporelles en public, car personne ne pourra venir vous sauver si vous échouez. 

 

Jane marque une petite pause, reprenant une nouvelle cigarette.

  • N'oubliez pas que le temps joue contre vous, Sidonie. Vous avez trente jours pour ramener Lucas à HOPE, sinon il sera trop tard, dit-elle de manière énigmatique. Hannah et Martha vous accompagneront dans vos recherches.

  • Entendu madame, acquiesça Martha, le visage crispé, qui n’appréciait guère l'idée de faire équipe avec une inconnue.

  • Très bien, répondit Hannah, ravie de faire équipe avec Martha et Sidonie.

  • Sarah, vous leur communiquerez toutes les informations utiles avant leur départ, indiqua Jane.

  • A vos ordres, répondit-elle machinalement.

  • Pourquoi êtes-vous aussi tyrannique, Jane ? rétorqua Sidonie, qui ne pouvait plus se contenir.

  • Veuillez nous laisser, je vous prie. Tous, ordonna Jane avec fermeté.

 

Sidonie, encore immobile face à Jane, sentit un frisson d'angoisse la traverser. Le départ des autres la laissa seule avec cette femme dont l'aura d'autorité et de contrôle pesait sur ses épaules. Elle se souvenait de Lucas comme d’un ami bienveillant, quelqu'un qui avait fui pour retrouver une liberté à laquelle il aspirait, loin du chaos. Se plier aux ordres de Jane, qui voyait Lucas uniquement comme un élément stratégique, la révoltait intérieurement.

Une fois la pièce vidée, Jane se leva calmement, les cendres de sa cigarette se dispersant lentement dans l'air.

 

  • Sidonie, dit-elle d'un ton glacial, je sens bien votre hésitation. Mais laissez-moi vous dire une chose très claire. Ici, on ne laisse personne fuir. Vous pensez peut-être que Lucas a le droit de choisir son destin. Il se trompe. Vous êtes son amie, mais vous n’êtes pas là pour être sentimentale. Vous êtes ici pour accomplir ce que je vous demande. Compris ?

 

Pendant ce temps, à l'étage supérieur, Martha continua à frapper le sac de boxe avec une rage qui ne faiblissait pas. Chaque coup était plus violent que le précédent, et Hannah l'observait en silence, inquiète de voir sa collègue si déstabilisée. La perte de Drew la hantait toujours, et maintenant, l'idée que cette nouvelle recrue puisse échouer à son tour et risque de les compromettre rongeait son esprit.

  • Que se passe-t-il, Martha ? demanda Hannah.

  • Comment peut-elle nous ordonner de suivre les ordres de cette gonzesse qui vient à peine d'arriver ici ? Je me fiche qu'elle soit puissante ou qu'elle ait connu le mec qu'on doit enlever !

  • C'est la mission pourtant, intervint Sarah avec sérieux.

  • Je t'ai causé la "nerd" ? lança Martha contre l'informaticienne avec un regard empli de mépris. Les deux jeunes femmes ne partageaient aucune affinité.

  • Cela ne sert à rien de se disputer, répliqua Hannah, essayant de faire redescendre les tensions.

 

Martha et Sarah se dévisageaient avec animosité. et la tension dans la pièce devenait palpable.

  • En tout cas, les ordres sont les ordres, finit par répondre Sarah avec un ton tranchant.

  • Sarah, s'interposa Hannah, pourrais-tu me faire parvenir les conversations de Lucas avec Ethan ainsi que tous les éléments qui te paraîtront importants, s'il te plaît ? Merci.

  • D'accord, pas de temps à perdre ici. Bonne chance Hannah, tu en auras besoin, fit Sarah en quittant la pièce.

Hannah observa sa camarade partir en croisant les bras, puis remit une mèche de cheveux derrière son oreille, ses pensées tournées vers la mission à venir.

  • Excuse-moi de te poser cette question, mais tu repenses à Drew, c'est ça ? demanda-t-elle finalement à Martha.

  • C'est comme s'il était mort pour rien, lui et les autres ! J'ai parfois l'impression que tout ce que nous faisons ne sert à rien. Il serait toujours en vie s'il n'avait pas fait le con ! fit-elle avec une rage palpable.

Hannah fronça les sourcils, tentant de trouver des mots pour réconforter sa camarade sans raviver sa colère.

  • Nous devons collaborer avec Sidonie. Jane sait ce qu'elle fait, dit Hannah doucement.

  • Hors de question, je ne la connais pas. J'irai chercher ce petit con moi-même et sans elle, toi tu fais ce que tu veux, cracha Martha avant de sortir en trombe, laissant Hannah seule dans la salle.

***

Pendant ce temps, dans la salle à manger, Jane se plaça au-dessus de Sidonie, comme lors de leurs retrouvailles. Sidonie, consciente que sa rancœur risquait d'exploser, évitait soigneusement son regard.

 

  • Pourquoi avez-vous pleuré ? demanda Jane d'une voix froide.

  • Cela ne vous regarde pas ! répondit Sidonie avec un mépris à peine dissimulé. Je suis ici, vous me protégez, et en échange, je sers vos intérêts. Le reste ne concerne que moi !

  • Vous pensez toujours à lui, n’est-ce pas ? Kahlan Raven, c'est bien ça ? Croyez-vous vraiment qu'il voudra encore vous revoir après l'avoir abandonné ? Est-ce qu'il vous a dit qu'Ambre Balsey s'était sacrifiée pour le sauver ?

 

Sidonie resta intedite un instant, la surprise peinte sur son visage.

  • Pardon ? murmura-t-elle, sous le choc.

  • Votre stupéfaction m'amuse, reprit Jane, un sourire en coin. Je pensais que le sombre Kahlan vous aurait informée.

  • Qu'essayez-vous de faire, Jane ! répliqua Sidonie, les yeux flamboyant de colère.

  • Allons, inutile de vous emporter, Sidonie, répondit Jane calmement. La vérité est pourtant simple. Assumez vos choix plutôt que de les fuir. Vous n’imaginez pas un instant que vous êtes venue ici pour profiter du confort sans rien me devoir, si ?

 

Sidonie serra les poings sous la table, luttant pour garder son calme, mais elle resta silencieuse.

  • Allez-vous mettre tout en œuvre pour retrouver Lucas ? demanda Jane d’un ton plus direct.

 

Sidonie hésita, ses pensées s’emmêlant. Finalement, elle se força à répondre, la voix à peine plus forte qu’un murmure.

 

  • Est-ce que j'ai vraiment le choix ? Et pourquoi l'obliger à revenir ici ?

Jane sourit, presque avec bienveillance.

  • Le choix n'est qu'une illusion, ma chère. Nous vivons des temps difficiles où nos désirs personnels passent après nos responsabilités. Toute ma vie, j’ai dû faire des choix qui exigeaient des sacrifices. Concernant Lucas, il est de ma lignée, de mon sang. Qu’il le veuille ou non, mon descendant représente une part de moi qui ne peut pas se permettre d’être perdue. Il a un rôle à jouer, bien plus grand qu’il ne imagine. Et je me dois de le protéger de ses propres erreurs.

Sidonie hocha la tête, la gorge serrée, réalisant que cette mission n'était qu'un autre rouage dans le plan de Jane. 

  • Je comprends mieux pourquoi il vous a toujours craint, en le considérant comme un pion. Vous me demandez de faire le sale boulot pour vous.

  • Peut-être, répondit Jane en haussant légèrement les épaules. Mais si je n'avais aucun cœur, j'aurais confié cette tâche à des gens moins subtils. Je préfère une approche plus douce pour qu'il nous rejoigne, car nous ne vivons pas en paix, ma chère. La BMRA, les variants, les luttes de pouvoir... Personne n'y échappe, pas même Lucas. Il a cru pouvoir fuir, mais c'est un mensonge, une illusion. La guerre ne laisse aucun répit, et s'il persiste à se cacher, il finira tôt ou tard par être broyé.

Sidonie hésita à nouveau avant de poser la question qui la taraudait.

 

  • Et s'il refuse ? Et s'il ne veut pas vous rejoindre ? 

 

Jane la fixa froidement.

  • Le choix, Sidonie, n’est plus une option ici.

 

Sidonie, abasourdie, prit un moment pour assimiler cette vérité brutale. Après une réflexion silencieuse, elle osa poser une dernière question à Jane, le ton empreint de gravité.

  • Je ne comprends pas pourquoi tous ces variants vous obéissent au doigt et à l'œil ! s'offusqua Sidonie, incapable de cacher son indignation.

  • Je saisis votre surprise, ma chère, répondit Jane d’un ton glacial. Vous pensez probablement que je suis une incapable qui s'amuse à défier l'une des agences les plus mortelles au monde. C'est vrai, la BMRA est dangereuse, Sidonie. Une femme dans ma position n’a pas besoin d’être aimée par ses subordonnés. Vos jugements sur mes méthodes m’importent peu.

Sidonie resta silencieuse, le visage fermé, essayant de maîtriser la colère qui montait en elle.

  • Maintenant, poursuivit Jane, je vais vous offrir une motivation supplémentaire pour cette mission. Si vous vous engagez pleinement à retrouver mon descendant, il se pourrait que mes connexions à la BMRA me permettent de faire des recherches sur votre cher Kahlan. Je ne garantis pas son sort, bien sûr, mais cela pourrait accélérer les choses. Donnant-donnant.

 

Le cœur de Sidonie s'emballa. Cette proposition était à la fois tentante et odieuse.

 

  • On en viendrait presque à comprendre pourquoi la BMRA emploie des variants renégats pour ses basses besognes, répliqua-t-elle amèrement.

  • Dois-je prendre votre réponse pour un "oui" ? demanda Jane avec un sourire narquois et des yeux inquisiteurs. Vous pouvez me haïr autant que vous le souhaitez, ça m'est égal. Mais sachez ceci : votre colère vous empêchera de faillir, et en fin de compte, vous obtiendrez ce que vous êtes venue chercher dans cet espace-temps.

Sidonie sentit sa rage monter davantage, chaque mot de Jane la frappant là où elle était la plus vulnérable. Comment les autres pouvaient-ils la supporter sans broncher ? Cette femme savait trop de choses sur elle, trop de secrets qu’elle manipulait à sa guise.

Jane s'avança, se baissant doucement jusqu'à ce que leurs visages soient à la même hauteur. Le regard perçant de Jane était insoutenable, comme si elle pouvait lire dans les pensées de Sidonie et y trouver la moindre faiblesse.

 

  • Pourquoi n'avez-vous pas aidé Lucas durant toutes ces années ? demanda Sidonie.

  • Vous ne savez pas de quoi vous parlez, Sidonie, répliqua Jane d'un ton acerbe.

  • Vous vous défaussez, comme toujours...

  • Contrairement à vous, je ne me dérobe pas, ma chère enfant. Je vous expose simplement les faits. Mon descendant a toujours fui ses responsabilités, celles qui incombaient à quelqu'un de son rang, et il n'a jamais su faire face aux événements. Je ne sais pas ce qu'il vous a raconté lors de votre dernière entrevue il y a trois ans, mais sachez que Lucas n'est pas aussi innocent que vous le croyez. Je lui ai proposé mon aide à de nombreuses reprises, mais il l'a refusée, préférant se réfugier derrière cette ridicule soif de liberté et d'évasion. Oseriez-vous me dire que vous recherchez la même chose, dans un monde gouverné par le désespoir et le mensonge ?

  • Au moins, il a tenté de tracer sa propre voie, plutôt que d'obéir aveuglément aux ordres de quelqu'un d'autre !

  • Si seulement vous saviez, Sidonie...

Que sait-elle ? se demanda Sidonie, perplexe.

Jane marqua une petite pause avant de reprendre, implacable :

  • J'ai besoin d'une réponse. Allez-vous retrouver Lucas ? Je ne me contente pas de suppositions, je ne vis que de certitudes, Sidonie.

  • Oui, souffla-t-elle, détournant le regard.

 

Je se redresse, un sourire en coin.

  • Parfait. Je savais que vous seriez à la hauteur de mes espérances. Lucas a été votre ami, cela rendra vos retrouvailles... intéressantes. Et sachez-le, il n'y a jamais de coïncidence, dit-elle d'un ton énigmatique. Si Lucas revient sain et sauf à HOPE, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour retrouver Kahlan. N'oubliez pas, Sidonie : je tiens toujours mes promesses. Allez prendre un peu de repos, vous en avez besoin.

 

Sidonie se leva brusquement de sa chaise, prête à quitter la pièce en courant, mais la voix glaciale de Jane la retint.

 

  • Ah, une dernière chose. N’oubliez pas de reproduire votre boucle temporelle. Je serais attristée de vous voir disparaître. Vous devez me prévenir de vous retrouver dans votre cachette miteuse au Cecil Hotel.

 

Encore une fois, Sidonie se sentit prise au piège, contrainte de satisfaire les exigences de Jane. Cependant, cette fois-ci, elle décida de réagir avec une attitude provocatrice, ses yeux s’assombrissant.

 

  • Je pourrais en profiter pour tuer votre homologue dans le passé, lâcha-t-elle avec un regard défiant.

Jane sourit légèrement, imperturbable.

 

  • Essayez donc, mais ne faites pas l'erreur de sous-estimer ma détermination. Je n'hésiterais pas à éliminer un agent qui ose me défier ou me trahir, qu'il fasse partie de ma famille ou non. Et pour vos tentatives de provocation... Je n’agis jamais par caprice, Sidonie. Vous feriez bien d’en faire autant.

 

L’esprit de Sidonie bouillonnait, tiraillé entre la rage, le doute, et l’urgence de prendre une décision. Elle savait qu'elle n’avait pas le luxe du choix.

  • Sidonie, reprit Jane calmement. Si vous n'effectuez pas cette boucle temporelle, vous disparaîtrez. J’ai passé beaucoup de temps à étudier les rapports de NickroN sur vos dons. Vous portez un fardeau complexe, certes, mais même notre intelligence artificielle, HOPE, n’a pas encore réussi à déchiffrer toutes les subtilités de vos pouvoirs. Et croyez-moi, elle explore des milliards de possibilités à chaque instant. Cependant, certaines choses échappent encore à son contrôle. Là-dessus, je compte sur vous.

  • Ravie d'apprendre que je ne suis qu'un sujet d'expérimentation pour vous et votre machine, répliqua Sidonie avec amertume.

  • Et pas n’importe lequel, répondit Jane avec légèreté. Mais je ne vous retiens pas plus longtemps. Le temps n’est pas notre allié cette fois.

 

Cette fois, Sidonie quitta la pièce en courant, désireuse de fuir Jane et de se réfugier dans sa chambre. Elle s’allongea sur le lit, se blottit contre les coussins et tira la couette de plumes jusqu'à son menton. Pleurer toutes les larmes de son corps ne servirait à rien. Son esprit, tourmenté, finit par s’abandonner à un sommeil agité.

Sidonie sombra dans un rêve si réel qu'elle pouvait percevoir chaque détail : l’odeur étouffante, les bruits lointains, et l’air lourd qu’elle déplaçait à chacun de ses gestes. Elle se trouvait dans une pièce sombre, étroite, un studio modeste. Elle le savait instinctivement : Lucas vivait ici. Il était allongé sur un lit inconfortable, le torse à découvert, simplement recouvert d’un drap mince. Son souffle régulier laissait penser qu'il dormait paisiblement, inconscient du sort qui l’attendait. Sidonie le regarda longuement, troublée par sa beauté intacte, comme si le temps avait épargné ses traits. 

 

Soudain, une sensation d’oppression envahit Sidonie. Dans la pénombre, deux yeux brillants fixaient Lucas avec une intensité prédatrice. Elle s’approcha, distinguant enfin une vieille femme au visage marqué par le temps, immobile dans l’ombre. Une aura malsaine émanait de cette inconnue, et Sidonie comprit immédiatement qu’elle n'était pas Jane, mais quelqu’un d’autre, animée par des intentions sinistres. La vieille femme observait Lucas avec un mélange de désir et de rancœur, son regard se gorgeant de vie volée. Doucement, elle souleva le drap qui recouvrait le jeune homme, déçue de ne pas le trouver nu. Elle posa alors sa main frêle et ridée sur son bras, ses ongles longs et acérés, semblables à des griffes, effleurant sa peau.

Le contact réveilla Lucas en sursaut. Clignant des yeux, il aperçut dans l’obscurité la silhouette de sa propriétaire, une femme qui avait pris l’habitude de pénétrer chez lui sans prévenir. Sidonie, invisible et impuissante, le regarda se redresser avec un mélange d’agacement et de dégoût. Il tira le drap sur son corps, gêné par la présence de cette intruse, avant d'allumer la lumière d’un geste nerveux. Son regard était brûlant de colère, mais la vieille femme ne se laissa pas impressionner. Elle le réduisit au silence, menaçant de l’expulser s’il osait protester. Lucas passa une main tremblante dans ses cheveux, son visage trahissant son angoisse.

Sidonie comprit rapidement que Lucas était en danger. La vieille femme exploitait sa vulnérabilité financière pour le harceler, menaçant sans cesse de le mettre à la rue. Elle lui demanda le loyer qu’il ne pouvait pas payer, son patron ayant encore une fois retardé son salaire. Incapable de réagir ou d’interférer, Sidonie assistait, désemparée, à cette scène dégradante. La vieille femme alla plus loin, proposant à Lucas de régler sa dette en échange d’un rapport sexuel.

Lucas blêmit, refusant catégoriquement de se soumettre à cette humiliation. Pourtant, une hésitation passa sur son visage : une heure de supplice pourrait lui offrir un court répit. Mais l’idée même de céder à cette ignoble proposition le dégoûtait profondément. Sidonie sentit son cœur se serrer devant le dilemme de son ami, impuissante face à cette situation abjecte. La vieille femme continuait de le manipuler, savourant son pouvoir sur lui, prête à profiter de sa position dominante.

Finalement, Lucas se ressaisit et promit de payer le lendemain, espérant éviter l'expulsion et, pire encore, d'être dénoncé à la BMRA.

Tout s’effaça dans un brouillard opaque. Sidonie, piégée dans ce cauchemar, réalisa à son réveil que ce rêve n’était pas qu’une simple illusion. Il reflétait une sombre réalité, une réalité qui lui échappait. Des larmes coulèrent sur ses joues alors qu’elle regrettait, plus que jamais, de ne pas avoir retrouvé Kahlan.

*San Marina est une ville futuriste de la Fédération Unie, située dans l’État du Texas. Fondée en 2062, elle abrite aujourd'hui plus de trois cent mille habitants. La ville se distingue par un développement technologique avancé, en faisant l'un des centres névralgiques de l'innovation dans une région encore accrochée aux traditions et à la morale.

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