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Sidonie Wallorn

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Tome 1 : la BMRA

Partie 1

Chapitre 1 : « Retrouvailles »

Dans une petite chambre d’hôtel d’un Downtown délabré, à Los Angeles, en Fédération Unie, une jeune femme d’une trentaine d’années vivait en solitaire depuis quelques jours. Sa chevelure rousse, longue et fluide, tombait en vagues disciplinées sur ses épaules, semblable à une flamme immobile. Sa peau blanche était constellée de fines taches de rousseur qui parsemaient ses pommettes et l’arête de son nez. Elle paraissait bien plus jeune que son âge, dégageant une innocence éteinte, disparue quelque part dans le passé. Ses yeux, d’un bleu azur profond, luisaient comme un océan tropical chauffé par le soleil. Sa silhouette frêle trahissait une vie de privations, comme si elle n’avait jamais eu pleinement de quoi se nourrir.

Personne ne se souvenait vraiment de son arrivée. Elle n’échangeait avec personne, et les habitants avaient depuis longtemps adopté une règle tacite : ne jamais se mêler des affaires des autres. Chacun portait déjà le poids de ses propres luttes, tentant simplement de survivre dans un monde rongé par le chaos. Elle semblait chercher un répit après un long voyage, désireuse de s’effacer un temps. Ceux qui l’avaient croisée n’auraient su dire grand-chose à son sujet, sinon qu’elle paraissait préoccupée, fuyante, et peu encline à se confier.

Nous étions le 24 octobre 2116, une époque troublée par les stigmates de la IIIe Guerre mondiale survenue en 2059. De nombreux pays sombrèrent dans la dictature, et l'impérialisme égratigna les démocraties aussi rapidement que le réchauffement climatique.

Comme chaque jour, les journaux télévisés martelaient un flot ininterrompu de catastrophes : désastres climatiques, bouleversements politiques, crises biologiques, attentats perpétrés par des variants. Tous les bandeaux déroulants insistaient sur la dangerosité de ces variants, des êtres dotés d’un ADN ayant subi d’étranges mutations biologiques. Ils avaient l’apparence d’humains et ils manipulaient, d’après les gouvernements du globe, des capacités aussi dangereuses que dévastatrices. Et les journalistes, achetés et soumis à un pouvoir paranoïaque et de plus en plus hostile, ne faisaient guère plus que nourrir la désillusion générale. L’espoir était devenu si rare qu’il semblait futile d’oser l’entretenir, surtout avec une telle presse.

Dans les rues abandonnées de Downtown, on croisait ceux qu’on appelait les morts-vivants. Hommes et femmes brisés par une existence morne, ils traînaient leur désespoir à la recherche de drogue, pour quelques instants d’un faux paradis. Les gangs se disputaient leurs maigres territoires à travers des combats violents, laissant derrière eux disparitions et cadavres. Au milieu de cette crasse et de cette misère, des jeunes, filles ou garçons, erraient sur les larges avenues. Leur courage n’était que le reflet de leur désespoir. Ils vendaient leurs corps pour quelques billets, espérant échapper, ne serait-ce qu’un instant, à leur triste réalité, grâce à diverses drogues, dont la Squid, un véritable fléau chimique à cause du nombre croissant d’overdoses qu’elle provoquait. La réputation de Downtown, en ruines depuis cent quatre-vingt-douze ans, ne surprenait plus personne.

L’hôtel Cecil survivait grâce aux maigres profits tirés d’une population désœuvrée cherchant un abri pour la nuit, à l'abri des crimes et du danger rôdant à l'extérieur. Son architecture, autrefois élégante et ostentatoire, témoignait d’une époque révolue où il incarnait la grandeur et l'opulence d'une Amérique oubliée. Aujourd’hui tristement célèbre pour le nombre incalculable d’événements sordides survenus entre ses murs, il reflétait à la perfection l’esprit d’un quartier abandonné par des autorités dépassées.

Pour une jeune femme seule, belle mais usée par ses propres tourments, cet endroit n’offrait guère de sécurité. Pourtant, il permettait de se fondre dans l’anonymat d’une grande ville indifférente et d’éviter les détecteurs de variants. Elle était vraisemblablement une variante en fuite.

Elle avait trouvé refuge dans un lieu proche de l’effondrement. Les ascenseurs, lorsqu’ils fonctionnaient, exhalaient une odeur persistante d’urine, tandis que des toxicomanes, défigurés par leurs addictions, rôdaient dans les couloirs à l’affût du moindre FedCoin* à soutirer aux résidents. Une brume âcre, mélange de drogue, de sueur et de déchets, flottait dans chaque espace commun : les coursives, le hall d’entrée, et même la plupart des chambres. Les résidents eux-mêmes accroissaient la dangerosité de cet hôtel, où retrouver un cadavre en décomposition était devenu une triste banalité. Quant aux touristes, principalement regroupés au quatrième étage pour des séjours anonymes et à moindre coût, ils étaient vivement déconseillés de s’aventurer aux niveaux supérieurs, à leurs risques et périls.

  • Je suis exténuée, dit-elle dans un souffle, haletante, en posant ses affaires. Il est trop tôt pour partir...

Allongée sur le lit, la tête calée contre un oreiller à peine confortable, elle fixait le plafond noirci par des années de négligence. Son regard glissait sur les imperfections de la peinture, chaque craquelure, chaque relief, comme pour occuper ses pensées. Des insectes erraient, en quête de proies invisibles, tandis qu’un écosystème de moisissure prospérait silencieusement dans les recoins. Malgré tout, la chambre offrait un certain confort, relatif à l’environnement délabré.

Une tristesse sourde, mêlée à une fatigue écrasante, l’envahissait, semblable à un virus rongeant un corps affaibli. Des remords ? Peut-être. Elle aurait eu du mal à identifier la cause exacte de sa mélancolie, mais elle espérait que ce malaise finirait par se dissiper, avec le temps et beaucoup de patience.

Lentement, elle glissait vers un sommeil apaisant, presque palpable. La sensation était douce, irrésistible. Y résister n’avait aucun sens.

Soudain, un bruit sourd retentit. On frappait à la porte.

Ses yeux s’ouvrirent d’un coup, la tirant brutalement de sa quiétude. Elle se redressa d’un bond, assise sur le lit, le cœur battant à tout rompre. Hagarde, surprise, elle se demanda qui pouvait bien se trouver derrière la porte à une heure si indue, dans un endroit aussi misérable. Une peur sourde l’envahit à l’idée qu’il s’agissait peut-être d’un tueur qui l’avait repérée, ou pire encore. Elle ne rêvait pas. L’odeur nauséabonde de la cage d’escalier, déjà infiltrée dans sa petite chambre, lui rappelait son quotidien depuis quelques jours.

Vêtue d’un simple t-shirt rose bon marché et d’un jogging gris, elle ne prêta pas attention au pendentif posé sur la table de nuit. C’était pourtant son bien le plus précieux.

Elle se leva rapidement, ses pieds nus rencontrant le sol froid. Sa main glissa dans ses longs cheveux roux ondulants, un geste automatique, comme pour se rassurer. Chaque pas la rapprochait de la porte, ses mouvements empreints d’une prudence palpable. Qui pouvait bien frapper à une heure pareille, dans cet hôtel sordide ?

  • Service d'étage, ouvrez.

 

Elle resta figée, l’esprit en alerte. Son rythme cardiaque s’accéléra, la méfiance grimpant en elle.

  • Non. Qu’est-ce que vous voulez ? demanda-t-elle, sa voix trahissant une pointe d’irritation mêlée d’anxiété.

  • Eh bien, nous avons un problème. La police va intervenir pour une perquisition. Serait-il possible d’ouvrir, s’il vous plaît ? répondit calmement la voix derrière la porte.

 

Elle fronça les sourcils, méfiante. Rien dans cette situation ne paraissait normal.

  • Non, rétorqua-t-elle, son ton soudain plus sec, presque défensif.

Il y eut un bref silence avant que la voix ne reprenne, cette fois plus insistante, presque persuasive.

  • Il y a eu un incident grave près de votre chambre. Nous pensons qu’il est préférable de vous prévenir avant que la police n’arrive.

 

Son cœur battait de plus en plus fort. Chaque mot de l’homme résonnait étrangement faux. Une sueur froide coula le long de sa nuque tandis qu’elle risquait un regard à travers le judas de la porte. De l’autre côté, un homme en uniforme, semblable à celui des agents d’entretien de l’hôtel, se tenait avec un chariot et des balais. Il regardait nerveusement de chaque côté du couloir, sur le qui-vive. Était-ce dû au contexte ou l’homme cachait-il quelque chose ?

Prudente, elle posa délicatement ses mains sur la porte, prête à la retenir en cas d’intrusion. Soudain, leurs regards se croisèrent à travers le judas. Une sensation désagréable la traversa, comme si l’homme, par son regard, avait pénétré au plus profond d’elle-même, cherchant à sonder ses pensées.

Mais loin de se laisser terrifier, elle continua à l’observer. Le temps sembla se contracter, chaque seconde devenant une éternité. Pense, réfléchis. Elle devait garder son calme, ne rien laisser transparaître. Les gens coupables se méfient de tout. Pas les innocents, se dit-elle. Elle ne devait pas lui donner l’impression qu’elle le soupçonnait de quoi que ce soit.

 

  • D’accord, c’est noté, dit-elle pour briser le silence. Je vais glisser quelques coupons de FedCoins sous la porte et vous partez immédiatement, compris ?

  • Bien, mademoiselle, répondit l'homme d’une voix calme.

 

Alors qu’elle se baissait pour glisser les coupons sous l’interstice, la porte fut soudainement enfoncée avec violence. Un second homme, qu’elle n’avait pas remarqué pendant l’échange, fit irruption dans la chambre. Son visage et son corps étaient entièrement dissimulés sous une combinaison noire et une cagoule, ne laissant rien paraître.

Propulsée en arrière par la force de l’impact, elle atterrit lourdement sur le sol, sa chute amortie seulement par l’épaisse moquette poussiéreuse. Le réflexe de crier lui traversa l’esprit, mais elle savait que cela serait vain dans cet hôtel délabré où personne ne viendrait à son secours. Paniquée, elle tenta de s’échapper en rampant, se dirigeant instinctivement vers la table de chevet, son souffle de plus en plus haletant.

Elle n’eut même pas le temps d’atteindre sa table de chevêt. Le premier homme, incroyablement rapide, la rattrapa sans effort et la souleva du sol avec une facilité terrifiante. Sa main puissante enserra sa nuque, l’autre se plaqua fermement contre sa bouche, étouffant tout son souffle et réduisant à néant ses chances d’appeler à l’aide. L’emprise était si forte qu’elle sentait sa conscience vaciller, luttant pour rester éveillée.

 

Son esprit s’accrocha désespérément à une seule pensée : son pendentif. Mais l’homme maintenait son bras fermement plaqué contre son dos, rendant tout mouvement impossible. Elle tenta un dernier regard vers le second intrus, mais ne distingua que sa silhouette massive dans la pénombre. Il était grand et large d’épaule, mais ses traits restaient flous, impossibles à discerner dans cette obscurité, malgré la pollution visuelle des néons publicitaires qui clignotaient sur les façades voisines.

Tout se déroulait trop vite pour qu’elle comprenne réellement ce qui se passait. Sa gorge se contracta sous l’effet de la peur, l’air lui manquait. Son corps tremblait tandis qu’un faible gémissement lui échappait, la panique la submergeant.

  • Reste calme ou je t’endors, ordonna l’intrus qui se faisait passer pour l’employé de l’hôtel. Je vais retirer ma main et tu as intérêt à rester tranquille, sinon ça risque de mal se terminer.

  • Hé, lança le second homme. Elle a dit qu’on ne doit pas la blesser, juste la ramener.

  • J’ai bien compris les ordres, mais la belle veut se débattre. Donne-moi les liens. Il ne faudrait pas qu’elle puisse utiliser ses capacités pour nous fausser compagnie. Pas cette fois. 

Il lui attacha les mains derrière le dos avant de lui enfiler une cagoule sur la tête. Poussée sur le lit, elle resta plongée dans l’obscurité, entourée par ses ravisseurs dont elle percevait à peine les mouvements. La jeune femme était pétrifiée à l’idée d’être violée, torturée ou même tuée.

L’un des hommes récupéra une valise dissimulée dans le chariot de ménage et y entassa ses maigres effets personnels. Ils semblaient vouloir effacer toute trace de leur passage, simulant un départ en bonne et due forme de la chambre occupée.

Ses autres sens en éveil, elle lutta pour reprendre son souffle. Si elle ne parvenait pas à se calmer, la cagoule risquait de l’étouffer et de la faire perdre connaissance.

La peur l’envahissait, paralysante. Pendant que l’un d’eux fouillait la pièce, elle concentra toutes ses forces pour tenter de déchiffrer leurs intentions et anticiper la suite.

  • Bon, je crois qu’on a fini, mais on est en retard, ça craint.

  • Franchement, faire le ménage à la va-vite, ce n’est pas mon truc. La prochaine fois, elle n’avait qu’à demander à Mar...

  • Ferme-la ! On se dépêche !

 

Il y eut un court silence avant que l’homme ne reprenne, visiblement tendu.

  • Il ne faudrait pas qu’on ait de la visite imprévue, dit-il en se tournant vers la jeune femme attachée sur le lit. Il ricana, moqueur. Viens, ma jolie, c’est l’heure du départ.

 

Il la souleva fermement, plaçant une main autour d’elle pour la maintenir stable, l’empêchant de bouger. Mais elle n’aurait pas pu fuir même si elle l’avait voulu. Ses jambes tremblaient si fort qu’elles semblaient sur le point de céder à chaque pas. Chaque mouvement lui demandait un effort colossal.

Il fallait qu’elle reprenne le contrôle. Qui étaient ces hommes ? Des miliciens de l’agence ? Peut-être. Le gouvernement américain ? Probable. D’autres variants comme elle ? Certainement. S’ils avaient voulu la tuer, ils l’auraient déjà fait, sans s’encombrer de ses affaires. À moins qu’ils n’attendent un lieu plus discret pour la faire disparaître. Ou pire. Les pensées tourbillonnaient dans son esprit, mêlées à une panique sourde. Des gouttes de sueur descendaient le long de son dos, ses mains moites se crispaient à chaque effort tandis que la peur grandissait en elle comme un poison.

Un son familier attira son attention. Un moteur. Ils l’emmenaient dans une camionnette. Allongée sur la banquette arrière, elle perçut le léger mouvement du véhicule tandis qu’il démarrait. L’un des ravisseurs lui jeta une couverture pour la dissimuler, comme s’ils tentaient de la rendre invisible au regard du monde extérieur.

Pourtant, quelque chose en elle refusa de céder à la terreur. Elle retrouva un calme relatif, presque mécanique, en focalisant son esprit sur sa respiration. Chaque inspiration lui semblait une victoire. Une seconde de plus à vivre, à espérer.

La tension restait palpable, l’atmosphère chargée d’angoisse. Contre toute attente, une impulsion étrange la poussa à rompre ce silence étouffant. Même avec la cagoule couvrant son visage, elle murmura d’une voix incertaine :

  • Où m'emmenez-vous ? marmonna-t-elle, la voix faible.

  • Quoi ? répondit-il, surpris de l'entendre. 

 

Elle rassembla ses forces, sa gorge serrée par la panique à mesure que le temps s'écoulait.

  • Pourquoi ? cria-t-elle presque distinctement, sa voix brisée par l’effort.

  • Tu le sauras bientôt, lança l’un des hommes sans détourner les yeux de la route, un rictus dans la voix. Même si ça peut te paraître bizarre, tu es mieux avec nous.

 

Elle gémit, désespérée, tandis que des larmes coulaient de ses yeux.

  • Et puis sérieusement, tu es vraiment trop mignonne pour qu’on te laisse croupir dans ce taudis, ajouta-t-il en ricanant.

 

L’autre soupira avec lassitude, comme s’il désapprouvait l’ironie de son complice. Cela suffit à lui faire comprendre qu’elle n’obtiendrait rien d’eux. Elle devait réfléchir, analyser. Leur mission était clairement de l’enlever. Mais qui avait ordonné cet enlèvement ? Ils avaient mentionné elle. Une femme tirait sûrement les ficelles de cette opération. Comment avaient-ils su qu’elle revenait d’un bond temporel ? Ce n’était pas possible, à moins qu’elle ait été surveillée.

D’ordinaire, elle ne laissait jamais de trace lorsqu’elle traversait le temps, se montrant extrêmement prudente à chaque saut. Mais maintenant, des doutes s’insinuaient en elle. Une simple erreur, une négligence, si minime soit-elle, pouvait lui coûter cher. Puis une idée la glaça. Et si Kahlan était derrière tout ça ?

Le véhicule enchaîna plusieurs virages à travers Los Angeles, changeant souvent de direction. Elle perçut les manœuvres précises du conducteur, comprenant qu’ils entraient dans un parking souterrain. Les bruits sourds des pneus sur le béton, mêlés à l’odeur âcre de l’air pollué, confirmèrent son intuition. Elle n’avait pas besoin de voir pour savoir où ils se trouvaient.

Soudain, l’un des hommes la saisit fermement pour l’aider à descendre. Il demanda ensuite au second de lui passer des chaussures afin qu’elle puisse marcher. Cette sollicitude inattendue la déstabilisa.

Lorsqu’ils atteignirent enfin leur destination, on la fit asseoir brutalement sur une chaise avant de lui retirer la cagoule.

Face à elle se tenait une femme d’une élégance glaciale. Ses cheveux grisonnants étaient impeccablement tirés en un chignon serré, laissant apparaître quelques fils blancs sur les côtés de son visage, aussi sévère que charismatique. Elle semblait avoir passé la soixantaine, et malgré l’âge visible sur ses traits, son aura imposait le respect, sinon la crainte. Assise derrière un bureau à peine décoré, la femme fumait lentement, la cigarette entre ses doigts effilés. Chaque bouffée semblait mesurée, chaque expiration une danse de volutes grises.

Son regard était fixé sur la jeune femme, scrutateur, sans une once d’émotion. Le silence pesait lourdement dans la pièce, seulement perturbé par le doux crépitement de la cigarette. Elle portait un tailleur haute couture rouge sombre, orné d’une petite broche en forme de rose et de lys. À ses oreilles et à son cou scintillaient des perles, faiblement éclairées par la lumière tamisée des lieux.

La fumée l’enveloppait, rendant difficile de discerner tous les détails de son visage. Elle semblait s’amuser de l’effet qu’elle produisait, sans prononcer un mot, simplement présente, imposante. Avec une lenteur calculée, elle tapota sa cigarette, laissant tomber la cendre au sol sans le moindre souci pour l’élégance de son environnement. Ses longs doigts, fins et délicats, paraissaient presque translucides sous cette faible lumière, comme si cette femme appartenait à un autre monde, irréel et distant.

L’atmosphère était étrange, surréaliste. La jeune femme sentait le poids des regards dans la pièce, comme si tout ici n’était qu’un théâtre macabre où elle jouait un rôle dont elle ignorait encore l’issue.

  • Merci, messieurs, dit la femme d’une voix douce mais autoritaire.

 

Les deux hommes restèrent parfaitement immobiles derrière leur captive, tels des gardes silencieux. La jeune femme, assise sur sa chaise, sentait leur présence oppressante, et la sueur coulait lentement le long de son dos. La pièce paraissait encore plus étouffante, le silence pesant, seulement troublé par le bruit léger de la cigarette que la femme au chignon fumait avec élégance. Elle continuait de l’observer sans un mot, laissant un suspense inquiétant s’installer.

  • Reprenez vos esprits, ma chère, et accommodez-vous de la lumière. Nous avons une conversation importante à mener.

 

La voix de la femme, bien qu’apaisante, portait une gravité sous-jacente. Son ton, à la fois autoritaire et mystérieux, ne laissait aucun doute sur le pouvoir qu’elle exerçait ici. Ses longs doigts tapotèrent la cigarette une fois de plus alors que la fumée s’élevait, se dissipant lentement.

Au son de cette voix profonde, familière et pourtant si distante, devant cette élégance peu commune, la jeune femme réalisa enfin. Derrière les années écoulées, derrière les rides et l’aura glaciale, elle reconnut la commanditaire de son rapt. Un choc la traversa. Cette femme avait changé. Pas seulement vieillie par le temps, mais transformée, endurcie par le poids de sa tâche. Ses traits, bien qu’altérés, n’étaient plus exactement ceux dont elle gardait le souvenir.

  • Vous, s’écria la jeune femme, sous le choc, ses yeux s’écarquillant d’incrédulité.

  • Ravie de vous revoir, Sidonie Wallorn, répondit la femme, le ton étrangement calme, presque amusé. Je vois que vous avez une excellente mémoire. Cela fait si longtemps… ou pas, puisque vous voyagez dans le temps. Il est vrai que, selon certaines sources, vos talents chronokinésiques pourraient entraîner des altérations cérébrales plutôt graves.

 

Sidonie la fusilla du regard.

  • Pourquoi tout ce cirque, Jane ? Pourquoi m’avoir fait enlever par ces deux gorilles quand vous auriez pu tout simplement me contacter et nous retrouver quelque part ?

 

Jane prit une longue inspiration avant de souffler un mince filet de fumée, ses yeux perçants toujours fixés sur Sidonie.

  • Je doute que vous auriez accepté une simple invitation, fut-elle de ma part. Il faut dire que vous ne m’avez jamais vraiment portée dans votre cœur. Et vous auriez raison de vous méfier de moi, comme je pourrais en dire autant de vous. 

  • Alors pourquoi me retenir ici, contre mon gré ? s’agaça Sidonie en fronçant les sourcils.

  • Disons simplement que vous avez de la chance d’être mon hôte plutôt que dans les filets de l’agence.

 

Le cœur de Sidonie se souleva dans sa poitrine.

  • La BMRA** ? hésita-t-elle, haletante.

  • Elle-même, acquiesça légèrement Jane, un sourire glacial effleurant ses lèvres. J’y travaille d’ailleurs.

  • Sale traîtresse, cria Sidonie, sa voix vibrant de rage.

 

Un des hommes s’approcha et posa lourdement sa main sur son épaule, la maintenant fermement en place. La pression déclencha une douleur sourde qui irradia dans toute sa poitrine et son bras droit, paralysant ses mouvements.

  • Comme vous êtes…, sourit Jane en écrasant nonchalamment sa cigarette dans un cendrier de verre. Votre rage m’amuse. Mais voyez-vous, jouer sur les deux tableaux m’apporte un avantage indéniable. Veuillez laisser de côté vos émotions enfantines et conversez avec moi comme une adulte face à une situation proche du chaos.

​Jane sortit une nouvelle cigarette, la tournant doucement entre ses doigts sans l’allumer. Puis elle se tourna légèrement vers l’homme derrière Sidonie.

  • Leon, dit-elle avec une douceur sinistre, détachez notre invitée et remettez-moi son pendentif, sans abîmer la chaîne ni la montre au centre.

  • Oui, madame, répondit Leon, obéissant immédiatement avec précaution.

 

Il détacha d’abord le pendentif avant de libérer Sidonie de ses liens. Cette dernière regardait son bien le plus précieux arraché devant ses yeux, comme si on lui retirait un organe vital.

  • Pourquoi me voler mon pendentif ? s’écria-t-elle, la voix chargée d’angoisse.

Jane inclina légèrement la tête, un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres. Elle admira l’objet tandis que son autre main manipulait sa nouvelle cigarette.

  • Permettez-moi simplement de satisfaire ma curiosité. J’ai toujours voulu admirer cet objet qui a une telle importance pour vous, me tromperai-je ? répondit Jane d’une voix énigmatique, un reproche perceptible dans le fond de son ton. Et puis… ce pendentif représente une assurance. Une garantie que vous ne tenterez pas de nous fausser compagnie à nouveau. Peut-être vous le rendrai-je, si vous acceptez d’entendre ce que j’ai à vous dire.

Sidonie ne la quitta pas des yeux, tentant de lire ses expressions et ses gestes. Chaque fibre de son être la poussait à se méfier, même si elle cherchait un brin de vérité dans tout cela.

Jane se leva de sa chaise et marcha jusqu’à la fenêtre, tirant à peine le rideau pour scruter l’horizon d’un regard lointain. Elle admira la petite montre à gousset richement ornée qui n'indiquait par l'heure exacte. Une tentation grandissante naquit dans son cœur, celle d’utiliser Sidonie pour retourner dans une époque lointaine, pour empêcher des maux et des guerres de se déclencher. Mais elle se ravisa aussitôt, consciente qu’une telle entreprise serait vouée à l’échec. Elle se retourna de nouveau pour donner ses ordres.

  • Smell, allez surveiller l’entrée. Restez vigilant et avertissez-moi au moindre signe. Nous ne sommes pas en sécurité ici, et si quelque chose tourne mal, nous partons immédiatement. Discret, comme toujours.

  • Bien, madame, répondit Smell avant de sortir d’un pas silencieux.


Jane posa délicatement le pendentif sur son bureau et resta figée un moment, les bras croisés, observant l’extérieur comme si elle récitait mentalement un discours qu’elle avait répété mille fois.

  • Je vous ai confié que je travaille pour la BMRA depuis bientôt trois ans, commença-t-elle enfin, sa voix à la fois douce et glaçante. Vous le savez certainement, cette agence est le purgatoire des variants. Pendant des années, nous avons été trompés, endormis avec des illusions sur l’avenir des nôtres. Nos dons les effraient, nos capacités les dépassent, et la destruction des refuges NickroN à New York n’a pas suffi à apaiser leur peur. Quand je vous aurai tout expliqué, vous verrez peut-être les choses sous un autre angle.

 

Elle marqua une pause avant d’ajouter.

  • Il y a trois ans, la BMRA et le gouvernement fédéral, basculé sous le parti Étatiste après l’assassinat de Sarah Washington, ont laissé croire que la destruction de NickroN Renaissance était le résultat de jeunes variants qui auraient mal tourné. C’est faux, Sidonie, et vous le savez. Vous étiez là, et vous avez fui avec Kahlan juste avant la catastrophe. Je ne vous blâme pas. Si vous étiez restée, vous seriez morte comme tant d’autres de nos congénères variants. Je parie même que vous saviez ce qui allait arriver, n’est-ce pas ?

 

Une rage sourde envahit Sidonie, qui serra les poings.

  • Comment pouvez-vous savoir ça ? hurla-t-elle.

  • J’ai mes sources, répondit Jane, imperturbable. Malgré toute la bonne volonté, NickroN n’a pas tenu et a été détruit malgré mes nombreux avertissements. Personne ne m’a écoutée cette fois, et voici le résultat.

  • Et c’est tout ? Vous pensez que ça excuse votre incompétence ? Vous avez laissé la plus grande organisation terroriste du monde détruire le refuge sous vos yeux. Et maintenant, vous voulez quoi, une médaille ? Vous êtes pire qu’eux, Jane, parce que vous restez là, impassible, toujours aussi sûre de vous.

 

Jane resta impassible devant l’explosion de colère de Sidonie. Son silence semblait calculé, comme si elle s’attendait à cette réaction. Lorsqu’elle parla enfin, sa voix était étonnamment calme, presque maternelle.

 

  • Sidonie, je comprends votre colère. Mais ne confondez pas ma position avec de la complaisance ou de l’indifférence. Ce que vous appelez incompétence était en réalité une bataille perdue d’avance. La BMRA n’est pas simplement une organisation, c’est une machine monstrueuse et implacable. Je m’y suis infiltrée pour percer leurs failles, découvrir leurs véritables intentions. J’ai été témoin de choses que vous ne pouvez même pas imaginer, de décisions prises bien au-dessus de nous, par des forces qui manipulent même ceux que vous appelez terroristes. Vous pensez vraiment que j’ai laissé faire par négligence ? Non, Sidonie. J’ai dû comprendre d’où venait la menace, qui tirait les ficelles. J’ai sauvé ceux que je pouvais, mais le mal était déjà enraciné bien plus profondément que vous ne le pensez.

  • C’était un véritable massacre, Jane, interrompit Sidonie, la voix tremblante. Vous auriez pu agir, vous auriez dû, cria-t-elle, la gorge serrée de rage.

Jane soupira et ferma les yeux un instant, comme pour ravaler une émotion cachée. Lorsqu’elle les rouvrit, elle fixa Sidonie avec gravité.

  • Oui, certainement, je ne le nie pas. Vous avez survécu, Kahlan aussi, et vous avez sauvé d’autres personnes qui ont une importance capitale pour moi. Destin ou coïncidence, peu importe. Je suis persuadée que vous avez un rôle à jouer.

 

Sidonie était furieuse, mais une part d’elle commençait à douter. Jane n’était peut-être pas la responsable directe de la destruction de NickroN Renaissance. Le rôle qu’elle jouait semblait bien plus complexe qu’elle ne voulait l’admettre.

  • Vous ne réussirez pas à me convaincre, murmura Sidonie, essayant de contenir sa rage. Vous êtes l’une d’eux désormais. Peu importe ce que vous direz, vous resterez une traîtresse à mes yeux.

  • Si vous croyez vraiment cela, alors vous êtes plus aveugle que je ne le pensais, lança Jane, une pointe de dédain dans la voix. Puis elle reprit, plus douce. Je ne suis pas votre ennemie, Sidonie. J’ai étudié la chronokinésie et je sais qu’il serait vain de tenter de modifier les événements passés sans créer des paradoxes irréversibles. Seul Nickus aurait pu y arriver. Ou ce scélérat d’Eddy Bonns, ajouta-t-elle d’une voix chargée de rancœur.

Sidonie demeura silencieuse, consciente de ses propres limites dans la modification du continuum espace-temps.

  • Je suis navrée de vous l'apprendre, Sidonie, mais l’agence vous connaît désormais. Elle traque sans relâche les derniers survivants de NickroN. Ils ont mis la main sur la base de données tenue par Angélique, l’ancienne intelligence artificielle du complexe. Ils ont peut-être du mal à vous capturer car vous filez à travers les époques tel un fantôme, mais vous laissez des traces. Leurs intelligences artificielles évoluent trop vite pour que vous puissiez leur échapper indéfiniment.

  • Et pourquoi devrais-je participer à tout ceci, murmura Sidonie.

Jane s’avança et vint se placer face à elle, près de son bureau.

  • Si je vous ai fait venir ici aujourd’hui, c’est parce que vous m’avez prévenue, il y a quatre jours, en me laissant une lettre manuscrite. Une lettre que j’ai détruite à votre demande. Vous m’aviez écrit que, le moment venu, vous comprendriez le stratagème.

  • C’est impossible, hésita Sidonie en fronçant les sourcils. Je ne revenais pas d’un bond temporel avant de me retrouver à cet hôtel. Je n’ai aucun souvenir d’avoir laissé cette lettre.

  • Et pourtant, vous l’avez fait, rétorqua Jane avec calme.

  • Mon homologue, pas moi, pas encore. Ce qui veut dire que….

  • ...vous devrez effectuer cette boucle vous aussi. 

Jane esquissa un sourire énigmatique, comme si elle cachait la vérité derrière ses yeux bleu-gris.

  • Cet enchaînement d’événements prouve que tout ceci est lié. Vous devez me suivre, Sidonie.

  • Je n’ai en aucun cas donné mon accord pour vous suivre, répliqua Sidonie d’un ton déterminé. Vous maquillez la vérité, comme à votre habitude. Je ne suis pas sûre de pouvoir vous faire confiance, Jane.

 

La femme marqua une pause, laissant le silence s’installer dans la pièce avant de fermer le rideau d’un geste lent. Elle s’approcha alors de Sidonie, son regard plus intense que jamais, et sa voix se fit plus mesurée, presque conspiratrice.

  • Avant de fuir NickroN, vous avez ordonné à mon descendant, Lucas, de quitter le complexe. Puis-je vous demander pourquoi ?

  • Lucas ? s'étonna Sidonie.

  • Oui, Lucas, insista Jane. Un jeune homme blond, un triple inconscient qui manipule un catalyseur d’énergie en adamantium. J’ai entendu dire qu’il a été votre ami.

  • Où est-il ? Est-il en vie ? s’inquiéta Sidonie, la gorge serrée.

  • Il y a de grandes chances, Sidonie. Et c’est grâce à vous qu’il a pu s’échapper de NickroN à temps, avec un autre jeune homme.  

 

Sidonie resta figée un instant, hantée par le souvenir de la destruction de NickroN. Elle revoyait les attaques, le sang maculant les murs, les morts et les blessés hurlant de terreur. Tout s’était déroulé si vite. Elle avait longtemps enfoui Lucas dans sa mémoire, et jamais il n’avait mentionné Jane durant leurs brefs échanges, encore moins cette étrange connexion familiale qui les liait. Comme elle, il se montrait discret sur ses origines.

  • Il ne m’a jamais parlé de vous, murmura-t-elle, plissant les yeux, troublée.

  • Nous avons toujours eu des rapports compliqués, admit Jane, et son timbre se teinta d’une amertume glacée. Mais qu’importe nos différends, il est impératif de retrouver sa trace.

  • Vous n’avez pas les moyens de le chercher vous-même avec vos subordonnés ? Vous, Jane, si pleine de ressources ? se moqua Sidonie, son sarcasme teinté de défi.

  • Illyria, sa mère, n’a plus aucune nouvelle de lui depuis un moment. Nous avons exploré de nombreuses pistes, piraté les systèmes de la BMRA, mais tout nous échappe. Je soupçonne qu’il se cache intentionnellement, tout comme vous, dit Jane avec un sourire ironique.

Jane posa alors fermement sa main sur l'épaule de Sidonie, l’observant avec une intensité presque douloureuse. Ses intentions étaient claires : elle n’attendait qu’une seule chose, que Sidonie accepte de l’aider. Une hésitation furtive passa dans ses yeux, comme si elle envisageait un instant de donner l’ordre de la neutraliser si elle refusait. Après tout, la BMRA se rapprochait dangereusement, et laisser Sidonie derrière n’était plus une option.

  • Sidonie, insista Jane, sa voix s’endurcissant. Vous ne pouvez pas fuir éternellement. Il est temps d’accepter votre destinée en luttant contre la BMRA, avec nous.

 

Mais quelque chose se brisa dans l’assurance de Jane. Les mots restèrent en suspens, comme si elle-même ne croyait plus totalement à ce qu’elle disait. Face à cette femme qu’elle avait traquée si longtemps, Jane semblait vaciller. Sidonie, elle, restait encore sous le choc, partagée entre fuir sans savoir où aller et plonger dans cet univers incertain. Elle savait qu’elle ne pourrait pas échapper à la BMRA indéfiniment. Si les agents de Jane avaient réussi à la retrouver, alors la milice de la BMRA, avec leurs ressources infinies, n’en serait que plus rapide.

Un silence pesant s’installa, que Sidonie finit par briser d’une voix tremblante mais résolue.

  • J’accepte de vous suivre, déclara-t-elle enfin, son regard s’embrasant aussitôt d’un défi flamboyant. À deux conditions.

 

Jane relâcha légèrement sa prise sur son épaule, son regard s’assombrissant.

  • Je vous écoute, répondit-elle, d’une voix aussi tendue qu’un fil prêt à rompre.

  • D’abord, rendez-moi mon pendentif. Sidonie tendit la main, impatiente.

 

Jane hésita une seconde, puis tendit lentement l’objet vers elle. Sidonie l’attrapa immédiatement, comme une personne affamée retrouvant sa ration vitale. La tension dans l’air s’accrut, mais Jane céda sur ce premier point.

  • Et quelle est votre seconde condition ? demanda Jane, ses sourcils froncés par l’impatience.

 

Sidonie la fixa longuement, ses yeux brillant d’une colère contenue.

  • Je refuse d'agir comme l’une de vos marionnettes à vos ordres, cracha-t-elle avec amertume. Je ne suis pas votre soldat, ni une cheffe de guerre, et certainement pas votre amie. Je n’ai rien à prouver, ni à vous ni à quiconque. Vous et moi partageons un ennemi commun, c’est tout. Que les choses soient claires : une fois notre mission accomplie, nous nous séparerons, même si je ne saisis pas encore pourquoi mon homologue du futur vous a contacté.

 

Jane, un instant prise de court, se redressa et croisa les bras, son visage figé dans une expression que Sidonie ne put déchiffrer.

  • On ne peut plus clair, ma chère. Prenez vos affaires, et suivez-nous, répondit-elle d’une voix froide, mais son regard trahissait une pointe de respect inattendue. Smell, revenez vers nous, s’il vous plaît, ordonna Jane d’une voix calme tout en transmettant l’ordre via sa montre connectée, dont l’écran s’illumina un instant d’une lumière bleutée.

L’atmosphère s’était légèrement détendue depuis l’établissement des conditions de l’arrangement entre Jane et Sidonie. Profitant de ce court répit, la maîtresse des lieux décida d’enchaîner sur les présentations, comme pour officialiser l’entrée de Sidonie dans leur monde clandestin.

  • J’aimerais vous présenter Hiro. Nous devons éviter d’utiliser nos véritables prénoms hors de notre refuge, pour des raisons de sécurité évidentes. Hiro est efficace, professionnel. Vous verrez qu’il est digne de confiance. Il est l’un de mes gardes du corps, mais plus encore, un variant spécialisé dans la polymorphie. Une capacité… inestimable pour nos opérations.

  • Merci, madame, répondit-il, inclinant légèrement la tête dans un signe de respect silencieux.

Sidonie tourna la tête vers lui. Elle remarqua qu’il portait désormais une combinaison noire ajustée, dévoilant un corps musclé, parfaitement entretenu. Un impressionnant tatouage tribal encerclait son cou, tandis qu’un piercing noir ornait son oreille gauche. Ses longs cheveux noirs étaient rassemblés en dreadlocks à l’arrière de sa tête, rasée sur les côtés, lui conférant un style à la fois moderne et insoumis au diktat de la mode dominante. Une fine cicatrice traversait son arcade sourcilière droite, vestige d’une blessure reçue en mission, accentuant encore son allure de combattant rebelle. Hiro Hawk venait tout juste de fêter ses trente-deux ans, même s’il en paraissait à peine vingt-cinq. Son don, semblable au camouflage du caméléon, lui permettait non seulement de se fondre parfaitement dans son environnement, mais aussi d’adopter les attributs physiques des objets ou les traits des personnes à proximité.


Leurs regards se croisèrent un instant, un mélange de méfiance, d’interrogation et d’évaluation mutuelle. Au départ, Sidonie ne ressentait que du dégoût pour ses ravisseurs, mais quelque chose, dans la posture et l’attitude d’Hiro, attira son attention. Il dégageait un charme brut, une intensité dangereuse, une aura de prédation mêlée à une insolence presque magnétique. En d’autres circonstances, elle l’aurait peut-être trouvé séduisant, fascinant, peut-être même rassurant avec son air de bad boy solitaire. Lui, de son côté, esquissa un léger sourire, presque imperceptible, un sourire qui semblait dire : je suis désolé pour ça, mais je fais mon boulot.

Mais Sidonie se rappela aussitôt qu’elle ne pouvait se permettre la moindre faiblesse. L’attirance fugace qu’elle venait d’éprouver n’était qu’une illusion. Un piège potentiel dans ce jeu dangereux où chacun masquait ses véritables intentions. Et Jane, pendant ce temps, demeurait droite, le visage impassible, son ombre planant sur chacun de leurs gestes.​

 

Quelques instants plus tard, Smell entra silencieusement dans la pièce, essoufflé, comme un loup de retour d’une longue traque.

  • Et voici Walter, dit Jane en désignant l’homme à la silhouette effilée. Un brave garçon. C’est grâce à lui que nous avons pu vous localiser, Sidonie. Il veille sur ma sécurité, avec Hiro, et s’occupe de certaines missions… spécifiques.

Walter se tenait droit, le visage fermé, tendu comme la corde d’un arc. Grand, à la stature carrée, la peau légèrement mate, ses cheveux noirs étaient rasés sur les côtés et retombaient en mèches longues, teintes d’un violet profond, parfaitement coiffées sur le côté. Son allure impeccable et élégante était rehaussée par un costume noir taillé sur mesure, assorti à une chemise sombre, une cravate et une pochette violette rappelant la teinte de ses cheveux.

Il portait de larges lunettes noires opaques, masquant totalement son regard. Une canne blanche était fixée à sa ceinture, oscillant doucement à chacun de ses mouvements. Cet objet n’était pas qu’un simple guide, mais un tonfa dissimulé, arme redoutable en cas d’attaque. Aveugle depuis la naissance, Walter n’avait jamais considéré son handicap comme une faiblesse. Doté d’un don unique, il possédait un sens olfactif surdéveloppé, capable de percevoir des odeurs à travers le temps et l’espace, abolissant ainsi toute limite physique. Sous son apparence glaciale et futuriste se cachait un prédateur silencieux, aussi élégant que dangereux.

Grâce à une lettre laissée par une autre version de Sidonie, Walter l’avait retrouvée sans difficulté, même à travers l’épaisse puanteur de l’hôtel Cecil. Son don fonctionnait comme une forme raffinée de géolocalisation animale. Chaque effluve qu’il captait devenait un monde, une cartographie invisible à laquelle lui seul avait accès.

Sidonie l’observa avec une certaine curiosité, malgré elle, impressionnée par la singularité de ce pouvoir, et par cette élégance rare au cœur de la clandestinité.

  • Ils sont là, madame, dit-il d’une voix grave et basse, vibrante de tension contenue. Au moins une dizaine.

  • Eh merde…, souffla Hiro tout en dégainant l’arme dissimulée sous sa combinaison.

  • Si peu ? répliqua Jane d’un ton cynique, un mince sourire glacial flottant sur ses lèvres. Je m’attendais à plus.

La jeune femme faisait face à Jane, qui restait d’un calme presque inhumain devant la menace grandissante. Un frisson d’angoisse traversa Sidonie. Elle n’était ni une combattante, ni une héroïne. Dans ce genre de situation, elle préférait fuir, utiliser son don temporel pour disparaître avant que quiconque ne puisse poser la main sur elle. Mais là, elle se sentait paralysée, comme vidée de ses forces. Une forme d’impuissance, de résignation et une peur latente se glissèrent en elle, telle une brume glacée. Elle comprit qu’elle ne pourrait plus tenir longtemps seule, démunie et solitaire, avec la BMRA à ses trousses. 

Walter actionna sa canne de soutien. Elle se sépara en deux en un claquement sec, révélant des tonfas d’acier qu’il mania avec une précision et une assurance extraordinaires, malgré sa cécité. À ses côtés, Hiro sortit son arme à feu, avant d’en tendre une à Sidonie. Elle la fixa, le regard vide, figée par la répulsion. Elle haïssait les armes. Elle haïssait ce qu’elles représentaient.

Pendant ce temps, Jane enfila sa veste, puis attrapa son petit sac à main et sa tablette tactile, un objet semblable à un morceau de verre poli à la perfection, centre nerveux de son pouvoir à distance. Son calme, sa prestance et sa détermination étaient presque surnaturels, et, malgré elle, Sidonie sentit naître un étrange sentiment : Jane la rassurait. Elle projetait une force d’attraction qui l’enveloppait, l’entraînant dans une guerre dont elle ne mesurait pas encore l’étendue.

  • Restez près de moi, Sidonie, ordonna Jane d’une voix ferme. Et faites tout ce que je vous dirai. Messieurs, vous savez quoi faire.

  • Oui, madame, répondirent Hiro et Walter à l’unisson, leurs voix résonnant comme un écho métallique dans la pénombre. Ils étaient prêts. Habitués à ces assauts.

  • Je… je ne m’attendais pas à cela, souffla Sidonie, un tremblement dans la voix.

Ils se mirent en marche, fendant l’obscurité comme des ombres mouvantes, cherchant à éviter toute silhouette ennemie. 

  • Vous comprenez maintenant pourquoi la BMRA ne nous laissera aucun répit tant que nous ne l’aurons pas détruite, murmura Jane d’une voix qui semblait émaner de la nuit elle-même. Et n’espérez aucune clémence de leur part s’ils mettent la main sur vous. Car la mort vous paraîtra plus douce que ce qui vous attendrait dans leurs centres de reconditionnement. Restez silencieuse. Et continuez à avancer.

 

Walter ouvrait la marche, ses pas glissant sur le béton crasseux, son visage impassible pointé droit devant lui. Derrière ses lunettes noires, ses narines frémissaient, captant chaque flux d’air, chaque molécule odorante, reconstruisant mentalement une cartographie invisible d’une précision inouïe. Rien ne lui échappait. Ni les obstacles, ni l’ombre mouvante des hommes armés à l’étage inférieur.

Hiro fermait la marche, l’arme levée, prêt à faire feu. À ses côtés, Sidonie avançait, le souffle court, prisonnière d’un présent trop réel pour qu’elle puisse fuir dans ses époques disparues.

 

Sidonie n’entendait que le bruit de leurs pas furtifs, mêlé à leurs respirations calmes et contrôlées. La sienne, en revanche, haletait, tremblante, tentant désespérément de se raccrocher au courage et à la détermination de ses nouveaux camarades. Il émanait de Jane un charisme débordant de calme et de sang-froid, une aura presque surnaturelle, comme si elle avait déjà anticipé chaque issue possible de cette mission suicidaire.

Avant de tourner à une intersection, Walter leva le bras, les arrêtant net. D’un geste précis, il indiqua plusieurs silhouettes à une cinquantaine de mètres. Des miliciens de l’agence, lourdement armés. Leur équipement était celui des soldats d’élite de la Fédération Unie : capteurs thermiques, visées holographiques, systèmes de détection sonore, combinaisons renforcées. Un attirail de guerre si perfectionné qu’il faisait pâlir d’envie les forces armées classiques.

 

Sidonie, appuyée contre un mur, tremblait si fort que ses dents claquaient. Jane posa doucement sa main sur son épaule, lui intimant le silence, puis fit signe à Hiro, grâce à sa montre lumineuse. Il comprit aussitôt.

Hiro posa sa main sur l’épaule de Sidonie. Jane et Walter vinrent toucher son bras, formant un seul corps, un seul flux. Sidonie sentit alors une sensation inconnue parcourir tout son être. Elle eut l’impression de disparaître, de fusionner avec le mur froid et humide derrière elle. Sa peau se confondait avec la peinture décrépie, ses os vibraient comme les structures métalliques rouillées du bâtiment. Hiro venait d’activer son don de polymorphie, et ensemble, ils étaient devenus invisibles. Même les technologies les plus sophistiquées de l’agence et de l’armée américaine n’auraient pu les détecter.

 

Walter, lui, inspirait à intervalles mesurés. Ses sens olfactifs scannaient chaque molécule, chaque effluve de l’air saturé d’humidité. Il percevait le stress corrosif de Sidonie comme un parfum brûlant, presque insupportable.

Les miliciens avançaient, leurs bottes frappant le béton avec précision. Sidonie retint sa respiration. Ils étaient si proches qu’elle aurait pu tendre la main et toucher leurs armures noires. Mais ils passèrent sans rien remarquer.

Et alors que le dernier soldat franchissait leur position, tout bascula.

D’un mouvement synchronisé, Jane, Walter et Hiro se détachèrent du mur comme des ombres vivantes. En un battement de cil, ils s’étaient glissés derrière les cinq hommes. Leurs armes jaillirent, silencieuses, tirant une balle dans la tête de chaque garde avec une précision chirurgicale. Pas de cris. Pas de résistance. Juste des corps s’effondrant comme des pantins désarticulés.

Les armes qu’ils utilisaient n’avaient rien de commun avec celles des escouades gouvernementales. Elles étaient le fruit d’ingénieurs mercenaires, optimisées pour tuer vite et proprement, sans laisser la moindre chance ni alerter par le moindre bruit.

Sidonie sursauta, étouffant un cri. Son arme lui échappa des mains, tombant au sol dans un fracas métallique. Trop tard. Le bruit résonna dans les coursives attenantes, un écho funeste. 

  • Merde..., grogna Hiro, ramassant l'arme d'un geste rapide avant de la glisser dans sa poche.

Il attrapa Sidonie par le bras. Elle pleurait en silence, son visage ravagé par la peur et le chagrin de ce déchaînement de violence. Ils fuirent, courant le long d’un couloir étroit, faiblement éclairé par des néons grésillant. Walter, en tête, referma une chaîne derrière eux, la fixant d’un crochet magnétique pour ralentir leurs poursuivants et leur offrir quelques minutes de répit.

Ils débouchèrent enfin sur une porte de service qui s’ouvrit sur une ruelle obscure, à l'abri des regards. L’air extérieur, froid et humide, les frappa au visage, en plus de la pestilence environnante des déchets jonchant les rues. À quelques mètres de là, une voiture noire aux vitres teintées les attendait, moteur déjà prêt.

Le véhicule, sobre et élégant, dégageait une aura de puissance et de sophistication. En 2116, seules les élites possédaient de telles merveilles technologiques. Ses pneus en alliage circulaire étaient quasiment indestructibles. Son moteur électrique, silencieux et performant, couplé à des panneaux solaires à ultra-conduction, la propulsait bien au-delà des modèles civils classiques. Les pauvres, eux, se contentaient toujours de véhicules fossiles, polluants et obsolètes, quand ils pouvaient encore se les payer.

Jane se tourna vers Sidonie, ses yeux d’acier brillant d’une détermination glaciale.

  • Montez. Vite.

Sidonie obéit sans protester. Derrière elle, Hiro vérifiait les arrières, tandis que Walter, la tête légèrement relevée, flairait l’air nocturne pour détecter la moindre menace. Des coups retentissaient déjà contre la porte bloquée par la chaîne, résonnant comme des tambours de guerre.

La voiture démarra en trombe, ses pneus effleurant l’asphalte détrempé sans un bruit. Hiro, au volant, manœuvrait avec une précision froide, fondant dans la nuit. Les ruelles sombres défilaient à toute allure, leurs façades décrépies s’effaçant dans le sillage du véhicule. Après quelques virages serrés, Hiro ralentit, adoptant une allure plus discrète. Ils progressaient ainsi, phares éteints, tels des spectres glissant sur le bitume. Les drones de surveillance planaient au-dessus des toits, leurs projecteurs balayant la ville sans repérer le véhicule. Les patrouilles de robots policiers roulaient en sens inverse, imposants et aveugles à leur passage. Bien que Los Angeles n’imposât pas de couvre-feu officiel, la nuit appartenait aux puissants… et aux clandestins.

Soudain, Sidonie se retourna. Son regard fut happé par une lueur orange à l’horizon. Puis, dans un fracas assourdissant, le bâtiment qu’ils venaient de quitter explosa, projetant des débris et des flammes dans le ciel nocturne. Son visage se figea, blême. Elle comprit alors. Tous les hommes de la BMRA qui les avaient traqués venaient de périr. Et, avec eux, toute trace de son passage venait d’être effacée. 

À l’arrière, un silence lourd s’installa. L’air semblait saturé de non-dits. Chaque respiration était mesurée, chaque regard soigneusement évité. Les deux femmes étaient prisonnières de leurs pensées, chacune sondant les abysses des conséquences que leurs choix venaient d’ouvrir.

Hiro brisa enfin la chape de plomb qui pesait sur l’habitacle. Sa voix, posée mais teintée d’hésitation, résonna dans l’obscurité

  • Madame, devons-nous aller extraire le second variant maintenant ?

  • Pas aujourd’hui, répondit Jane d’une voix tendue, presque tranchante. Il est encore trop tôt pour se risquer à récupérer ce jeune homme.

 

Sidonie, blottie à l’arrière du véhicule, fouilla son sac d’un geste tremblant et en sortit une veste qu’elle enfila maladroitement. Ses mouvements étaient mécaniques, vides de sens. Son regard restait fixé sur ses mains, sans écouter le dernier échange entre Hiro et Jane. Elle ne voulait pas admettre ce qu’elle ressentait : la peur, la honte, l’impuissance, et cette part d’elle-même qui, malgré tout, était soulagée d’être encore en vie grâce à ses nouveaux alliés.

 

Jane tenta d’alléger l’atmosphère tendue.

  • C’est terminé, ma chère, reprit-elle d’une voix douce, presque maternelle. Quand nous arriverons, nous vous ferons passer quelques tests et vous vous reposerez. D’ailleurs, je manque à tous mes devoirs d’hôtesse. Désirez-vous boire quelque chose ?

 

Elle ouvrit le minibar d’un geste délicat, feignant la courtoisie. Sidonie la dévisagea, sceptique, tandis que Jane sortait une bouteille avec un geste précis, presque cérémonieux.

  • Du champagne ? À cette heure-ci ? ironisa la jeune femme, un sourcil levé.

 

Jane ne se laissa pas déstabiliser. Sa voix resta posée, teintée d’une légère provocation.

  • Le champagne est une boisson connue pour ses bienfaits sur la santé… bien sûr, à consommer avec modération. Mais si cela ne vous convient pas, prenez donc de l’eau, ça vous désaltérera tout aussi bien.

 

Sidonie croisa les bras, la fixant d’un regard froid. Cette femme jouait un jeu dangereux, et elle le savait.

Après s’être servi une coupe, Jane porta le verre à ses lèvres, savourant une gorgée avec une élégance presque aristocratique.

  • Je suppose, poursuivit-elle en appréciant le nectar, que mes origines françaises n’y sont pas étrangères. Mais cela dit, on n’a pas besoin d’être Français pour savourer ce genre de breuvage.

Sidonie sembla troublée, un léger malaise s’installant en elle, comme si une pièce du puzzle lui échappait.

  • Je ne me souvenais pas que vous et Lucas veniez de l’Empire Europa, dit-elle, légèrement confuse.

 

Jane esquissa un sourire en coin.

  • Nous sommes bien Français… ou plutôt “Europistes”. Mais cela importe peu pour ce qui nous concerne. Il me semblait que vous ne vouliez pas que nous devenions, je cite, des « amies ».

Elle marqua une pause, son sourire s’élargissant avec une pointe d’ironie.

  • Quoi qu’il en soit, mon véritable nom est Jeanne de Roselys. Mais vous pouvez m’appeler “madame”, ou simplement “Jane”, comme vous préférez.

Elle termina son verre et le déposa délicatement dans le minibar avant de le refermer avec précision.

  • Laissez-moi vous exposer rapidement les choses, enchaîna-t-elle, en allumant l’écran intégré au fauteuil passager devant elle. J’ai fait l’acquisition d’une grande demeure ultra-sécurisée, équipée d’une intelligence artificielle bien plus puissante que ce que vous avez connue à NickroN.

​​

La maison apparut sur l’écran, véritable bijou d’architecture contemporaine. Ses lignes épurées, ses immenses baies vitrées et son aspect lumineux lui donnaient une allure à la fois luxueuse et ouverte sur le monde. Un contraste troublant avec la situation chaotique dans laquelle Sidonie était plongée depuis son retour dans cet espace-temps. Le film promotionnel s’interrompit et Jane reprit la parole, d’une voix calme mais autoritaire.

  • Vous vivrez ici. Vous pourrez vous déplacer librement dans l’enceinte du complexe. HOPE, notre intelligence artificielle, veillera à ce que tout se déroule sans problème pour votre intégration à notre groupe. Sarah Garden, notre analyste, vous expliquera en détail le fonctionnement de la sécurité. Nous vivons le plus possible en autarcie, loin des regards extérieurs. Pour toute sortie, un protocole strict devra être suivi, surtout pour protéger votre identité. Vous serez constamment accompagnée à l’extérieur. Il est primordial que vous évitiez d’être repérée par la BMRA ou le gouvernement. 

 

Sidonie hésita un instant avant de poser la question qui la hantait depuis leur première rencontre.

  • Suis-je prisonnière ?

 

​Jane la fixa, une pointe de gravité traversant son regard.

  • Avez-vous oublié que la liberté n’est qu’une illusion ? répondit-elle d’une voix sombre. Il y a peu, nous avons perdu quatre personnes. Dont Drew, un jeune homme brillant, épris de liberté et d’autonomie. Il croyait qu’il pouvait tout affronter, qu’il était invincible, qu’il n’avait pas besoin de suivre nos conseils. Il n’a pas pris les précautions nécessaires. Ils l’ont exécuté. Alors cette “prison”, comme vous l’appelez, pourrait bien être votre meilleure protection pour l’instant. Les gens qui s’y trouvent pourront vous aider… si vous leur faites confiance.

​Alors que Jane continuait de parler, Sidonie regardait toujours à travers la fenêtre, son esprit vagabondant parmi les scènes de vie ordinaires qui défilaient au petit matin. Des passants pressés, des livreurs, des promeneurs, des étudiants… tous menant des vies simples, sans la menace constante de la BMRA ni le fardeau d’être variant. Une mélancolie profonde l’envahit. Elle aurait tout donné pour être quelqu’un d’ordinaire, se fondre dans l’anonymat d’une existence banale, loin des responsabilités et des dangers.

Elle fut arrachée à ses pensées par la voix de Jane et se tourna brusquement vers elle.

  • Quoi ? demanda Sidonie, revenant à la réalité.

  • Je disais que nous sommes trop peu nombreux pour agir frontalement contre la BMRA, répondit-elle calmement. Si nous voulons survivre et un jour, peut-être, inverser le cours des choses, nous devons être subtils. Invisibles.

  • Vous venez de faire exploser un bâtiment, releva Sidonie, sceptique.

  • Certes, répondit Jane sans détour. Il faut parfois frapper fort pour être entendus. Je suis contre la violence et le meurtre. Mais cela s’avère parfois nécessaire. Surtout lorsque c’est vous qui êtes la proie, et eux nos prédateurs, Sidonie. Ne l’oubliez jamais.

 

Sidonie la fixa, le regard perdu dans l’idée d’un avenir où elle pourrait échapper à la BMRA. Elle ne répondit pas immédiatement. L’idée de s’allier à Jane, malgré leurs différends, pesait lourd dans son esprit. Mais à quoi bon fuir encore et encore ?

  • Je vois, murmura-t-elle, son regard se perdant à nouveau. Vous parlez de pacification… mais comment comptez-vous atteindre cela sans attirer l’attention ? Si la BMRA a des espions partout, ils pourraient déjà surveiller vos moindres faits et gestes.

  • Excellente question, répondit Jane, esquissant un sourire énigmatique. Vous savez, j’ai vécu assez longtemps pour comprendre certaines choses sur la nature humaine. Mais il faut savoir que la BMRA, dans sa paranoïa, utilise aussi des variants renégats. Ils ont renié leur propre espèce. Ils croient fermement que nous devons être éradiqués… ou contrôlés. La première phase du plan de l’agence a commencé il y a plusieurs décennies : manipuler les masses en faisant passer les variants pour une menace. Leurs véritables intentions restent floues, mais j’imagine que cela tourne autour d’un contrôle total des deux espèces. Malgré tout, je reste convaincue que la pacification entre humains et variants est possible. Même si cela prendra du temps.

 

Avant que Sidonie ne puisse répondre, Walter interrompit la conversation, sa voix calme brisant le silence tendu.

  • Madame, nous sommes arrivés.

*Le FedCoin est devenu la monnaie officielle de la Fédération Unie depuis l’abandon du dollar US en 2062, peu après le déclenchement de la IIIe Guerre mondiale et l'effondrement économique. Les espèces physiques sont rares depuis l’avènement de la cryptomonnaie voulue par la stricte régulation financière de la Banque Centrale de la Fédération Unie pour un meilleur suivi des transactions.

**Biological Mutation Research Agency ou l'Agence de Recherche des Mutations Biologiques.

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