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Sidonie Wallorn

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Tome 1 : la BMRA - Partie 1

Chapitre 1 : « Retrouvailles »

Année 2116 | 24 octobre – 6 h 45, quartier Downtown, Los Angeles - Californie

Dans une petite chambre d’hôtel du quartier délabré de Downtown, une jeune femme d’une trentaine d’années vivait en solitaire depuis quelques jours. Personne ne se souvenait vraiment de son arrivée. Dans ce quartier, les habitants avaient depuis longtemps adopté une règle tacite : éviter de se mêler des affaires des autres. Chacun avait déjà ses propres luttes à mener. La jeune femme semblait chercher un répit après un long voyage, cherchant à se faire oublier pour un temps. Ceux qui l’avaient croisée n’auraient pu dire grand-chose à son sujet, si ce n’est qu’elle paraissait préoccupée, fuyante, et peu encline à se confier. 

Nous étions le 24 octobre 2116. Comme chaque jour, les journaux télévisés martelaient un flot ininterrompu de nouvelles catastrophes : désastres climatiques, bouleversements politiques, crises biologiques. Le tout présenté par des journalistes aux ordres d’un pouvoir corrompu, qui ne faisaient guère plus que nourrir la désillusion générale. L’espoir était devenu si rare qu’il semblait futile d’être optimiste, surtout avec une telle presse.

Dans les rues abandonnées de Downtown, on croisait ce qu’on appelait des "morts-vivants" : des hommes et des femmes, brisés par une existence morne, traînant leur désespoir en quête de drogue pour quelques instants de faux paradis. Les gangs se disputaient leurs petits territoires dans des combats violents, semant disparitions et cadavres. Au milieu de cette crasse et de cette misère, des jeunes, filles ou garçons, erraient dans les larges avenues, leur courage nourri par le désespoir. Ils vendaient leurs corps pour quelques billets, espérant échapper, ne serait-ce qu’un moment, à leur triste réalité. La réputation de Downtown, en ruines depuis cent quatre-vingt-douze ans, ne surprenait plus personne.

L'hôtel Cecil, un immeuble vétuste et presque à l'abandon, subsistait grâce aux profits qu'il tirait d'une population désœuvrée. Son architecture, autrefois élégante et ostentatoire, témoignait d'une époque révolue où il symbolisait la grandeur. Aujourd'hui tristement célèbre pour des événements sordides, il incarnait parfaitement l'esprit du quartier laissé à l'abandon par des autorités dépassées.

Pour une jeune femme seule, belle mais usée par les épreuves du temps, cet endroit n'offrait guère de sécurité. Néanmoins, il permettait de se fondre dans l’anonymat d’une grande ville indifférente. Les ascenseurs — quand ils fonctionnaient — exhalaient une odeur d'urine persistante, tandis que les toxicomanes, défigurés par leurs addictions, rôdaient dans les couloirs. Une brume âcre, mélange de drogue, de sueur et de déchets, flottait dans les espaces communs : les coursives, le hall d’entrée, et même dans la plupart des chambres. Les résidents eux-mêmes accroissaient la dangerosité de cet hôtel, où retrouver des cadavres en décomposition était devenu une triste banalité. Quant aux « touristes », principalement regroupés au quatrième étage pour des séjours anonymes et à moindre coût, ils étaient vivement déconseillés de s'aventurer aux niveaux supérieurs, à leurs risques et périls.

La jeune femme était allongée sur le lit, la tête calée contre un oreiller à peine confortable, fixant le plafond noirci par des années de négligence. Elle scrutait les imperfections de la peinture, chaque craquelure, chaque défaut. Des insectes erraient, en quête de quelque proie invisible, tandis qu’un écosystème de moisissure prospérait silencieusement dans les recoins. Malgré tout, la chambre offrait un certain confort dans cet environnement délabré.

Les yeux fixes, elle laissait son esprit dériver dans les méandres de ses souvenirs. Une tristesse sourde, mêlée à une fatigue écrasante, l’envahissait, semblable à un virus rongeant un corps affaibli. Des remords ? Peut-être. Elle aurait eu du mal à identifier les raisons exactes de sa mélancolie, mais elle espérait que ce malaise finirait par se dissiper, avec le temps et beaucoup de patience.

Elle savait qu’elle avait besoin de ce repos. Faire le point, rassembler ses pensées, recentrer son esprit — c’était nécessaire pour ne pas sombrer dans la folie. Lentement, elle glissait vers un sommeil apaisant, presque palpable. La sensation était douce, irrésistible. Y résister n’avait aucun sens.

Un bruit sourd. On frappait à la porte.

Immédiatement, ses yeux s’ouvrirent, la tirant brutalement de sa quiétude. Elle se redressa d’un bond, assise sur le lit, le cœur battant. Hagarde, surprise, elle se demanda qui pouvait bien se trouver derrière la porte. Quelle heure était-il ? Il était bien trop tôt pour que ce soit le service d’étage, s’il en existait un dans cet endroit misérable. Un autre résident ? Une erreur ? Un tueur ? L’idée lui traversa l’esprit. En tout cas, ce n’était certainement pas un rêve. L’odeur nauséabonde de la cage d’escalier, qui s’était déjà infiltrée dans sa petite chambre, ravivait ses narines, la ramenant à la réalité.

Vêtue d’un simple t-shirt rose bon marché et d’un jogging gris, la jeune ne prêta pas attention au pendentif posé sur sa table de nuit. C'était son bien le plus précieux.

Elle se leva rapidement, les pieds nus contre le sol froid, et glissa une main dans ses longs cheveux roux ondulants, un geste automatique, comme pour se rassurer. Chaque pas la rapprochait de la porte, ses mouvements empreints d'une prudence palpable. Qui pouvait bien frapper à une heure pareille, dans cet hôtel sordide ?

  • Room Service mademoiselle.

 

Elle resta figée, l'esprit en alerte. Son rythme cardiaque s'accélérait, la méfiance montant en elle.

  • À cette heure-ci ? Que voulez-vous ?! répondit-elle, sa voix trahissant une pointe d'irritation mêlée d'anxiété.

  • Eh bien, nous avons un problème. La police va intervenir pour une perquisition. Serait-il possible d'ouvrir, s’il vous plait ? demanda calmement la voix de l'autre côté de la porte.

 

Elle fronça les sourcils, méfiante. Rien dans cette situation ne paraissait normal.

  • Euh… Non, rétorqua-t-elle, le ton soudain plus sec, presque défensif.

Il y eut un bref silence quant que la voix ne reprenne, cette fois plus insistante, presque persuasive.

  • Il y a eu un incident grave près de votre chambre. Nous pensons qu'il est préférable de vous prévenir avant que la police n'arrive !

 

Son cœur battait de plus en plus fort, chaque mot de l’homme résonnait étrangement faux. Une sueur froide coulait le long de sa nuque tandis qu’elle risquait un regard à travers le judas de la porte. De l’autre côté, un homme en uniforme, semblable à celui des agents d’entretien de l’hôtel, se tenait avec un chariot et des balais. Il regardait nerveusement de chaque côté du couloir, sur le qui-vive. Est-ce dû au contexte ou l’homme cachait-il quelque chose ?

Prudente, elle posa délicatement ses mains sur la porte, prête à la retenir en cas d’intrusion. Soudain, leurs regards se croisèrent à travers le judas. Une sensation désagréable la traversa, comme si l’homme, par son regard, avait pénétré au plus profond d’elle-même, cherchant à déceler ses pensées.

Mais loin de se laisser terrifier, elle continua à l’observer. Le temps sembla se contracter, une seconde devint une éternité. Pense, réfléchis. Il fallait qu’elle garde son calme, qu’elle ne laisse rien transparaître. Les gens coupables se méfient de tout. Pas les innocents., se dit-elle. Elle ne devait pas lui donner l'impression qu'elle le soupçonnait de quoi que ce soit.

 

  • D’accord, c’est noté, dit-elle pour briser le silence. Je vais glisser quelques coupons de FedCoins* sous la porte, et vous dégagez immédiatement, compris ?!

  • Bien, mademoiselle, répondit l'homme d’une voix calme.

 

Alors qu'elle se baissait, peinant à glisser les coupons sous l'interstice de la porte, celle-ci fut soudainement enfoncée avec violence. Un second homme, qu’elle n’avait pas remarqué pendant l'échange, fit irruption dans la chambre. Son visage et son corps étaient entièrement dissimulés sous une combinaison noire et une cagoule, ne laissant rien apparaître.

Propulsée en arrière par la force de l'impact, elle atterrit lourdement sur le sol, la chute amortie seulement par l'épaisse moquette poussiéreuse. Le réflexe de crier lui traversa l’esprit, mais elle savait que cela serait vain dans cet hôtel délabré où personne ne viendrait à son secours. Paniquée, elle tenta de s’échapper en rampant, se dirigeant instinctivement vers la salle de bain, son souffle de plus en plus haletant.
Elle n'eut même pas le temps d’atteindre la porte. Le premier homme, incroyablement rapide, la rattrapa sans effort et la souleva du sol avec une facilité terrifiante. Sa main puissante enserra sa nuque, et l’autre se plaqua fermement contre sa bouche, étouffant tout son souffle et réduisant à néant ses chances d’appeler à l’aide. L’emprise était si forte qu’elle sentait sa conscience vaciller, luttant pour rester éveillée.

 

Son esprit s’accrocha désespérément à une seule pensée : son pendentif. Mais l’homme maintenait son bras fermement plaqué contre son dos, rendant tout mouvement impossible. Elle tenta un dernier regard vers le second intrus, mais elle distingua à peine sa silhouette dans la pénombre, hormis qu'il était grand et large d'épaule. Ses traits, en revanche, restaient flous, impossibles à discerner avec cette luminosité inexistante malgré la pollution visuelle des néons publicitaires installés sur les bâtiments de la ville. Tout se déroulait trop vite pour que la jeune femme puisse comprendre ce qui se passait réellement.

Elle sentit sa gorge se contracter sous l'effet de la peur, incapable de respirer correctement. Son corps tremblait tandis qu'un faible gémissement lui échappait, la panique la submergeant.

  • Reste calme, ou je te donne un coup ! ordonna l'intrus qui se faisait passer pour l'employé de l'hôtel. Je vais retirer ma main et tu as intérêt à rester tranquille, sinon ça risque de mal se terminer ! 

  • Hé, lança le second homme. Elle a dit qu’on ne doit pas la blesser, juste la ramener !

  • J’ai bien compris les ordres, mais la belle veut se débattre. Donne-moi les liens ! Il ne faudrait pas qu’elle puisse utiliser ses... capacités pour nous fausser compagnie. Pas cette fois ! 

Qui sont-ils, les ai-je déjà rencontrés ? se demandait Sidonie. Les mots de l'homme ne laissaient aucun doute.

Il lui attacha les mains derrière le dos avant de lui enfiler une cagoule sur la tête. Poussée sur le lit, elle restait plongée dans l'obscurité, entourée par ses ravisseurs dont elle percevait à peine les mouvements autour d’elle. La jeune femme était pétrifiée de terreur à l’idée d’être violée, torturée ou même tuée.

L'un des hommes récupéra une valise dissimulée dans le chariot de ménage et y entassa les maigres effets personnels de la jeune femme. Ils semblaient vouloir effacer toute trace de leur passage en simulant un départ en bonne et due forme de la chambre occupée.

Avec ses autres sens en éveil, elle lutta pour reprendre son souffle. Elle savait que si elle ne parvenait pas à se calmer, la cagoule risquait de l'étouffer et de la faire perdre connaissance.

La peur l’envahissait au point de la paralyser. Elle choisit de garder le silence, espérant ne pas exacerber la colère de ses ravisseurs. Dans cette situation critique, elle devait impérativement retrouver son calme et tenter de comprendre qui avait pu la retrouver et planifier un enlèvement aussi audacieux dans un hôtel si peu respectable.

Pendant qu'un des hommes fouillait la pièce, elle se concentra de toutes ses forces pour essayer de déchiffrer les intentions de ses agresseurs et anticiper la suite des événements.

  • Bon, je crois qu’on a fini, mais on est en retard, ça craint.

  • Franchement, faire le ménage à la va-vite, ce n'est pas mon truc. La prochaine fois, elle n'avait qu'à demander à Mar...

  • Ferme-la ! On se dépêche !

 

Il y eut un court silence, puis l'homme reprit, visiblement tendu.

  • Il ne faudrait pas qu’on ait de la visite imprévue, dit-il en se tournant vers la jeune femme attachée sur le lit. Il ricana, d'un ton moqueur. Viens ma jolie, c'est l'heure du départ.

 

L’individu la souleva fermement, plaçant une main autour d’elle pour la maintenir stable, évitant ainsi toute tentative de fuite. Mais elle n’aurait pas pu s’enfuir, même si elle l’avait voulu. Ses jambes tremblaient si fort qu’elles semblaient sur le point de céder à chaque pas. Chaque mouvement lui demandait un effort colossal.

Il fallait qu’elle reprenne le contrôle. Qui étaient ces hommes ? Des miliciens de l’agence ? Peut-être. Le gouvernement américain ? Probable. D’autres variants comme elle ? Certainement. Si leur objectif avait été de la tuer, ils l’auraient fait depuis longtemps, sans prendre la peine d’emporter ses affaires. Ou bien… ils attendraient un lieu plus discret pour la faire disparaître. Ou pire, pour la torturer ? Les pensées tourbillonnaient dans son esprit, mêlées à une panique sourde. Elle sentait les gouttes de sueur descendre le long de son dos, la peur s’insinuant en elle comme un poison.

Un son familier attira son attention. Un moteur. Ils l’emmenaient dans une camionnette. Allongée sur la banquette à l'arrière, elle perçut le léger mouvement du véhicule tandis qu’il s’ébrouait pour démarrer. L’un des ravisseurs lui jeta une couverture pour la dissimuler, comme s’ils tentaient de la rendre invisible au regard du monde extérieur.

Malgré tout, quelque chose en elle refusa de céder à la terreur. Elle se surprit à retrouver un calme relatif, presque mécanique, en focalisant son esprit sur sa respiration. Chaque inspiration lui semblait une victoire. Une seconde de plus à vivre, à espérer.

Elle sentait pourtant la tension, l’atmosphère chargée d’angoisse. Et, contre toute attente, une impulsion étrange la poussa à rompre ce silence étouffant. Même avec la cagoule couvrant son visage, elle murmura d’une voix incertaine :

  • Où m'emmenez-vous ? marmonna-t-elle, la voix faible.

  • Quoi ? répondit-il, surpris de l'entendre. 

 

Elle rassembla ses forces, sa gorge serrée par la panique à mesure que le temps s'écoulait.

  • P...rquoi ! cria-t-elle presque distinctement, sa voix brisée par l'effort.

  • Tu le sauras bientôt, lança l'un des hommes sans détourner les yeux de la route, avec un petit rictus dans la voix. Même si ça peut te paraitre bizarre, t'es mieux avec nous.

 

Elle gémit, désespérée, alors que des larmes s'échappaient de ses yeux.

  • Et puis sérieusement, t'es vraiment trop mignonne pour qu’on te laisse croupir dans ce taudis, ajouta l'homme avec un ricanement.

 

L'autre homme soupira avec lassitude, comme s'il désapprouvait l'ironie de son complice. Cela suffit à lui faire comprendre qu'elle n’obtiendrait rien de plus de ces hommes. Elle devait réfléchir, analyser. Il était évident que leur mission était de l’enlever. Mais qui avait ordonné cet enlèvement ? Ils avaient mentionné « elle ». Une femme tirait sans doute les ficelles de cette opération. Comment avaient-ils pu savoir qu'elle revenait d’un bond temporel ? Ce n’était pas possible, à moins qu’elle ait été surveillée.

En général, elle ne laissait jamais de trace lorsqu'elle traversait le temps, se montrant extrêmement prudente à chaque saut. Mais maintenant, des doutes s’insinuaient en elle : et si, épuisée, elle avait commis une erreur ? Une négligence, si minime soit-elle, pouvait lui coûter cher. Puis une idée la glaça. Et si Kahlan était derrière tout ça ? L'aurait-il trahie ?

Le véhicule enchaîna plusieurs virages à travers Los Angeles, changeant souvent de direction. Elle perçut les manœuvres précises du conducteur qui indiquaient qu’ils pénétraient dans un parking souterrain. Les bruits sourds des pneus sur le béton, mêlés à l’odeur âcre de l’air pollué, confirmèrent son intuition. Elle n'avait pas besoin de voir pour savoir où ils se trouvaient.

Soudain, l’un des hommes la saisit fermement pour l’aider à descendre du véhicule. Un geste inattendu, qui la déstabilisa. L’homme demanda ensuite au second de lui passer des chaussures pour qu’elle puisse marcher.

Pourquoi cette sollicitude soudaine ? s’interrogea-t-elle, déconcertée. C’était loin de la brutalité habituelle d’un ravisseur. Ils ne semblaient pas pressés, ni particulièrement agressifs à cet instant. Si leur but avait été de la tuer, ils ne perdraient pas de temps avec son confort. Ils auraient déjà agi, sans se soucier des détails.

La démarche était lente et difficile pour elle. Ses jambes tremblaient encore, la fatigue et l’angoisse les rendant presque incapables de la porter. Ils progressaient dans le silence, les pas lourds résonnant dans le parking vide. Le mystère de leurs intentions demeurait entier, et chaque minute qui passait renforçait sa détermination à survivre.

Ils entrèrent dans un bâtiment sombre, probablement un autre immeuble, et la conduisirent dans ce qui ressemblait à une salle isolée, peut-être une cave. Lorsqu'ils atteignirent leur destination, on la fit asseoir brutalement sur une chaise, puis on lui retira la cagoule.

Face à elle se tenait une femme d'une élégance glaciale. Ses cheveux noirs grisonnants étaient impeccablement tirés en un chignon serré, laissant apparaître quelques fils blancs sur les côtés de son visage aussi sévère que charismatique. Elle semblait se situer au milieu de la soixantaine, et malgré l’âge visible sur ses traits, son aura imposait le respect, sinon la crainte. Assise derrière un bureau richement décoré, la femme fumait lentement, la cigarette entre ses doigts effilés. Chaque bouffée semblait mesurée, chaque expiration, une danse de volutes grises.

Son regard était fixé sur la jeune femme, scrutateur, sans une once d'émotion. Le silence pesait lourdement dans la pièce, seulement perturbé par le doux crépitement de la cigarette. Cette inconnue portait une robe à paillettes noires, sophistiquée et sobre à la fois, accompagnée d’un long manteau de même teinte. À ses oreilles, de délicates boucles en diamants scintillaient faiblement dans la lumière tamisée, tandis qu’une fine tiare ornée de pierres blanches reposait sur son front, lui donnant un air presque royal.

La fumée l'enveloppait, rendant difficile de discerner tous les détails de son visage. Elle semblait s’amuser de l’effet qu’elle produisait, ne prononçant pas un mot, seulement présente, imposante. Avec une lenteur calculée, elle tapota sa cigarette, laissant tomber la cendre au sol, sans le moindre souci pour l'élégance de son environnement. Ses longs doigts, fins et délicats, semblaient presque translucides sous cette faible lumière, comme si cette femme appartenait à un autre monde, irréel et distant.

L’atmosphère était étrange, irréelle. La jeune femme sentait le poids des regards dans la pièce, comme si tout ici n’était qu’un théâtre macabre où elle jouait un rôle dont elle ignorait encore l’issue.

  • Merci messieurs, dit la femme d'une voix douce mais autoritaire.

 

Les deux hommes restèrent parfaitement immobiles derrière leur captive, tels des gardes silencieux. La jeune femme, assise sur sa chaise, pouvait sentir leur présence oppressante, et la sueur coulait lentement le long de son dos. La pièce semblait encore plus étouffante, le silence pesant, interrompu uniquement par le bruit léger de la cigarette que la femme au chignon fumait avec élégance. Elle continuait d’observer la jeune femme sans un mot, laissant un suspense inquiétant s'installer.

  • Reprenez vos esprits, ma chère, et accommodez-vous de la lumière. Nous avons une conversation importante à mener.

 

La voix de la femme, bien qu'apaisante, portait une gravité sous-jacente. Son ton, à la fois autoritaire et mystérieux, ne laissait aucun doute sur le pouvoir qu’elle exerçait dans cette pièce. Ses longs doigts tapotaient la cigarette une fois de plus, alors que la fumée s’élevait, se dissipant lentement.

Au son de cette voix profonde, familière et pourtant si distante, la jeune femme réalisa enfin. Derrière les années écoulées, derrière les rides et l’aura glaciale, elle reconnut la commanditaire de son rapt. Un choc la traversa. Cette femme... elle avait changé. Pas seulement vieillie par le temps, mais transformée, endurcie par le poids de sa tâche. Ses traits, bien qu'altérés par les ans, n’étaient plus exactement ceux dont elle gardait le souvenir.

  • Vous ! s'écria la jeune femme, encore sous le choc, ses yeux s'écarquillant d'incrédulité. Elle n'arrivait tout simplement pas à y croire.

  • Ravie de vous revoir, Sidonie Wallorn, répondit Jane, le ton étrangement calme, presque amusé. Je vois que vous avez une excellente mémoire. Cela fait si longtemps... ou pas, de votre point de vue. Je commençais à penser que vos petits voyages temporels avaient fini par altérer votre esprit. Il est vrai que, selon certaines sources, vos talents ont tendance à entraîner des altérations cérébrales... plutôt graves.

 

Sidonie la fusilla du regard.

  • Pourquoi tout ce cirque, Jane ! Pourquoi m’avoir fait enlever par ces deux gorilles quand vous auriez pu tout simplement me contacter et nous retrouver quelque part ?!

 

Jane prit une longue inspiration avant de souffler un mince filet de fumée, ses yeux perçants toujours fixés sur Sidonie.

  • Je suis désolée de la méthode, croyez-moi. Mais je doute que vous auriez accepté une simple invitation. Cela vous aurait paru suspect, même venant de moi, et vous auriez raison de vous méfier, surtout en public. C'était trop risqué, pour vous, comme pour moi. 

  • De quoi parlez-vous à la fin ? s'agaça Sidonie en fronçant les sourcils.

  • Je ne compte pas perdre mon temps en explications, poursuivit Jane. Disons simplement que vous avez de la chance d'être ici, avec nous, plutôt que dans les filets de l’agence.

  • La BMRA* ? hésita Sidonie, le cœur battant la chamade.

  • Elle-même, acquiesça légèrement Jane, un sourire glacial effleurant ses lèvres. J’y travaille d’ailleurs.

  • Sale traîtresse ! cria Sidonie, sa voix vibrante de rage.

 

Un des hommes s’approcha de Sidonie et posa lourdement sa main sur son épaule, la maintenant fermement en place. La pression déclencha une douleur sourde qui irradia dans toute sa poitrine et son bras droit, paralysant ses mouvements.

  • Comme vous êtes..., sourit Jane en écrasant nonchalamment sa cigarette dans un cendrier de verre. Votre rage m'amuse. Mais voyez-vous, elle m’apporte un avantage indéniable. Je suis convaincue que nous pouvons avoir une conversation civilisée, au lieu de laisser l'émotion dicter vos paroles ainsi que vos actes.

 

​Jane sortit une nouvelle cigarette, la tournant doucement entre ses doigts sans l'allumer. Puis elle se tourna légèrement vers l’homme derrière Sidonie :

  • Leon, dit-elle avec une douceur sinistre, détachez notre invitée et remettez-moi son pendentif, sans abîmer la chaîne ni le sablier au centre.

  • Oui, madame, répondit Leon, obéissant immédiatement avec précaution.

  • Pourquoi me voler mon pendentif ?! s'écria-t-elle, la voix chargée d’angoisse, comme si on lui arrachait une partie de son être.

Jane inclina légèrement la tête, un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres. Elle admira l'objet, tandis que son autre main s'amusait à manipuler sa nouvelle cigarette.

  • Je ne vous le vole pas, Sidonie. Permettez-moi simplement de satisfaire ma curiosité. J’ai toujours voulu admirer ce magnifique objet qui a une telle importance pour vous, me tromperai-je ? répondit Jane avec énigme, un reproche perceptible dans le fond de sa voix. Et puis... ce pendentif représente une assurance. Une garantie que vous ne tenterez pas de nous fausser compagnie à nouveau. Vous devez d’abord entendre ce que j'ai à vous dire, n'est-ce pas ?

 

Sidonie ne quitta pas Jane des yeux, tentant de lire ses expressions ainsi que ses gestes. Chaque fibre de son être la poussait à se méfier, même si elle cherchait un brin de vérité dans tout cela.

  • Soyez honnête, Jane, dit Sidonie d'une voix plus calme, mais vibrante de tension. Suis-je votre prisonnière, ou allez-vous me relâcher ?

  • Tout dépend de ce que vous entendez par 'relâcher' et 'prisonnière', Sidonie, répondit Jane en se levant lentement, ses mots pesants de sous-entendus. Chaque choix a des conséquences, et vous devrez bientôt faire le vôtre. 

 

Elle marcha jusqu’à la fenêtre, tirant à peine le rideau pour scruter l'horizon d'un regard lointain.

  • Smell, allez surveiller l’entrée. Restez vigilant et avertissez-moi au moindre signe. Nous ne sommes pas en sécurité ici, et si quelque chose tourne mal, nous partons immédiatement. Discret, comme toujours.

  • Bien, madame, répondit Smell avant de sortir d’un pas silencieux.


Jane resta figée un moment, bras croisés, observant l'extérieur comme si elle récitait mentalement un discours qu’elle avait répété mille fois.

  • Je travaille pour la BMRA depuis longtemps, commença-t-elle enfin, sa voix à la fois douce et glaçante. Et vous le savez, cette agence est le purgatoire des variants. Pendant des années, nous avons été trompés, endormis avec des illusions sur l’avenir des nôtres. Nos dons les effraient, nos capacités les dépassent, et la destruction des refuges NickroN à New York n’a pas suffi à apaiser leur peur. Quand je vous aurai tout expliqué, vous verrez peut-être les choses sous un autre angle.

 

Elle marqua une pause, avant d'ajouter :

  • Il y a trois ans, la BMRA, le gouvernement fédéral, ainsi que la presse, ont fait croire à la presse que la destruction de NickroN Renaissance était le résultat de jeunes variants qui auraient mal tourné. C’est faux, Sidonie, et vous le savez. Vous étiez là, et vous avez fui avec Kahlan juste avant la catastrophe. Je ne vous blâme pas. Si vous n’étiez pas partie, vous seriez morte comme les autres. Je parie même que vous saviez ce qui allait arriver, n’est-ce pas ?

  • Comment pouvez-vous savoir ça ?! hurla Sidonie, la colère et l'incompréhension se mêlant dans sa voix.

  • J’ai mes sources, répondit Jane, imperturbable. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour protéger les variants dans ce refuge. Des innocents sont morts, et pas seulement des variants puissants. Nous avions pris toutes les précautions possibles, mais certains renégats, travaillant pour l’agence, avaient infiltré l'institut pour variants.

  • Et c’est tout ? Vous pensez que ça excuse votre incompétence ? Vous avez laissé la plus grande organisation terroriste du monde détruire le refuge sous vos yeux ! Et maintenant, vous voulez quoi, une médaille ? Vous êtes pire qu’eux, Jane, parce que vous restez là, impassible, toujours aussi sûre de vous !

 

Jane resta impassible devant l’explosion de colère de Sidonie, les bras toujours croisés et le regard fixé vers l’horizon. Son silence semblait calculé, comme si elle s'attendait à cette réaction. Lorsqu'elle parla enfin, sa voix était étonnamment calme, presque maternelle.

 

  • Sidonie, je comprends votre colère. Mais ne confondez pas ma position avec de la complaisance ou de l'indifférence. Ce que vous appelez 'incompétence' était en réalité une bataille perdue d'avance. La BMRA n'est pas simplement une organisation ; c’est une machine monstrueuse et implacable. J'y suis entrée pour percer leurs failles, découvrir leurs véritables intentions. J’ai été témoin de choses que vous ne pouvez même pas imaginer, de décisions prises bien au-dessus de nous, par des forces qui manipulent même ceux que vous appelez 'terroristes'. Vous pensez vraiment que j’ai laissé faire par négligence ? Non, Sidonie. J’ai dû comprendre d’où venait la menace, qui tirait les ficelles. J'ai sauvé ceux que je pouvais, mais le mal était déjà enraciné bien plus profondément que vous ne le pensez.

  • C'était un véritable massacre, Jane ! interrompit Sidonie, la voix tremblante. Vous auriez pu agir, vous auriez dû ! s'écria Sidonie, la voix tremblante de rage.

Jane soupira, ses yeux se fermant un instant comme pour ravaler une émotion cachée. Elle les rouvrit afin de fixer de nouveau Sidonie.

  • Oui, c'était un massacre, je ne le nie pas. Mais vous ne comprenez pas. J'ai agi, à ma manière. Vous avez survécu, Kahlan aussi. Quelques autres également. Destin ou coïncidence, peu importe, je sais seulement que vous avez un rôle à jouer dans ce qui va suivre.

 

Sidonie était furieuse, mais une part d'elle commençait à douter. Jane n'était peut-être pas la responsable directe de la destruction de NickroN Renaissance. Le rôle qu'elle jouait semblait bien plus complexe que Sidonie ne voulait l’admettre.

  • Vous ne réussirez pas à me convaincre, murmura Sidonie, essayant de maintenir sa rage. Vous êtes l'une d'eux désormais, peu importe ce que vous direz, vous restez une traitresse à mes yeux.

  • Si vous croyez vraiment cela, alors vous êtes plus aveugle que je ne le pensais, lança Jane avec une pointe de dédain perceptible dans la voix. Puis elle reprit après une petite pause, de manière plus douce. Je ne suis pas votre ennemie, Sidonie. Je me suis toujours demandé si vos dons temporels ne pourraient pas modifier ces tragiques évènements à notre avantage.

  • Je ne peux pas le faire, répondit la jeune femme en serrant les poings. Vous devriez le savoir. Modifier des événements dans le passé créerait des paradoxes, des changements irréversibles. Je ne connais personne d’assez puissant pour risquer ça.

  • En effet, vous avez raison, concéda Jane, ceux qui le pouvaient ont disparu. Mais l'agence vous connaît désormais. Pas à cause de moi, si vous voulez tout savoir. Ils vous traquent parce que, malgré vos précautions, vos voyages dans le temps ont laissé des traces. Les répercussions de vos actions, même minimes, ont eu des effets sur leur radar. Je dois avouer que vos talents sont impressionnants.

  • J’ai fait ce que je pensais être la meilleure chose, murmura-t-elle en baissant les yeux, la culpabilité pesant sur elle.

  • Je ne suis pas là pour juger vos intentions, Sidonie. Si je vous ai fait venir ici aujourd’hui, c’est parce que vous m’avez prévenue, il y a quatre jours, en me laissant une lettre manuscrite. Une lettre que j'ai détruite à votre demande. Vous m’aviez dit que, le moment venu, vous comprendriez le stratagème.

  • C'est impossible, hésita Sidonie en fronçant les sourcils. Je ne revenais pas d’un bond temporel avant de me retrouver à cet hôtel. Je n’ai aucun souvenir d’avoir laissé cette lettre.

  • Et pourtant, vous l'avez fait, rétorqua Jane avec calme.

  • Si c’est bien moi qui vous ai donné cette lettre, cela signifie que j’ai dû faire un saut dans le futur, puis revenir ici pour vous avertir... pour me retrouver dans cette situation, dit-elle en secouant la tête pour rassembler les pièces du puzzle. Je ne comprends toujours pas pourquoi.

Jane esquissa un sourire énigmatique, comme si elle cachait la vérité derrière ses yeux bleu gris.

  • Vous comprendrez bientôt. Vous êtes au cœur d’un enchaînement d'événements bien plus grands que vous ne le réalisez, et cette boucle que vous avez créée en est la preuve. Vous m'avez avertie, Sidonie, parce que vous saviez que c'était la seule façon d’arriver ici, ensemble. Il vous faut nous suivre à présent.

  • Je n'ai en aucun cas donné mon accord pour vous suivre, répliqua Sidonie, d’un ton déterminé. Mais vous ne m'avez toujours pas donné les vraies raisons de toute cette histoire, Jane.

 

La femme marqua une pause, laissant le silence s’installer, puis ferma le rideau avant de s'approcher lentement de Sidonie. Son regard était plus intense, et sa voix se fit plus mesurée, presque conspiratrice.

  • J'aimerais vous présenter Hiro. Nous devons éviter d'utiliser nos véritables prénoms en dehors de notre refuge pour des raisons de sécurité, il est important que vous sachiez à qui vous avez affaire. Hiro est efficace, professionnel, et vous verrez qu'il est digne de confiance. Il est l'un de mes gardes du corps, mais plus encore, c'est un variant spécialisé dans l’usurpation d’identité. Une capacité inestimable pour nos opérations.

  • Merci, madame, dit-il en inclinant légèrement la tête en signe de respect. 

 

Sidonie tourna la tête vers Hiro et remarqua qu'il portait maintenant la même combinaison que Smell, son visage légèrement modifié. Bien que de stature fine, Hiro était visiblement musclé et en pleine forme physique. Un impressionnant tatouage encerclait son cou, tandis qu'un piercing noir perçait son oreille droite. Ses cheveux noirs étaient coiffés en bataille, rasés sur les côtés, lui donnant un style à la fois moderne et décontracté. Une fine cicatrice, vestige d’une blessure reçue en mission, traversait son sourcil droit, ajoutant à son allure rebelle. Ses alliés lui donnaient une vingtaine d'années, mais Hiro Hawk avait en réalité trente-deux ans. Seule Jane connaissait les véritables traits de cet homme, qui possédait le don rare de changer d’apparence corporelle à volonté.


Sidonie et Hiro se fixèrent quelques instants, un mélange de méfiance et d’interrogation dans leurs regards. Au départ, Sidonie n’éprouvait que du dégoût pour ses ravisseurs, mais quelque chose dans l’attitude d’Hiro attira son attention. Contre toute attente, elle découvrait en lui un certain charme. En d’autres circonstances, elle aurait pu le trouver séduisant, voire intrigant, avec son air fougueux. De son côté, Hiro esquissa un léger sourire, presque imperceptible, comme s’il s’excusait silencieusement de la situation.

Malgré tout, Sidonie se rappela rapidement qu’elle ne pouvait se permettre de faire confiance à qui que ce soit, pas même à cet homme qui semblait plus humain que ses complices. L’attirance fugace qu’elle avait ressentie n’était qu’une illusion, un piège potentiel dans ce jeu dangereux où chacun cachait ses véritables intentions. Quant à Jane, sa posture restait toujours aussi énigmatique, teintée de mystère et de manipulation.

  • Smell, revenez vers nous, s'il vous plaît, ordonna Jane d'une voix calme tout en utilisant sa montre pour transmettre l’ordre à distance.

 

Quelques instants plus tard, l'homme en question entra silencieusement dans la pièce.

  • Et voici Walter, un brave garçon, dit Jane en désignant l'individu. C’est grâce à lui que nous avons pu vous localiser, Sidonie. Il veille sur ma sécurité avec Hiro et s'occupe de certaines missions... spécifiques.

Walter, de son côté, semblait tendu, sur le qui-vive. Son visage, habituellement impassible, trahissait une certaine nervosité.

  • Il ne faut plus tarder, madame, dit-il d'une voix basse mais pressante. Ce n’est pas prudent. Je les sens se rapprocher dans la rue déserte. Nous n’avons pas beaucoup de temps.

 

Walter Penfrom, un jeune homme dans la trentaine, d'origine écossaise, possédait une stature imposante. Grand, la peau légèrement mate, ses cheveux foncés étaient soigneusement coiffés en arrière. Ce qui le distinguait le plus, c’était ses yeux fermés ou dissimulés derrière des lunettes sombres, car Walter était aveugle depuis sa naissance. Pourtant, son handicap n'était pas un obstacle pour lui. Doté d'un don rare, un sens olfactif extraordinairement développé, il pouvait percevoir des odeurs à travers le temps et l'espace, déjouant toutes les contraintes physiques.

Grâce à une lettre laissée par l'autre version de Sidonie, Walter avait réussi à la retrouver, même à travers l’épaisse odeur nauséabonde qui régnait dans le Cecil Hotel. Son don lui permettait de reconstituer mentalement une vue d'ensemble incroyablement fidèle de l'environnement, fonctionnant comme une forme sophistiquée de géolocalisation animale. À chaque effluve capté, un monde s’ouvrait à lui, une carte invisible que ses sens seuls pouvaient tracer.

Sidonie observait l'homme avec fascination, impressionnée malgré elle par les capacités de cet étrange garde du corps.

  • Ils seront là dans peu de temps, insista Walter, l'anxiété perçant davantage dans sa voix.

  • Nous partons, répondit Jane calmement pour apaiser son subordonné.

  • Et si je refuse de vous suivre, osa-t-elle, son ton plein de défi en croisant les bras.

 

Jane s'était rapprochée, et désormais les deux femmes se faisaient face, comme des prédateurs prêts à bondir l’une sur l’autre au moindre signe de faiblesse. Il y avait une peur partagée dans leurs regards, bien que chacune tentait de la masquer sous une apparence de calme et de maîtrise. Jane, d’une main dissimulée dans sa poche, serrait un objet, prête à l’utiliser si la situation devenait incontrôlable.

  • La BMRA est à vos trousses, Sidonie. Vous pensez vraiment pouvoir retourner dans votre petite chambre miteuse, et attendre quoi exactement ? Que le temps passe ? Vous fuirez encore, mais ça ne vous mènera nulle part. C’est maintenant qu’il faut agir contre l'agence. Vous devriez plutôt nous remercier de vous avoir retrouvée avant eux, lança Jane, sa voix douce mais chargée de menace.

 

Sidonie serra les dents, une rage sourde bouillonnant en elle. La jeune femme jeta un regard vers Hiro et Walter, qui semblaient de plus en plus impatients.

  • Allez vous faire foutre, Jane ! Vous croyez vraiment que je vous dois quoi que ce soit ? Vous me retrouvez avant eux et vous pensez pouvoir m'utiliser comme bon vous semble ? Je ne suis pas votre marionnette, répliqua Sidonie avec fureur, son regard brûlant de défi.

 

Le silence lourd qui suivit ne fit qu’accentuer l’imminence de l’affrontement. Jane, toujours impassible, esquissa un sourire presque imperceptible, tandis que Walter et Hiro se préparaient à l’action, leurs mouvements trahissant leur nervosité face à l'urgence de la situation.

  • Vous pouvez m’en vouloir pour ce que j’ai fait, poursuivit Jane d’une voix plus basse mais ferme, mais si vous aviez été à ma place, vous auriez agi de la même manière. D’ailleurs, en quoi êtes-vous meilleure que moi ? Si seulement vous aviez informé les responsables de NickroN de l'attaque imminente, vous auriez pu sauver plusieurs vies !

  • Je…, balbutia la jeune femme, la gorge serrée. Je n’ai pas pu…

  • En effet, si vous aviez tenté cette éventualité, cela n'aurait fait que retarder l'inévitable. Vous seriez morte avec eux, répliqua Jane sans détour. Karl Shneider et l'ancien ministre des Affaires Mutantes, Yojé Ahinilla, ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour protéger NickroN. Mais la puissance de nos ennemis, aidés secrètement par la BMRA, était bien trop colossale. Je l'admets, je n'étais pas présente lors de cet affrontement.

  • Non, vous n'y étiez pas, concéda Sidonie, les yeux toujours embués de larmes. Peut-être que cela aurait changé les choses... On vous croyait morte depuis des années !

  • Désolée de vous décevoir, mais j'étais bien vivante, répondit Jane d’un ton plus mesuré. Je construisais ce projet dans l'ombre, utilisant ma fortune et mes contacts. Ma présence ce jour-là n'aurait rien changé. La destruction de NickroN était inévitable. Mais passons. Comme vous le constatez, je ne suis pas votre ennemie. Je ne vous demande pas de me faire confiance, pas tout de suite. Mais sachez que vous serez plus en sécurité avec moi qu’à errer seule. Vos bonds temporels pourraient vous tuer, ou pire, déclencher un cataclysme que ni vous ni moi ne pourrons arrêter. Vous avez besoin de moi autant que j’ai besoin de vous.

  • Je n’ai pas besoin de vous, murmura Sidonie avec une rage contenue.

  • Ça viendra, et plus vite que vous ne le pensez, rétorqua Jane avec une froideur calculée, ignorant l’émotion de Sidonie. À présent, vous allez venir avec nous.

  • Je préfère m'en aller de mon côté, riposta la jeune femme, refusant de céder à la pression.

  • Impossible. Le danger se rapproche. Nous devons retrouver mon descendant, dit-elle, laissant ses mots flotter dans l'air avec une gravité que Sidonie ne pouvait plus ignorer.

Son esprit tourbillonnait de questions tandis qu'elle essuyait les dernières traces de ses larmes.

  • De qui parlez-vous ? demanda-t-elle d'une voix incertaine.

  • Lucas Roselys. Un jeune homme blond, équipé d'un catalyseur métallique lui permettant de matérialiser de l'énergie, répondit Jane calmement. J'ai entendu dire que vous vous étiez liés d'amitié, et c'est pourquoi votre présence est essentielle pour le retrouver.

 

Sidonie resta figée un instant. Lucas ? pensa-t-elle. Il ne lui avait jamais mentionné Jane, encore moins cette étrange connexion familiale.

  • Il ne m'a jamais parlé de vous, dit-elle en plissant les yeux, troublée.

  • Nous avons toujours eu des rapports compliqués, admit Jane, l'ombre d'une amertume perçant dans sa voix. Mais qu'importe nos différends, il est impératif de retrouver sa trace.

  • Vous n'avez pas les moyens de le chercher toute seule avec vos subordonnés ? Vous, Jane, si pleine de ressources ? se moqua Sidonie avec une pointe de sarcasme.

  • Illyria, sa mère, n'a plus aucune nouvelle de lui depuis un moment. Nous avons exploré de nombreuses pistes, piraté les systèmes de la BMRA, mais tout nous échappe. Je soupçonne qu'il se cache intentionnellement, tout comme vous, dit Jane avec un sourire ironique. À vrai dire, j'aurais cru que vous aviez fui ensemble.

  • Madame, coupa Walter, il faut vraiment partir maintenant. Ils seront ici d'un moment à l'autre, et nous n'aurons plus le temps de nous échapper.

Jane posa fermement ses mains sur les épaules de Sidonie, l’observant avec une intensité qui laissait peu de place à l'interprétation. Ses intentions étaient claires : elle n’attendait qu’une seule chose de la jeune femme, qu’elle accepte de l’aider. Jane hésitait à donner l’ordre de la neutraliser si Sidonie refusait obstinément de les suivre. Après tout, la BMRA se rapprochait dangereusement, et laisser Sidonie derrière n’était pas une option.

  • Sidonie, insista Jane, la voix plus dure. Vous ne pouvez pas fuir éternellement. Il est temps d’accepter votre destinée.

 

Mais quelque chose se brisa dans l’assurance de Jane. Les mots restèrent en suspens, comme si elle-même ne croyait plus totalement à ce qu’elle disait. Face à cette femme qu'elle avait traquée si longtemps, Jane semblait vaciller. Sidonie, elle, était encore sous le choc, partagée entre fuir sans savoir où aller ou accepter de plonger dans cet univers incertain. Elle savait qu'elle ne pourrait pas échapper à la BMRA indéfiniment. Si Hiro et Walter avaient réussi à la retrouver, les agents d'intervention de l’agence, avec leurs ressources infinies, n’en seraient que plus rapides.

Un silence pesant s'installa, que Sidonie finit par briser d'une voix tremblante mais résolue.

  • J’accepte de vous suivre, déclara-t-elle enfin, tandis que son regard s'embrasa aussitôt de défi. À deux conditions.

 

Jane relâcha légèrement sa prise sur les épaules de Sidonie, son regard s'assombrissant.

  • Je vous écoute, répondit-elle, d’une voix aussi tendue qu'un fil prêt à rompre.

  • D’abord, rendez-moi mon pendentif. Sidonie tendit la main avec impatience. Je vous promets que je n’essaierai pas de fuir.

 

Jane hésita une seconde, puis tendit lentement l'objet vers la jeune femme. Sidonie l'attrapa rapidement, comme une personne affamée retrouvant sa ration. La tension dans l’air s'était accrue, mais Jane semblait céder sur ce premier point.

  • Et quelle est votre seconde condition ? demanda Jane, ses sourcils froncés par l'impatience.

 

Sidonie la fixa longuement, ses yeux brillants d'une colère contenue.

  • Ne me traitez plus jamais comme une de vos marionnettes ou une boniche à vos ordres, cracha-t-elle avec amertume. Je ne suis pas votre soldat, votre cheffe de guerre, et certainement pas votre amie. Je n’ai rien à prouver à vous ou à quiconque. Vous et moi partageons un ennemi commun, c’est tout. Et je ne suis là que parce que cela sert nos objectifs mutuels, pas pour résoudre vos drames personnels. Une fois notre mission accomplie, nous nous séparerons. Est-ce clair ?

 

Jane, un instant prise de court, se redressa et croisa les bras, son visage figé dans une expression que Sidonie ne put déchiffrer.

  • On ne peut plus clair, répondit-elle d’une voix froide, mais son regard trahissait une pointe de respect inattendue. Nous ferons comme ça. Mais pour l’instant, nous devons partir.

 

Le groupe quitta rapidement la pièce, longeant un couloir étroit et faiblement éclairé avant de gagner une porte de sortie menant à une ruelle sombre. Une voiture noire aux vitres teintées les attendait déjà, à l'arrêt. Le véhicule, d’apparence haut de gamme, dégageait une aura de modernité et d’efficacité. Les technologies de pointe qu’il dissimulait sous son capot étaient bien au-delà des modèles standards. En 2116, la plupart des voitures étaient équipées de pneus fabriqués dans un alliage non polluant, de forme circulaire et quasiment indestructibles. Elles fonctionnaient exclusivement à l’électricité ou à l’énergie solaire pour les plus récents modèles. Mais cette avancée écologique n’était encore accessible qu’aux plus riches, laissant les populations défavorisées utiliser des véhicules à énergie fossile, polluants et obsolète.

Hiro et Walter s’installèrent rapidement à l’avant. Jane, silencieuse, ouvrit la portière arrière, se tournant vers Sidonie avec une certaine impatience. Sidonie marqua un temps d’arrêt, perdue dans un océan de pensées contradictoires. Ses yeux fixaient la voiture, et dans son esprit, deux options s’entrechoquaient : entrer dans ce véhicule et suivre Jane dans cette mission dont elle ignorait encore les véritables enjeux, ou prendre la fuite, s’échapper dans l’ombre de la ruelle et disparaître dans l’obscurité.

Le plan semblait presque réalisable. Si elle s’enfuyait maintenant, les deux hommes à l’avant perdraient un temps précieux à sortir du véhicule pour la poursuivre, et Jane, vêtue de sa tenue peu pratique, serait ralentie. Elle n’aurait qu’à actionner son pendentif et bondir à travers le temps pour disparaître loin de cette folie. Pourtant, son pouce continuait de jouer nerveusement avec le bijou, hésitant. Partir... Les abandonner... Elle n’avait besoin que de quelques secondes. Mais quelque chose l’empêchait d’agir.

Sidonie réfléchit à cette autre version d’elle-même qui, dans un avenir proche ou lointain, avait choisi de prévenir Jane. Pourquoi avait-elle pris cette décision ? La clé devait se trouver dans cette énigme temporelle. Et puis, il y avait Lucas, son ami disparu depuis des années. 

Jane, sentant l’hésitation de Sidonie, observa la jeune femme en silence, ses yeux perçants captant le moindre signe de faiblesse. Le moteur de la voiture se mit à ronronner, brisant le silence pesant de la ruelle déserte et crasseuse.

 

  • ​Sidonie, dit Jane calmement, sans même élever la voix, il est temps !

 

La jeune femme reprit ses esprits. Elle glissa son pendentif dans la poche de son pantalon, signe qu’elle avait choisi de suivre Jane pour l’instant. Sans un mot de plus, elle rejoignit le véhicule.

La voiture démarra en trombe, filant à travers les ruelles sombres de la ville sans un seul feu allumé. Hiro, au volant, manœuvrait avec une précision froide, accélérant dans les rues étroites. Après quelques virages serrés, il ralentit pour adopter une allure plus discrète, évitant ainsi de se faire repérer par les drones de surveillance ou les patrouilles de robots policiers. Bien que Los Angeles n’imposât pas de couvre-feu, les contrôles nocturnes étaient beaucoup plus fréquents, surtout pour ceux qui, comme eux, préféraient l’ombre à la lumière du jour.

À l'arrière, Jane et Sidonie restaient silencieuses. L'air était chargé de non-dits, chaque respiration mesurée, chaque regard évité. Aucun mot n’était échangé, comme si parler à cet instant risquait de briser un fragile équilibre. Les deux femmes étaient trop plongées dans leurs pensées respectives, chacune pesant les conséquences de la route qu’elles venaient d’emprunter.

  • Madame, demanda Hiro, sa voix légèrement teintée d'hésitation, devons-nous aller extraire le second variant maintenant ?

  • Pas aujourd'hui, répondit Jane, visiblement tendue. Il est encore trop tôt pour se risquer à récupérer ce jeune homme.

 

Sidonie, qui s’agitait à l’arrière du véhicule, enfila une veste prise dans son sac. Ses gestes trahissaient une impatience palpable.

  • Qui ça ? lança-t-elle d’un ton brusque, cherchant à combler le silence étouffant qui pesait sur l’habitacle.

 

Jane lui adressa un sourire énigmatique, tentant d’alléger l’atmosphère tendue.

  • Chaque chose en son temps, ma chère, répondit-elle d'une voix douce, presque maternelle. Quand nous arriverons, on vous montrera votre chambre. Vous pourrez vous changer, prendre une douche et vous détendre. D’ailleurs, je manque à tous mes devoirs d’hôtesse. Désirez-vous boire quelque chose ? ajouta-t-elle, feignant la courtoisie tout en ouvrant le minibar d’un geste délicat.

 

Sidonie la dévisagea, sceptique, tandis que Jane sortait une bouteille avec un geste précis, presque cérémonieux.

  • Du champagne ? À cette heure-ci ? Vous êtes sérieuse ? ironisa la jeune femme, le sourcil relevé.

 

Jane ne se laissa pas déstabiliser. Elle répondit d'une voix posée, teintée d'une légère provocation.

  • Le champagne est une boisson connue pour ses bienfaits sur la santé, bien sûr, à consommer avec modération. Mais si cela ne vous convient pas, prenez donc de l'eau, ça vous désaltérera tout aussi bien, rétorqua-t-elle avec une fausse légèreté, mais une détermination indéniable.

 

Sidonie croisa les bras, fixant Jane avec une intensité froide. Cette femme jouait un jeu dangereux, et elle le savait.​

Après s'être servi une coupe de champagne, Jane porta le verre à ses lèvres, savourant une gorgée avec une élégance presque aristocratique.

  • Je suppose, poursuivit-elle en appréciant le nectar, que mes origines françaises n'y sont pas étrangères. Mais cela dit, on n'a pas besoin d'être Français pour savourer ce genre de breuvage.

Sidonie sembla troublée, un léger malaise s'installant en elle comme si une pièce du puzzle lui échappait.

  • Je ne me souvenais pas que vous et Lucas veniez de l'Empire Europa, dit-elle, légèrement confuse.

 

Jane esquissa un sourire en coin.

  • Nous sommes bien Français, ou plutôt "Europistes" comme on dit maintenant, mais cela importe peu pour ce qui nous concerne. Il me semblait que vous ne vouliez pas que nous devenions, je cite, des « putains de copines », lança Jane avec une pointe d’ironie. Quoi qu'il en soit, mon véritable nom est Jeanne de Roselys. Mais vous pouvez m’appeler "Madame" ou simplement "Jane", comme vous préférez.

Elle termina son verre et le déposa délicatement dans le mini-bar avant de le refermer avec précision.

  • Laissez-moi vous exposer rapidement les choses, enchaîna-t-elle en allumant l'écran intégré au fauteuil passager devant elle. J’ai fait l'acquisition d'une grande demeure ultra-sécurisée, équipée d'une intelligence artificielle bien plus puissante que ce que vous avez connu à NickroN.

La maison apparut sur l'écran, un véritable bijou d'architecture contemporaine. Ses lignes épurées, ses baies vitrées immenses, et son aspect lumineux donnaient une impression d'ouverture et de luxe. Une impression qui contrastait étrangement avec la situation tendue dans laquelle Sidonie se trouvait. Le film promotionnel s’interrompit et Jane reprit la parole d’une voix calme mais autoritaire.

  • Vous vivrez ici. Vous pourrez vous déplacer librement dans l'enceinte du complexe, mais sachez que HOPE, notre intelligence artificielle, et Sarah, notre experte en informatique, veilleront à ce que tout se déroule sans problème. Sarah vous expliquera en détail comment fonctionne la sécurité. Nous vivons le plus possible en autarcie, loin des regards extérieurs. Pour toute sortie, un protocole strict devra être suivi, surtout pour protéger votre identité. serez constamment accompagnée à l'extérieur, car il est primordial que vous évitiez d'être repérée par la BMRA ou ses alliés. À ce jour, nous sommes huit au total dans cette enclave, et notre priorité immédiate est de retrouver Lucas. Je vous épargne la question : avez-vous la moindre idée de l'endroit où il pourrait se cacher ?

 

Sidonie haussa les épaules, réfléchissant un instant.

  • Je ne sais pas. À sa place, je m'éloignerais le plus possible de New York. La BMRA le cherche aussi, n'est-ce pas ?

  • Évidemment, répondit Jane avec un soupir. Lucas est une cible importante pour eux, comme tous les variants que j’ai réussi à mettre à l’abri. Les personnes qui sont passées par NickroN Renaissance sont des cibles prioritaires maintenant que la BMRA a brisé les dernières sécurités de nos bases de données. Autre chose ? ajouta-t-elle, le regard perçant.

 

Sidonie hésita un instant avant de poser une question qui la hantait depuis son arrivée.

  • Suis-je prisonnière ?

  • Avez-vous oublié que la liberté n'est qu'une illusion ? répondit-elle, une pointe de gravité dans la voix. Il y a peu, nous avons perdu Drew. Un jeune homme brillant, épris de liberté et d’autonomie. Il croyait qu’il pouvait tout affronter, qu’il était invincible, qu’il n’avait pas besoin de suivre nos conseils. Il n'a pas pris les précautions nécessaires et ils l'ont exécuté. Alors cette "prison", comme vous l’appelez, pourrait bien être votre meilleure protection pour l’instant. Les gens qui s'y trouvent pourront vous aider, même si vous ne me faites pas confiance. Avec le temps, peut-être apprendrez-vous à leur faire confiance.

Sidonie regardait toujours à travers la fenêtre, son esprit vagabondant parmi les scènes de vie ordinaires qui défilaient sous ses yeux. La rue était remplie de personnes menant des vies simples, sans la menace constante de la BMRA ou le fardeau d'être une variante. Une mélancolie profonde l'envahit. En cet instant, elle aurait tout donné pour être quelqu'un d'ordinaire, échapper à cette existence tourmentée et se fondre dans une vie banale, sans responsabilités ni dangers.

Elle fut arrachée à ses pensées par la voix de Jane et se tourna brusquement vers elle.

  • Quoi ? demanda Sidonie, revenant à la réalité.

  • Je disais que nous sommes trop peu nombreux pour agir frontalement, répondit-elle calmement. Nous ne devons pas nous laisser berner par la propagande des partis politiques et des médias, tous contrôlés par la BMRA. Si nous voulons survivre et un jour peut-être inverser le cours des choses, nous devons être subtils, invisibles. C’est une chance pour nous deux. Ensemble, nous pourrions faire une réelle différence, et offrir un avenir meilleur à ceux qui, comme nous, n’ont jamais eu l’opportunité de vivre une vie normale.

 

Sidonie fixa Jane, son regard perdu dans l’idée d’un avenir où elle pourrait échapper à la BMRA, mais elle ne répondit pas immédiatement. L'idée de s'allier avec Jane, malgré leurs différends, pesait lourd dans son esprit. Mais à quoi bon fuir encore et encore ?

  • Je vois, murmura Sidonie, son regard se perdant à nouveau dans ses pensées. Vous parlez de pacification, mais comment comptez-vous atteindre cela sans attirer l’attention ? Si la BMRA a des espions partout, ils pourraient déjà surveiller vos moindres faits et gestes.

  • Excellente question, répondit Jane avec un sourire énigmatique. Vous savez, j’ai vécu assez longtemps pour comprendre certaines choses sur la nature humaine. Mais il faut savoir que la BMRA, dans sa paranoïa, utilise aussi des variants renégats qui ont renié leur propre espèce. Ils croient fermement que nous devons être éradiqués, ou pire, contrôlés. La première phase du plan de l'agence a déjà commencé il y a plusieurs décennies : ils manipulent les masses en faisant passer les variants pour une menace. En réalité, leurs véritables intentions restent floues, mais j’imagine que cela tourne autour d’un contrôle total des deux espèces. Malgré tout, je reste convaincue que la pacification entre les humains et les variants est possible, même si cela prendra du temps.

 

Avant que Sidonie ne puisse répondre, Walter interrompit la conversation en leur indiquant qu'ils étaient arrivés à destination.

  • Madame, nous sommes arrivés, indiqua Walter.

*Biological Mutation Research Agency ou l'Agence de Recherche des Mutations Biologiques.

*Le FedCoin est devenu la monnaie officielle de la Fédération Unie depuis l’abandon du dollar US en 2062, peu après le déclenchement de la IIIe Guerre mondiale et l'effondrement économique. Les espèces physiques sont rares depuis l’avènement de la cryptomonnaie voulue par la stricte régulation financière de la Banque Centrale de la Fédération Unie pour un meilleur suivi des transactions.

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