


Christian

Jane
Chapitre 18 : « Confrontations »
Année 2117 | 3 août, 21 h 00 – Siège de la BMRA - Atlanta - Géorgie
L’angoisse se lisait sur les visages des survivants qui observaient cette femme implorant que Christian lui laisse la vie sauve. Malgré la menace très sérieuse du monstre à la tête de l’agence, Jane n’apparaissait toujours pas. Son ancien ami et compagnon, avec lequel elle avait partagé le début de sa vie au XIVème siècle, n’avait pas toujours été ainsi. Ils avaient connu l’insouciance de la jeunesse au sein de la campagne parisienne bien avant l’arrivée des tragédies, des succès ainsi que des échecs dans leurs souhaits de construire un monde à leur image. Malgré leurs nobles intentions, Jane s’était rendu compte que Christian nourrissait un désir de vengeance depuis que le destin les avait frappés en fauchant tous leurs proches. Elle savait que la seule décision à prendre contre la tyrannie était de devenir forte à son tour et d’affronter un monde gouverné par le pouvoir, la richesse et la tromperie. Cependant, cette histoire longue de plusieurs siècles devait prendre fin, d’une façon ou d’une autre.
Le visage de Christian se crispa davantage aux supplications de sa victime. Ses yeux fixaient la femme comme un bourreau devant un accusé condamné à mort. La patience n’avait jamais été son fort, Jane excellait dans cette qualité jusqu’à exacerber son égo démesuré. Au contraire, il avait tant désiré la retrouver pour éteindre ce doute qui envahissait constamment son esprit, telle une maladie incurable. La tranquillité et la quiétude ne faisaient plus parties de l’équation, et le directeur de l’agence sombra une nouvelle fois dans une colère froide l’espace d’un instant. Sa rivale la plus coriace n’obéissait pas à ses injonctions, laissant croire aux autres otages que la folie de leur hôte allait tous les consumer.
Christian usa finalement de la télékinésie pour maintenir le cou de sa victime et l’étouffer progressivement plutôt que de la tuer rapidement. Les mains de la malheureuse tentaient de dégager cette emprise invisible jusqu’à ce que l’air vienne à manquer dans ses poumons, les yeux exorbités et la bouche grande ouverte. Christian maintenait son emprise, impassible aux supplications des autres survivants. Elle allait mourir, son visage virait au bleu.
Puis, elle apparut soudainement de nulle part au fond de la salle. Savait-elle ce qui allait se passer ? Certainement, car Christian était aussi dangereux qu’imprévisible, et Jane était loin d’être naïve. Cette apparition soudaine le surprit. Et il se retrouva incapable de faire le moindre mouvement comme subjugué par sa présence.
Jane Roselys semblait différente de la femme d’âge mûr, tyrannique et hautaine qui dirigeait secrètement HOPE. Elle semblait avoir perdu une trentaine d’années, ses rides ayant laissé place à un visage jeune, mais tout aussi sévère. La jeune femme arborait de longs cheveux de jais coiffés avec raffinement, ainsi qu’une longue mèche dévalant le haut de son dos dénudé pour l’occasion. Jane portait une magnifique robe pourpre de soirée ainsi qu’un somptueux pendentif en diamant ornant son buste. Sa prestance et son charisme troubla Christian qui stoppa sa télékinésie sur la malheureuse femme qui avait perdu connaissance. Il l’observa un instant qui paraissait une éternité à ses yeux, comme hors du temps. Était-ce elle ou un autre de ses artifices ? Un polymorphe qui aurait pris son apparence ? Il ne pouvait en être sûr qu’en lui parlant directement avant de faire endurer maintes souffrances à la femme qu’il avait tant aimée autrefois.
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Jeanne…
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Lâche-la, Christian. Tout de suite.
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J’ai encore du mal à croire que tu es bien réelle. J’ai bien cru un instant que tu n’assisterais pas à la fête malgré ton entrée fracassante sur les écrans, lança Christian avec une certaine délectation dans la voix.
Elle se tenait silencieuse à plusieurs mètres de lui, les bras le long du corps, dessinant un rictus sur son visage rajeuni et hautain que l’homme avait beaucoup de mal à déchiffrer. Christian se retrouvait dans l’incapacité de sonder son esprit par la télépathie, car Jane Roselys disposait d’une aisance particulière contre les intrusions psychiques et les influences télépathiques depuis une rencontre fâcheuse avec Eddy Bonns, un autre mégalomane qui désirait détruire le monde entier au temps de NickroN. Dans la main de Jane, un petit sac de soirée bien trop petit pour contenir une arme de gros calibre.
Il s’avança lentement tel un serpent se délectant déjà de sa proie qui ne fit aucun mouvement. Jane resta immobile et imperturbable, ce qui était assez extraordinaire en de pareilles circonstances. Les survivants n’osèrent émettre le moindre mot tant la scène était surréaliste.
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Cela fait si longtemps, Jeanne de Roselys, reprit Christian en vieux français. Ou devrais-je dire Jeanne Messonier !
Christian arriva à sa hauteur et sentit le cœur de sa rivale battre plus rapidement à mesure que la distance diminuait. Sa voix suave n’avait plus aucun effet sur Jane malgré le charme naturel qu’il dégageait. Son esprit lui répétait sans cesse que l’homme en face d’elle, cet amant qui l’avait tant aimée et chérie pendant un nombre incalculable d’années, était mort avec son rêve de rendre le monde meilleur.
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Je ne pensais pas que nos retrouvailles te laisseraient sans voix Jeanne… Toi, si forte, si déterminée…
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Me voici devant toi, Christian Pieriam. Quel nom étrange tu as choisi là, fit-elle esquissant un léger sourire.
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Dis-le Jeanne, je t’y autorise. Le monde doit savoir comment je m’appelle à présent. Je suis lassé de cacher qui je suis véritablement.
Jane demeura silencieuse quelques secondes tandis que les survivants encore sous le choc attendaient cette révélation de taille. Tout était silencieux, personne ne parlait ou ne cherchait à fuir. Elle parut hésitante, presque troublée et n’osa pas prononcer le véritablement nom de l’homme qui se tenait face à elle.
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Dis-le, Jeanne ! répéta Christian avec insistance. C’est pourtant si simple. Dis-le.
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Tu t’appelles… Tu t’appelles Pierre, Pierre Hamelion, fit Jane dans sa langue natale.
Personne sur Terre, hormis Jane, connaissait le véritable prénom de Christian Pieriam dans sa vie antérieure. Si celui-ci ne signifiait rien pour personne depuis plusieurs siècles, il avait toujours été un message à l’attention d’une seule femme qui tentait en vain de le neutraliser. Pieriam n’était qu’une la contraction en anglais de « I’am Pierre » (Je suis Pierre). Personne n’aurait pu trouver la véritable identité de cet homme.
Christian, arrivé à sa hauteur, se positionna derrière elle pour détailler son cou délicat. Jane entendait la respiration sensuelle et l’air chaud expiré du directeur de l’agence à cet endroit bien précis où il aimait tant l’honorer durant leur jeunesse. Il ne put jamais retrouver une telle sensation avec une autre femme malgré ses nombreuses aventures, il n’y avait qu’elle qui hantait son esprit. Elle ferma les yeux en essayant de pas vaciller à son tour dans la nostalgie.
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J’ai vécu tant de fois cette scène dans mes rêves, ma chère Jeanne, que je m’attendais à plus de témérité et de violence de ta part. Je suis même déçu après ta piètre tentative de mettre à mal ma réputation et mon agence.
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En cela j’ai réussi, n’est-ce pas ? fit-elle doucement. Admets-le, j’ai frappé tellement fort qu’il te faudra beaucoup d’efforts pour réparer tous les dégâts, si ce n’est déjà trop tard. Qu’importe tes mensonges, tes artifices ou tes crimes barbares, le monde entier t’a démasqué à présent, et tu connaitras ce que des milliers d’entre nous ont vécu par ta faute.
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Peut-être bien, concéda-t-il. Mais crois-tu que cela m’importe au fond… La question que je me pose à cet instant est la suivante : que caches-tu dans ce remarquable esprit que je ne peux sonder ? Tu es bien trop intelligente, et t
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es compétences de clausomancie* sont extraordinaires.
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Serais-tu en train de douter, mon cher Pierre ?
Elle put déceler dans le regard de Christian un esprit rongé par le doute. Il la respectait beaucoup trop pour savoir qu’elle ne se jetterait pas toute seule dans ses filets aussi facilement. Mais l’envie de connaître la réponse à cette question fut mise de côté, Christian tenta une nouvelle fois de sonder son esprit sans y arriver.
Jane répugnait à chaque fois qu’elle entendait son prénom en français prononcé par cette voix étrange qui lui faisait ressurgir un passé si lointain et irréel. La dame serra sa main libre pour canaliser ses émotions, son stress ainsi que son adrénaline. La tâche fut bien plus ardue qu’elle ne l’avait imaginée, Christian disposait, tout comme elle, d’une aura innée pour déstabiliser les autres et découvrir la vérité.
Déterminée, Jane finit par se retourner afin de lui faire face.
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Que veux-tu Pierre ? Ne me fais pas croire que tu as tué tous ces gens uniquement pour me forcer à me montrer. Tu n’as jamais été très subtile ni patient.
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Il me faut reconnaître que tu l’es bien plus que moi, c’est certain.
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Alors que cherches-tu ? Simplement me tuer pour te laisser assoir ton emprise mortifère sur ce pays ? Te connaissant, la Fédération Unie ne suffira pas pour assouvir ton désir de vengeance contre les humains et les variants. J’ose croire que le monde ne suffirait pas.
Le visage de Christian parut déçu.
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Enfin Jeanne ! Quel intérêt aurais-je à te tuer ?! Tu sais très bien que nous sommes liés tous les deux. Liés pour l’éternité. Avoir copié ton don à cette époque si lointaine fut une véritable bénédiction pour moi, cela m’a permis de vivre. De vivre pour pouvoir me venger, tu le sais. Mais te tuer ? Je n’ai jamais eu l’intention de te tuer. Jamais. Ce serait trop facile, trop soudain. Que tu le veuilles ou non, tu vas devoir vivre.
Elle sortit d’un geste rapide un révolver nacré de son petit sac afin de le placer contre sa tempe. Tout le monde retint son souffle, ils ne s’attendaient pas à ce qu’elle menace de s’ôter la vie.
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Alors il suffirait que je me tire une balle dans la tête pour que tu meures avec moi, fit Jane déterminée.
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En effet, rétorqua Christian avec un rire narquois. Mais ne sois pas stupide, si cette solution semble si simple, pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?
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Arrête !
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Dis-le-moi Jane, avoue que tu veux savoir quels plans j’ai concocté afin que tu puisses tout défaire, s’amusa Christian. Malgré les siècles qui s’égrènent, tu n’as jamais changé et tu as toujours cru que tu avais la force d’améliorer les choses.
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Oui, tu as raison. J’aurai pu mettre fin à ma vie, mais j’aurai eu le doute que la mort ne t’emporte pas également et je ne pouvais me le permettre. J’ai assez vu tes exactions meurtrières pour comprendre que tu vas mettre ce monde à feu et à sang !
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Tu n’as pas vu grand-chose, et même si tu crois détenir une once de réponse grâce à un de tes sbires télépathes, saches que tu es bien loin du compte. Oui, je le vois à présent dans tes yeux. Tu ressens le doute face à l’échec en étant si près du but, n’est-ce pas Jane ?
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Qui a dit que j’ai échoué ?
Ils entendirent des tirs et du mouvement à l’extérieur. Jane profita de ce bref instant de surprise pour pointer son arme vers Christian. Son bras ainsi que sa main ne vacillaient pas malgré cet énorme moment de tension.
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C’est ce que je pense ? reprit Christian amusé qui pointa l’extérieur.
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Tu ne pensais tout de même pas que je serais venue toute seule, railla Jane.
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Je me ferai un plaisir d’occire tes laquais un par un devant tes yeux, et j’espère que ton dernier descendant mâle sera de la partie, menaça-t-il.
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Il a bien grandi depuis votre dernière rencontre, et sache que nous sommes plus nombreux à présent, fit-elle énigmatique. Tu aurais tort de nous sous-estimer, Pierre !
Christian fit une pause en tentant une autre approche. Il n’avait pas relevé dans les dires de Jeanne que Lucas serait bientôt père.
La présence d’une arme braquée contre lui ne l’angoissait nullement, au contraire, cela pimentait sa vie de voir son unique rivale se confronter à lui. Il voyait ce moment comme un défi qui lui procurait d’étranges sensations.
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Quel dommage, j’aurais tant espéré que tu me rejoignes, Jeanne.
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Nous n’avons pas les mêmes desseins, Pierre ! Cesse immédiatement cette folie avant qu’il ne soit trop tard ! C'est entre toi et moi désormais.
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Bien sûr que si, Jeanne, nous voulons exister tous les deux dans ce monde ! Nous avons cherché notre place depuis tous ces siècles sans jamais vraiment y parvenir. Tu m’as fait tant de mal, tu m’as abandonné pour choisir une voie compliquée garnie de mensonges malgré la tragédie qui nous a touchés durant notre jeunesse. Et où cela t’a-t-il conduit ? Vivre recluse dans le plus grand secret, terrée comme un rat ! La peur de vivre chaque seconde comme si c’était la dernière à cause de mes capacités ne m’a jamais convenu depuis que j’ai refusé cette soumission à laquelle tu t’es accommodée au nom du « bien de tous ». Je veux exister pleinement, car je veux TOUT, Jeanne ! Ils croient encore que ce monde est le leur, mais ils se trompent. Je vais leur faire payer toutes ces années de souffrance, même si je dois tuer tous les humains et les variants qui se dresseront contre moi ! Ces gens qui nous entourent sont faibles, et ils continuent de détruire ce monde agonisant !
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Pierre ! s’énerva Jane. C’est toi aujourd’hui qui tortures et tues nos semblables pour assouvir cette prétendue vengeance sur le destin ! Tout ceci n’a rien de noble de supprimer la vie au prétexte que tu refuses la mort, pourquoi fais-tu cela ?!
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Te souviens-tu du de ton premier époux officiel, le comte de Roselys ? Cet… homme qui t’a aimé et a fait naître en toi cette faiblesse que tu partages avec tous tes descendants ! Était-il au courant ?! Lui avais-tu dit ou a-t-il deviné tout seul ? Est-il mort en te voyant comme un monstre ou avec de la pitié ?
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Il le savait.
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Bien sûr qu’il le savait… Alors que la vieillesse abimait son corps et le rapprochait d’une mort inévitable, tu restais la même femme, pleine de vie figée dans une jeunesse surnaturelle. Mais il est mort. Toutes les personnes qui t’entourent finissent toujours par mourir. Toutes. Toutes sauf moi, parce que nous sommes liés depuis tant de siècles que tu le veuilles ou non. Je suis le seul à résister à ton don parce que je suis le seul qui ne t’ai jamais aimé d’un amour absolu.
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Mon don ? Je l’ai toujours vu comme une malédiction. Vivre. Vivre sans la perspective de sa propre mort, mais voir tous les gens qu’on aime partir… Fit-elle dans un murmure à elle-même. Voir ce don pervertir ton âme jusqu’à la folie pour assouvir ta vengeance…
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Ce n’est que justice Jeanne, murmura-t-il d’un souffle. Arthur…
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Je t’interdis de rappeler ce souvenir Pierre ! s’énerva Jane. Tu en es indigne de prononcer son nom alors que tu décidais de te perdre dans cette vengeance même au détriment de mes enfants…
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Il était ton premier fils Jeanne, notre premier fils, chuchota Pierre alors que ses yeux, où la rage s’était estompée, exprimaient une tristesse abyssale. Ils nous l’ont pris sans la moindre hésitation… Tu as décidé d’être faible et de leur pardonner, parce que tu crois en la bonté humaine, j’ai pris une autre voie. Ils sont tous indignes. Tous ces humains, ainsi que ces faibles variants. Ils méritent le même sort, seuls les forts survivent et méritent de diriger… J’ai toujours voulu que tu comprennes cela et que tu sois à mes côtés… Nous sommes liés à jamais.
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Le Pierre que j’ai tant aimé est mort en même temps qu’Arthur, fit-elle alors qu’une perle de larme coula le long de sa joue. Tu t’es perdu dans ton chagrin. J’ai décidé que c’est la vie qui devait gagner.
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Tu sais que si l’un de nous meurt, l’autre mourra aussi. Tu perdrais ton immortalité pour m’accompagner dans la mort ? Demanda-t-il presque amusé.
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Si c’est le prix à payer, répondit Jane troublée.
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Oh Jeanne, si troublée que tu en laisses échapper une pensée… Une fille ? C’est bien ça ? Mais si tu meurs…
La dame française n’avait pas encore pensé à cette éventualité si inatteignable. Elle en fut bouleversée. Son plus grand amour et ami, devenu aujourd’hui son ennemi mortel, allait peut-être disparaître, mais elle devrait également en mourir sans pouvoir protéger la fille de Lucas. Jane eut une soudaine révélation qui la fit sourire.
-
Je goutterai à la paix que je recherche depuis si longtemps, répondit-elle avec soulagement.
-
La paix. Je peux te l’offrir une fois que j’en aurai terminé avec ce monde. Je ne souffrirai d’aucun rival qui se mettra en travers de ma route et nous pourrons vivre ensemble à jamais.
-
Ainsi soit-il, conclut Jane.
Tout le monde sursauta lorsqu’un coup de feu retentit dans la salle.
***
En 1389, le souvenir de la peste noire survenue cinquante ans auparavant demeurait encore vif dans l'esprit de la population française. Le pays était engagé dans une guerre acharnée contre l'Angleterre depuis 1337, et la mort et les épidémies frappaient sans distinction, surtout les plus faibles et les plus démunis, qui n'avaient guère de chance de s'en sortir. Quant aux nobles, largement épargnés par des conditions de vie meilleures, retranchés dans leurs vastes domaines et jouissant d’une nourriture abondante, ils justifiaient la guerre comme un mal nécessaire face aux revendications des Anglais sur le trône de France contesté par les Valois.
Aux premières lueurs de leur jeunesse, unis par une passion contrainte à la clandestinité, Jeanne Messonier et Pierre Hamelion trouvèrent refuge dans une modeste demeure située au nord de la campagne parisienne. Les deux amants ne pouvaient demeurer longtemps au même endroit sans éveiller les soupçons des habitants trop curieux. Jeanne et Pierre semblaient ne pas vieillir, et en ces temps troublés, où la religion et la superstition imprégnaient la vie quotidienne, ils risquaient d'être accusés d'hérésie et de sorcellerie, puis condamnés au bûcher pour expier leurs péchés et purger leurs âmes du malin.
Autrefois, Jeanne était une jeune femme blonde dont la famille avait été décimée par la terrible épidémie de peste en 1348. L'idée d'être accusée de sorcellerie avec Pierre, son ami d'enfance devenu son seul compagnon partageant son secret, la terrifiait. Après toutes ces années passées ensemble, avec la crainte d’être frappée de stérilité, Jeanne tomba enceinte, un miracle qu'elle attribuait chaque jour à Dieu dans ses prières.
En cette fin de quatorzième siècle, Jeanne ne maîtrisait pas ses dons comme en 2117. Pierre avait utilisé sa capacité de copie pour jouir des mêmes avantages que Jeanne, c’est-à-dire ne plus souffrir des ravages du temps. Cette immortalité partagée avait enflammé en lui un désir de vengeance contre les seigneurs et les oppresseurs qui l’avaient toujours considéré comme un vulgaire mendiant de la campagne. Le premier époux de Jeanne voulait plus, car il travaillait durement dans les champs jusqu’à s’en rompre les bras. Les épreuves douloureuses vécues depuis sa jeunesse avaient lentement assombri le cœur de Pierre Hamelion. Il partageait l’idéal de Jeanne, qui n’avait pas été assez lucide pour se rendre compte dès le début.
Pour garantir la sécurité de sa compagne, devenue incapable de se déplacer en raison de sa grossesse, Pierre s'était résolu à commettre des petits larcins, qui ne semblaient pas avoir de véritables conséquences. Les agissements de Pierre et ses mauvaises actions finirent par parvenir aux oreilles de Jeanne, et elle attribua cette tension par l’angoisse qu’il lui arrive quelque chose durant l’accouchement, impliquant la mort de de Jeanne ou de leur enfant à naître.
Allongée sur son lit de paille, durant une journée pluvieuse, Jeanne se tordait de douleur. Elle était assaillie par les douleurs du futur accouchement, et elle avait beau prier Dieu de l’aider, la douleur ne faisait qu’empirer.
Le travail commença. La douleur était insoutenable pour Jeanne qui souffrit un véritable martyr durant de longues heures. Elle reçut l’aide d’une femme de confiance nommée Blanche, une guérisseuse qui offrait ses services aux femmes en couche, ainsi que d’autres services prohibés par les autorités religieuses. Enfin, un garçon, nommé Arthur, vit le jour.
Christian ressentit pour la première fois le bonheur de la paternité en admirant les traits de son fils enveloppé dans son linge. Il se laissa emporter par les émotions qui parcouraient tout son être, laissant de côté pour une courte durée cette amertume qui ne faisait que s’accroitre au fil du temps. Mais ce bonheur relatif, si cher à ses yeux, n’empêchait pas Pierre de d’être préoccupé pour l’état de santé toujours préoccupant de Jeanne. Était-ce une fièvre puerpérale due à la grossesse difficile et aux manques de soins ? La sage-femme pouvait seulement lui prodiguer des onguents pour la soulager et lui faire ingurgiter des plantes censées l’apaiser. Christian désespérait de la voir dans un tel état, et Blanche lui répétait que seul le repos et l’aide de Dieu pourraient aider Jeanne à vaincre ce mal. Pierre ne pouvait se résoudre à perdre l’amour de sa vie, faisant grandir le doute dans son esprit. Pierre ne savait pas si son immortalité perdurerait en cas de décès de Jeanne. Il ne pouvait s’y résoudre.
Il demanda l’aide de Blanche pour s’occuper d’Arthur, Jeanne ne pouvant s’occuper de l’enfant en raison d’une forte fièvre survenue après l’accouchement. Pierre redoubla d’efforts et de détermination pour protéger sa famille et subvenir à leurs besoins, car la rumeur du couple vivant hors des liens sacrés du mariage se répandait inéluctablement au sein du village La Roche-Guyon. Il attendait que Jeanne retrouve des forces pour l’épouser devant Dieu et faire taire les ragots, car l’Église ne pouvait tolérer un tel manque de foi envers le Seigneur et la loi sacrée du mariage dans une époque si lointaine. La famille ne pouvait espérer fuir de nouveau, Jeanne étant encore trop faible pour entreprendre un voyage qui s’avérerait dangereux pour elle sur des routes jonchées de dangers et d’incertitude. Le mariage demeurait leur seule option.
Jeanne priait chaque instant le Seigneur pour retrouver la santé, et contre toute attente, elle recouvra rapidement ses forces. Elle ne pouvait savoir que son ADN muté en était la cause, et ils croyaient que cette guérison miraculeuse était un miracle. Malgré leur ignorance, le secret de leurs dons ne devait en aucun cas être révélé.
Quelques semaines plus tard, Pierre admira Jeanne en train de donner le sein à son enfant, paisible et emmitouflé dans une chaude couverture. Pierre observait son épouse ainsi que son fils.
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Tu es tellement belle, mon aimée, commença Pierre, les yeux pétillants d’admiration. Notre petit Arthur est une bénédiction du Seigneur, et je l'en remercie chaque jour dans mes prières. Je suis le plus heureux des hommes.
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Moi aussi, mon époux, répondit affectueusement Jeanne, je suis comblée et heureuse. Je me sens sereine à présent, dans ce nouveau village, loin du temps du tumulte où nous devions fuir et cacher notre condition.
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Ce temps-là sera bientôt révolu, ma douce Jeanne, répliqua Pierre. L’armurier du village me fait confiance pour le seconder dans l’élaboration des armures et l’armement des chevaliers de l’armée du duc de Bourgogne. Je vais apprendre l’art de la forge, et pourquoi pas manier les armes pour nous protéger. Je ne peux guère concevoir de rester paysan à labourer les champs pour des seigneurs cupides. Nous méritons mieux qu’une vie misérable ! On devrait nous traiter avec plus de respect !
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Peut-être, mon aimé, répondit Jeanne avec quelques réserves, mais nous devons faire preuve de patience et bien mesurer nos décisions. Tu es trop impatient, et l’ascension qui nous attend va être longue et fastidieuse. De vilaines rumeurs courent à ton sujet, d’après ce que m’a révélé Blanche.
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Que disent-elles et qui ose mettre en doute mon honneur ? s’offusqua Pierre par une telle révélation.
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Doucement, mon aimé, notre fils repose. Le boulanger affirme que tu ne l’as pas payé, ainsi que l’aubergiste. Ils disent que tu es un voleur, répondit Jeanne avec déception. J’ose croire que cela n’est pas vrai, n’est-ce pas ?
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De véritables menteurs. Je vais les corriger immédiatement ! hurla Pierre.
Arthur se mit tout à coup à pleurer en entendant la voix grave de son père. Jeanne lui chanta une berceuse pour qu’il se calme, n’empêchant pas Pierre de lancer un verre en bois à travers la pièce. La colère se transforma en rage, et il ne pouvait rester les bras croisés sans donner une bonne correction à ces hommes cupides et sans honneur.
Jeanne sombra dans une amère solitude où seuls son fils et Blanche agrémentaient les longues journées de l’été étouffant.

Pierre

Tobias

Ingrid

Jeanne

Hiro

Lucas

Aleksandr

Sidonie

Tristan
Année 2117 | 03 août, 21h00 – Siège de la BMRA - Atlanta - Géorgie
Là où ils se trouvaient, le petit groupe entendait des cris et des explosions depuis la salle de réception. Lucas, Sidonie et Tobias sentirent leur coeur se serrer depuis que Jane les avait laissés. La comtesse avait interdit à Tobias d'utiliser sa télépathie afin d'échanger avec elle, car Christian était imprévisible et pouvait se servir d'un donc copié pour le retourner contre le groupe. Ils laissèrent passer des soldats de l'armée fédérale alertés par la mort en direct de Kurk Marshall et d'une centaine d'innocents. Dans la panique générale, chacun d'eux devait garder son calme et suivre le plan qu'ils avaient étoffés depuis de nombreux mois, mais les imprévus ne pouvaient être exclus de l'équation.
Aleksandr et Hiro s'étaient rendus de leur côté vers la salle d'armement, tandis que Lucas, Sidonie et Tobias pouvaient communiquer avec eux par l'intermédiaire de talkies-walkies fabriqués par le mercenaire néo-russe. Ils avaient réussi à pénétrer dans le siège de l'agence grâce à Tristan Harker qui était enfin réapparu depuis plusieurs jours le temps de se fondre dans la population d'Atlanta après l'épisode du train "Allure of Liberty". L'homme n'avait donné aucun détail quant à sa fuite ou sur ce qu'il lui était arrivé durant sa cavale, mais il avait essuyé des blessures superficielles en combattant au couteau des agents de l'Agence. Il s'était battu avec une telle férocité que toutes ses victimes le prirent pour un variant. Tristan arrivait à contrôler sa soif de vengeance et son adrénaline grâce à son entrainement militaire et ses missions au site Mu. L'homme s'était équipé du matériel explosif récupéré non sans difficulté par Sidonie, Lucas et Hiro.
Lucas devait assurer la protection de son groupe, Sidonie devait l'assister par ses dons temporels en cas de problème en recueillant des preuves vidéo par l'intermédiaire d'un enregistreur holographique placé sur sa combinaison. Tobias devait les guider jusqu'au bunker secret de Christian Pieriam comme il l'avait vu dans l'esprit de Stanley Miller. Le Projet final le terrifiait, et plus ils avançaient dans les coursives jonchées de voyants lumineux en alerte, plus le jeune homme tremblait. La tâche paraissait insurmontable tant les lieux étaient composés par d'interminables corridors où il était facile de se perdre.
Tobias se servait plus facilement de son don de télépathie afin de garder tous ses collègues en alerte dès que Tristan leur donnait un ordre. Ils obéissaient aux doigts et à l'oeil à toutes ses injonctions, car ils risquaient leur vie à chaque instant. Leur mission était de récupérer ce que cachait Christian Pieriam dans son bunker sécurisé, le "Projet final" comme l'avait vu Tobias dans l'esprit du porte-parole de l'agence. Étaient-ils certains de ce qu'ils allaient trouver ? L'angoisse de l'échec s'agrandissait à mesure qu'ils approchaient de leur but, et Jane était partie de son côté en obligeant les variants à ne surtout pas la suivre. Hiro avait du mal à obéir à cet ordre en laissant leur guide et cheffe seule face contre tous, sans compter Christian Pieriam.
*Clausomancie : clauso signifie en latin "fermé", et mancie vient du grec "manteia" qui peut être traduit par "divination" en français. La clausomancie correspond à la faculté de fermer son esprit aux influences psychiques.