


Christian

Yasmine

Ingrid

Solomon

Stanley

James

William
Chapitre 5 : « Sombres plans »
Année 2116 | 16 novembre, 12 h 00 – Salle de réunion de la BMRA
Devant le pupitre de la BMRA se tenait un homme dans la quarantaine, grand, aux cheveux bruns soigneusement coiffés, et débordant d’un charisme maîtrisé, parfaitement calibré pour son rôle de porte-parole. Stanley Miller, à la tête du service communication et relations extérieures depuis quatre ans, affichait un parcours irréprochable. Il excellait dans l’art du débat et cultivait une image d’honnêteté et de proximité avec le peuple. Peu lui importait la réalité des actions de la BMRA ; seule comptait la perception qu’en avait l’opinion publique, même si certaines activités de l’agence étaient moralement douteuses, voire criminelles.
Stanley possédait un talent unique pour redresser une situation. Convaincu d’œuvrer pour le bien commun, il soutenait la BMRA sans faillir, persuadé qu’aucun État, même démocratique, ne pouvait suivre la loi à la lettre en toutes circonstances. Il fallait parfois s’en affranchir pour garantir la sécurité. Seuls les coupables devaient craindre l’agence, pas les citoyens honnêtes. Quant aux variants ? Ils n’étaient pas, à ses yeux, de véritables citoyens, encore moins de la même espèce.
Il savourait ces instants avant chaque conférence de presse, lorsque le trac grimpait et qu’il devait sortir de sa zone de confort. Il adorait s’exposer devant des millions de spectateurs, conscient d’être apprécié par la presse et le public. Il jeta un bref coup d’œil vers le retour caméra et, satisfait de son image, inspira profondément. Tout devait être parfait.
La conférence de presse avait déjà commencé.
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Monsieur Miller, nous venons d’apprendre que deux hommes ont été tués au restaurant The Westin Bonaventure, à Los Angeles. Des témoins affirment que le meurtrier est un variant. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Stanley hocha la tête, son visage se faisant grave.
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Je vous confirme que la meurtrière est une variante. Mais n’ayez crainte : nous avons mobilisé tous nos moyens pour la retrouver. Lydia Sorel, médecin, est activement recherchée après avoir tué deux soldats en civil. Sa photo apparaît actuellement sur vos écrans. Surtout, ne tentez pas de l’interpeller vous-même. Elle est extrêmement dangereuse et lourdement armée. Si vous la voyez, contactez immédiatement notre numéro d’intervention d’urgence affiché en bas de votre hologramme. Votre vigilance est essentielle.
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Quelles sont les circonstances de cette attaque terroriste ?
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Comme trop souvent, cette variante a refusé de se conformer à notre protocole d’écartement et a ouvert le feu. Nos agents sont morts sur le coup, malgré l’intervention rapide des secours. Je pense à leurs familles et, au nom de la BMRA, nous leur présentons nos plus sincères condoléances. Justice leur sera rendue, soyez-en assurés. Nous retrouverons cette criminelle et ses complices, quoi qu’il en coûte.
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Le docteur Lydia Sorel travaillait sur quel type de recherches ? L’agence était-elle au courant ?
Stanley esquissa un sourire poli, maîtrisant parfaitement la situation.
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Désolé, ces informations sont confidentielles. Je ne peux pas en dire davantage.
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Certains opposants politiques pointent du doigt des dysfonctionnements au sein de l’agence et estiment que vos pouvoirs sont trop étendus. Que leur répondez-vous ?
Son visage s’assombrit légèrement. Il fixa la caméra avec intensité, savourant ce moment. Il aimait endosser le rôle d’orateur impassible. Inspirant profondément, il répondit d’une voix grave, comme s’il s’adressait directement à quelqu’un au-delà de l’objectif.
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Que leur répondons-nous ? Ces opposants, confortablement installés dans leurs bureaux, n’ont aucune idée de la réalité à laquelle font face nos concitoyens chaque jour. Ce sont eux qui ont laissé s’installer l’insécurité et le terrorisme antihumain durant tant d’années. L’agence, elle, travaille d’arrache-pied pour rétablir la sécurité et protéger la population. Voilà ce que je leur dirais. Nos activités sont soumises à des contrôles rigoureux par les autorités politiques. Il n’y a aucune polémique, malgré ce que ces pseudo-fédéralistes aimeraient vous faire croire. Ce que je retiens aujourd’hui, c’est qu’une variante a tué sauvagement deux hommes, des héros, dans l’exercice de leurs fonctions. Nous ne les oublierons pas. Leur folie meurtrière ne restera pas impunie !
Des murmures traversèrent la salle tandis que les journalistes accrédités, triés sur le volet par l’agence, lançaient leurs questions. À côté de Stanley, une femme se tenait droite et silencieuse. Ses cheveux noirs de jais, impeccablement plaqués avec une mèche sur le côté et attachés en chignon, encadraient un visage sévère et glacial, dépourvu de toute émotion. Ingrid Wood, connue pour son ambition dévorante et sa fidélité inébranlable à la BMRA, scrutait la salle d’un regard froid et acéré, prête à réagir à la moindre menace, qu’elle soit physique ou politique.
Ingrid était réputée pour son zèle et son efficacité. Elle résolvait les problèmes rapidement, avec une indifférence presque clinique. Sa loyauté envers l’agence n’était pas motivée par l’ambition personnelle mais par une croyance profonde en sa mission. Pour elle, le bien commun primait sur tout le reste, et les variants, avec leurs pouvoirs dangereux, représentaient une menace à éradiquer sans le moindre compromis.
Tandis que Stanley répondait aux questions avec l’aisance d’un politicien aguerri, Ingrid demeurait en retrait, calculatrice, préparant déjà les prochaines actions pour localiser Lydia Sorel.
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Mesdames et messieurs, merci de respecter nos téléspectateurs en posant vos questions à tour de rôle, ordonna Ingrid d’une voix ferme et glaciale.
Immédiatement, la salle se tut. Les journalistes, naguère submergés par une cacophonie nerveuse, levèrent docilement la main, espérant être choisis par Stanley. L’ordre venait d’être rétabli, et chacun savait que les questions seraient filtrées en fonction de leur alignement avec le discours officiel. Un pur spectacle de communication, bien rodé.
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Est-ce que le restaurant disposait de détecteurs anti-variants ? demanda l’un d’eux, profitant du silence.
Stanley afficha son sourire professionnel, celui qu’il maîtrisait à la perfection.
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D’après nos informations, le restaurant en était effectivement équipé. Cependant, nos ennemis, les variants, cherchent sans cesse à contourner nos lois et à déjouer ces dispositifs. C’est pourquoi nous avons soumis de nouvelles mesures au Congrès fédéral, visant à développer des technologies bien plus performantes que de simples scanners ADN. Nous envisageons, par exemple, des portiques de sécurité impossibles à pirater via des signaux parasites, des tests sanguins rapides et instantanés, ou encore des contrôles oculaires. Plus encore, sur le long terme, nous travaillons sur l’implantation de nanopuces indétectables et impossibles à retirer, bien plus faciles à analyser. Ces systèmes nous permettront de détecter les variants avec une précision et une efficacité inégalées. Je tiens d’ailleurs à remercier sincèrement nos ingénieurs et scientifiques pour leur travail acharné. Pourquoi ces mesures ? Parce que nous devons protéger nos administrations, nos restaurants, et tous ces lieux qui comptent pour nous, où chaque citoyen doit se sentir en sécurité.
Un autre journaliste enchaîna aussitôt :
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D’après certaines rumeurs, il existerait des abris clandestins où des mutants se réunissent. Que comptez-vous faire face à cette menace ?
Stanley hocha lentement la tête, savourant l’attention qu’on lui portait.
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Cela fait déjà plusieurs années que nous alertons sur les dangers que représente la présence incontrôlée de variants hostiles. Ils haïssent nos valeurs, notre pays, et l’avenir que nous construisons ensemble. Il est impératif de frapper ces groupes clandestins, ces parias qui fomentent des attentats contre des civils innocents. Soyez rassurés, la BMRA travaille sans relâche à démanteler ces réseaux et à traduire leurs membres en justice. Je suis d’ailleurs heureux de vous annoncer que nous avons récemment mis la main…
Soudain, une interruption inattendue figea la salle.
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Il y aurait actuellement des tirs sur Flower Street, à Los Angeles ! s’écria un journaliste au fond de la salle, coupant net l’ambiance maîtrisée.
Stanley se figea, ses mâchoires se contractant. Il détestait apprendre ce genre d’information par la presse.
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Eh bien… merci de me l’apprendre, répondit-il finalement, masquant tant bien que mal son irritation. Je vais écourter cette conférence afin que nous puissions concentrer nos efforts sur la situation. Soyez assurés que je vous tiendrai informés très prochainement. Merci à tous.
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Mesdames et messieurs, la conférence est terminée, ajouta Ingrid d’une voix implacable, marquant la fin de l’événement.
Ce nouvel attentat frappait au pire moment pour la communication. Stanley, d’ordinaire si sûr de lui, sentait un agacement sourd le gagner. Tandis que les journalistes quittaient la salle, visiblement frustrés par cette conclusion abrupte, Stanley et Ingrid s’éloignèrent rapidement vers un couloir réservé aux employés de la BMRA. Ils marchèrent sans un mot jusqu’à l’ascenseur privé, accessible à une poignée de hauts responsables seulement. Une fois à l’abri des regards, Stanley desserra sa cravate d’un geste nerveux et passa une main fébrile dans ses cheveux, cherchant à libérer la tension qui lui crispait la nuque. Ingrid, impassible à sa gauche, fixait droit devant elle, son regard glacé vide de toute émotion.
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Votre avis sur la conférence, Ingrid ? lança Stanley pour rompre le silence oppressant.
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Concise et efficace, répondit-elle immédiatement. Vous avez dit l’essentiel.
Stanley soupira, contrarié.
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Si seulement il n’y avait pas eu cet attentat en direct… C’est mauvais pour notre image.
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L’agence vous a embauché pour cela, Stanley, rétorqua Ingrid sans détour. Votre travail consiste à gérer les imprévus et à faire en sorte que la population continue de croire en notre mission.
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Je sais ce que je fais, Ingrid, grogna Stanley, un brin irrité par sa froideur. Des nouvelles sur ce qui s’est passé ? Ces enfoirés auraient pu attendre…
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Nous en saurons plus à la réunion. Ils nous attendent déjà.
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Et lui, il sera là aussi ?
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En effet, confirma Ingrid d’une voix neutre.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur un long couloir, aux murs lisses d’un blanc froid, menant vers une salle de réunion hautement sécurisée. Plusieurs robots-gardiens, aux silhouettes noires et élancées, bien plus sophistiqués que les modèles commerciaux, veillaient en silence, leurs capteurs rouges balayant l’espace comme autant d’yeux sans paupières. Après un contrôle rapide et méthodique, Stanley et Ingrid pénétrèrent dans une vaste salle circulaire où régnait une lumière tamisée, plongeant le lieu dans une atmosphère lourde, presque funèbre. Au centre trônait une grande table ronde arborant fièrement le logo gravé de la BMRA, ses reflets argentés se réverbérant sur les visages déjà réunis autour d’elle.
Christian Pieriam, assis dans un imposant fauteuil de cuir noir, dominait la table, ses coudes posés de part et d’autre de l’accoudoir, tel un souverain sur son trône. Son regard froid restait fixé sur l’écran holographique géant devant lui, qui diffusait en boucle les dernières informations. Les titres défilaient à vive allure, exposant l’agitation grandissante provoquée par les variants à Los Angeles. Dans la salle, nul n’osait parler. Seul le silence régnait, pesant comme une chape de plomb, contrastant avec l’agitation qui secouait le monde extérieur.
Christian Pieriam, la cinquantaine, dégageait une autorité si impérieuse que son simple regard suffisait à faire taire n’importe quelle contestation. Sa prestance écrasait, son charisme subjuguait. Peu savaient ce qui l’avait mené au sommet de la BMRA, mais tous connaissaient sa réputation : celle d’un homme dont l’intelligence glaciale n’avait d’égale que la cruauté. Son nom s’était imposé après la destruction de NickroN en 2114, un acte qui marqua à jamais l’histoire de la guerre contre les mutants. Le pragmatisme guidait chacun de ses choix, laissant peu de place à l’éthique : seul le résultat comptait.
À sa droite, Solomon Crane, médecin en chef de l’agence, restait plongé dans ses pensées. Jadis un praticien respecté, son chemin l’avait conduit vers des expérimentations de plus en plus extrêmes. Son expertise en génétique mutante et en psychiatrie était incontestable, mais ses méthodes, mêlant manipulation mentale et cruauté clinique, faisaient de lui un homme redouté jusque dans ces murs. Son visage émacié portait les marques du temps, mais aussi celles des nuits sans sommeil passées à pousser toujours plus loin les limites de l’éthique médicale. On le disait capable de briser la volonté d’un mutant par quelques mots et quelques injections seulement.
Yasmine Lefer, assise à l’opposé de la table, possédait un charme oriental singulier. Sa peau mate, ses longs cheveux d’ébène ondulants et son port altier la rendaient immédiatement remarquable. D’une stature moyenne, elle n’en dominait pas moins par son intelligence fulgurante. À la tête de la section des renseignements et des intelligences artificielles, elle permettait à la BMRA de toujours garder un pas d’avance sur ses ennemis. Son regard perçant et ses décisions implacables lui avaient valu la confiance absolue de Pieriam. Pour elle, la traque était un art, et chaque mutant capturé n’était qu’une victoire de plus gravée dans son palmarès.
William Downey, lui, incarnait la force brute. Ancien membre du Secret Service, il dirigeait les forces d’intervention avec une poigne d’acier. La perte de sa famille dans un attentat mutant l’avait transformé en machine de guerre, dénuée de compassion, obsédée par l’idée d’éradiquer jusqu’au dernier variant. Sa carrure colossale et son visage taillé à la serpe en faisaient un colosse intimidant, et ses ordres, toujours brefs et glacials, ne souffraient aucune discussion.
Enfin, James McBlock, sénateur influent et soutien politique majeur de l’agence, observait la scène d’un regard scrutateur. Moins imposant physiquement que ses collègues, il n’en détenait pas moins un pouvoir colossal par sa position stratégique. Sa croisade contre les variants, habilement maquillée derrière un discours sécuritaire, renforçait chaque jour son emprise au sein du Congrès. Il était le garant des budgets vertigineux de la BMRA, celui qui s’assurait que la machine continuerait à tourner, coûte que coûte.
Ingrid, fidèle assistante de Pieriam, se tenait en retrait, droite et immobile, son visage impénétrable figé dans une expression de neutralité absolue. Ses yeux bleus, presque translucides, passaient d’un visage à l’autre sans émotion. On murmurait sur la nature de sa relation avec Pieriam, mais personne n’osait poser la question. Elle était son ombre, sa lame silencieuse, et gérait chaque aspect de l’agence avec une précision chirurgicale.
L’atmosphère restait lourde, saturée d’une tension électrique. Les récents événements de Los Angeles n’étaient qu’un chapitre de plus dans cette guerre interminable. Tous savaient que la réunion d’aujourd’hui serait décisive. Les décisions qui allaient être prises auraient des répercussions colossales, non seulement pour les mutants, mais pour l’ensemble de la société humaine.
Christian Pieriam, imperturbable, continuait d’observer l’écran. Ses yeux analysaient chaque donnée, chaque image, avec la froide précision d’un prédateur. Il n’était jamais pris au dépourvu, toujours cinq coups d’avance sur ses ennemis. Dans son esprit, la prochaine phase de la guerre contre les variants se dessinait déjà. Le conseil, suspendu à ses lèvres, attendait ses directives dans un mélange d’admiration et de crainte.
Car tous savaient que Pieriam ne se contenterait jamais d’une victoire partielle. Pour lui, seule la domination totale avait un sens. Et il n’hésiterait pas à sacrifier quiconque, ou quoi que ce soit, pour l’atteindre.
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Voilà Miss Wood et ce cher Stanley Miller. Nous sommes au complet. Vous avez fait forte impression lors de votre prestation, lança Christian d’une voix douce, presque chaleureuse.
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Merci, monsieur le Président, répondit Stanley avec une déférence parfaite, inclinaison du menton comprise.
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Je suppose que nous allons discuter de ce nouvel attentat en cours à Los Angeles et du docteur Lydia Sorel. Docteur Crane, connaissez-vous ce médecin ?
Solomon Crane toussota légèrement avant de répondre, sa voix rauque comme un écho venu des abysses.
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Hum… seulement de réputation. Lydia Sorel officiait dans un hôpital délabré de Los Angeles. Je crois savoir qu’elle avait déposé une demande d’autorisation préalable pour une étude sur les effets de la radioactivité sur l’ADN animal.
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Et pourquoi est-elle soudainement devenue une cible prioritaire ? demanda Christian, sa voix prenant un tranchant de lame.
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Si je puis me permettre, monsieur le Président, intervint prudemment Yasmine, nous avons découvert, grâce à ses communications, qu’elle échangeait avec plusieurs de ses confrères à propos de cette fameuse étude. Après des interrogatoires… disons, “approfondis” de certains d’entre eux, il s’est avéré que cette étude était fausse. Bien que son contenu ait été subitement supprimé par une source inconnue, nous pensons qu’elle visait à remettre en question la doctrine de l’agence concernant l’évolution humaine et les variants.
Christian haussa un sourcil, un éclair d’intérêt traversant ses prunelles froides.
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Je vois. Et je suppose qu’elle en est une ?
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Nous avons de sérieux soupçons, répondit Yasmine d’une voix grave. Depuis son arrivée au service, le taux de mortalité a considérablement chuté. Soit elle est extrêmement talentueuse, soit elle possède un don de guérison.
Christian haussa un sourcil, intrigué.
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Ne pourrait-elle pas nous être utile ? Ces facultés sont trop rares pour que la BMRA ne s’y intéresse pas. Qu’en pensez-vous, Solomon ?
Solomon esquissa un sourire carnassier, révélant ses dents jaunes.
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Je serais ravi de lui extraire son don, mais cela risque d’être plus compliqué si elle est tuée. Bien sûr, cela ne m’empêchera pas de poursuivre mes recherches pour “guérir” les autres. Cela m’importe peu, mais je suppose que cela pourrait intéresser le service d’intervention…
Christian esquissa à son tour un sourire, mais celui-ci était glacial.
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Probablement. Les hommes sont remplaçables, mais pas les investissements de nos actionnaires.
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Je suis parfaitement d’accord avec vous, approuva Solomon, satisfait. La guérison est intéressante sur le papier. Je recommande de la maintenir en vie le temps de l’étudier, et de récupérer ses travaux avant qu’ils ne soient diffusés dans les médias ou tombent entre les mains de ces terroristes de la liberté. D’ailleurs, Miss Lefer, comment se fait-il que vous ne puissiez pas accéder à ces travaux ?
-
Elle a vraisemblablement crypté ses recherches, répondit Yasmine, un léger agacement filtrant dans sa voix. Cela signifie qu’elle connaît quelqu’un capable de coder avec des paramètres de sécurité avancés. Je travaille dessus et j’aurai une réponse rapidement.
Christian hocha la tête, l’air satisfait. D’un geste rapide, il envoya un message à l’un des assaillants de Los Angeles, ordonnant la capture de Lydia Sorel vivante, mais sans trop l’abîmer.
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Je suis certain que notre porte-parole étudiera cette question si la situation l’exige, dit-il en terminant son message.
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Je vais préparer une argumentation, monsieur le Président, déclara Stanley avec un zèle gourmand. Je vous la ferai parvenir demain matin.
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Bien, acquiesça Christian avant de reprendre, son ton redevenu de granite. Cependant, outre Lydia Sorel, j’aimerais comprendre comment plusieurs cibles parviennent à disparaître dans la nature depuis quelque temps. Se pourrait-il que nous abritions une taupe ? demanda-t-il en balayant la pièce du regard.
Les visages se tendirent immédiatement. Christian faisait référence à Sidonie et Lucas, ainsi qu’à d’autres variants jugés hautement prioritaires. Personne n’osa répondre. L’idée qu’ils échappent ainsi aux radars était impensable. Christian, qui exécrait la trahison, ne pouvait tolérer qu’une variante ait tenté de contredire la BMRA tout en simulant une demande d’autorisation factice. Peu importait le sujet de l’étude : elle devait être réduite au silence. Ses dons, aussi rares soient-ils, ne serviraient jamais la cause abjecte des mutants. Tous ceux qui osaient remettre en question la BMRA signaient leur propre arrêt de mort, qu’il soit professionnel ou physique.
Christian resta silencieux plusieurs minutes, ses doigts tambourinant la table d’un rythme lent et terrifiant. Puis il se leva, et commença à marcher autour de la table. Ses subordonnés suivaient chacun de ses pas, prisonniers d’une tension insoutenable.
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Le hasard n’a jamais fait partie de mon équation. Quelqu’un œuvre dans l’ombre contre nous, et je compte bien découvrir de qui il s’agit. Mesdames et messieurs, j’attends de vous des solutions, dit-il, sa voix résonnant comme un glas.
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Monsieur le Président, commença Ingrid d’une voix calme, la BMRA pourrait diffuser de fausses informations sur des cibles prioritaires, comme des attaques supposées dans les quartiers pauvres où se terrent les variants. Cela nous permettrait de faire d’une pierre deux coups : confondre le traître et purger ces zones. Les maires nous en seraient reconnaissants.
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L’idée est intéressante, dit Christian, esquissant un sourire sibyllin. Qu’en dites-vous, sénateur McBlock ?
McBlock, qui fixait depuis le début le décolleté de Miss Wood, cligna des yeux et se redressa, un sourire lubrique sur les lèvres.
-
Je dois dire que Miss Wood a de la suite dans les idées. J’apprécie sa finesse. Si cela vous permet de dénicher une taupe, je pourrais utiliser mes contacts auprès des maires et gouverneurs que je connais. Bien entendu, cela implique que l’agence soutienne ma candidature aux prochaines élections présidentielles.
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À condition, James, que la BMRA et mes conditions soient respectées en totalité, répliqua Christian d’un ton sec. William, votre avis ?
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Nous pourrions renforcer la sécurité informatique et laisser les intelligences artificielles analyser en profondeur toutes les communications internes et externes, répondit William, martial. Je travaillerai avec Miss Lefer pour mettre cela en place. En cas de doute, nous mènerons des interrogatoires ciblés et prendrons les mesures nécessaires.
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C’est pertinent, concéda Christian. Mais comment expliquez-vous l’attaque que nous avons subie au centre pénitentiaire d’Atlanta ? Un variant de haute valeur a réussi à s’échapper, malgré son état critique. Expliquez-moi cela.
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Cela renforce votre hypothèse, monsieur le Président…, répondit William, mal à l’aise. Cependant, nous avons capturé quatre fugitifs recherchés depuis plusieurs semaines. Nos services, ainsi que le docteur Crane, tentent actuellement de leur extorquer des informations utiles.
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En effet, confirma Solomon, hochant la tête distraitement. Son esprit semblait déjà réclamer une nouvelle dose d’alcool.
Christian reporta son attention sur l’écran, où l’on voyait les deux renégats tirer sans relâche dans la foule de Los Angeles. Il les connaissait bien : reconditionnés grâce aux travaux de Solomon. Le sort des civils tués lui importait peu. Ce qu’il voulait savoir, c’était contre qui ces renégats se battaient. Mais les caméras étaient trop éloignées pour identifier clairement leurs opposants. Il détourna alors son regard vers le sénateur McBlock.
-
Sénateur, où en sommes-nous concernant le vote de la loi sur la stérilisation et l’enlèvement des enfants de variants à leurs parents ? demanda Christian, sa voix résonnant dans la salle comme un couperet.
Le sénateur se redressa, un rictus de mépris crispant ses lèvres.
-
Je suis forcé de reconnaître que nous sommes toujours dans l’impasse à cause de ces fichus fédéralistes, grogna-t-il. Ils jugent cette loi contraire à la Constitution. Ces maudits démocrates progressistes ! Ils ont ruiné notre pays ! Mais il faut bien admettre qu’ils sont d’excellents orateurs. Leur poison de bienveillance et de “vivre-ensemble” se propage jusque dans nos rangs. Ils briguent toujours plus de sièges à la Chambre des représentants, tandis que nous tenons encore le Sénat d’une main de fer. Les débats sont tendus, et leur commission d’enquête entrave certains de nos projets communs avec la BMRA.
Christian esquissa un sourire glacé.
-
Dans ce cas, nous ferons pencher la balance en notre faveur. Vous m’apporterez votre expertise sur ce point, sénateur. Je suis déjà convaincu de la satisfaction que nous éprouverons lorsque ces mesures seront en place. Elles permettront de s’assurer que les femmes variants ne se reproduisent plus en toute impunité. Il faut les affaiblir, les réduire en nombre. D’après les études du docteur Crane, soixante-dix pour cent des variants naissent d’un parent mutant. Tant qu’ils se reproduisent sans crainte, ils conservent l’espoir. Et l’espoir, sénateur, est une arme que nous devons leur retirer. Cette loi nous permettra aussi de retirer leurs enfants en fonction de leur potentiel mutation, et de les utiliser selon leurs capacités.
Solomon Crane hocha la tête, un éclat carnassier dans ses yeux injectés de sang.
-
Merveilleux… Cela nous évitera de nous soucier des avortements forcés tout en réduisant la population de cette… sous-espèce.
William se racla la gorge, retenant mal son impatience.
-
Monsieur le Président, puis-je vous parler du projet que Miss Lefer et moi avons développé sur la localisation en temps réel des variants ?
Christian tourna vers lui un regard impassible.
-
Impressionnez-moi.
-
J’ai…
Yasmine toussa sèchement, coupant la phrase. Elle lança à William un regard assassin.
-
Nous avons pensé, reprit-il, se corrigeant, que tous les mutants devraient être identifiés grâce à une puce unique, infalsifiable, surveillée en temps réel.
-
Si je peux me permettre, intervint Yasmine d’une voix tranchante, le plus important n’est pas seulement de les suivre, mais de les reconnaître visuellement. Une marque impossible à falsifier pourrait être greffée sur leur main dominante. Ou mieux encore, une puce implantée directement dans le cerveau, impossible à retirer sans provoquer des dommages irréversibles, voire la mort. Avec un tel dispositif, nous pourrions même décider à distance qui vit et qui meurt. Ce serait le nec plus ultra du contrôle anti-variants.
Un silence glaçant suivit. Christian ferma les yeux un instant, avant de répondre d’une voix douce et terrible.
-
Une main, ça se coupe trop facilement. Je préfère l’option de la puce dans le cerveau. Vous avez bien travaillé. Nous l’intégrerons à la prochaine loi. C’est ce que j’attends de mes collaborateurs, ajouta-t-il en balayant la salle du regard. Des idées innovantes… pertinentes.
Puis il se tourna vers Solomon Crane, dont le sourire s’étirait déjà jusqu’aux tempes.
-
Docteur, où en êtes-vous de vos travaux sur le “groupe V” ?
Le médecin esquissa un sourire énigmatique, son visage marqué par la soif d’alcool et de pouvoir.
-
Vous voyez à l’écran les résultats des expériences “V” Vrykolakas. Après injection du vaccin bloquant NVD9O3, tous les variants testés ont développé de graves effets secondaires. Ils ne peuvent plus se déplacer sous les UV, ni s’exposer longtemps à la chaleur ou à la lumière. En revanche, ils restent contrôlables à distance via les puces à impulsion. Cet effet est temporaire et leur portée reste limitée, mais… ils deviennent extrêmement dangereux lorsqu’ils se sentent menacés ou privés de nourriture. Tous développent un comportement cannibale. Nous avons décidé de les tester en conditions réelles. Le danger pour la population civile reste minime. Si des personnes croisent leur chemin, nous estimons les pertes acceptables. Nous imposerons des quarantaines strictes et testerons la contagiosité sur les humains… et sur d’autres variants. J’ai de grands espoirs pour ces résultats. Nous pourrions créer des unités d’intervention dociles, facilement remplaçables, améliorées au fil des tests et de l’évolution du virus.
Christian contempla l’écran, où un spécimen déchiquetait un morceau de chair humaine. Son regard, noir et insondable, ne trahissait aucune émotion.
-
Et la presse ? demanda-t-il, d’une voix lasse.
-
Nous dirons qu’il s’agit d’un accident ou d’une attaque de mutants hostiles. Les gens y croiront, répondit Solomon, haussant les épaules.
-
Je m’en occuperai, ajouta Stanley, notant rapidement l’information. La communication sera sans faille.
Christian acquiesça lentement.
-
Mes félicitations, professeur. Vous êtes parvenu à créer une nouvelle espèce…
-
Merci, monsieur le Président, répondit Solomon, tremblant d’excitation.
-
Tenez-moi informé des risques de pandémie. Nos actionnaires paieront cher un antidote.
-
Pour l’instant… il n’existe pas d’antidote, admit Solomon, nerveux. Il me faudra du temps pour développer un remède, si tenté que cela fonctionne.
Christian esquissa un sourire.
-
Faites-le. Nous en aurons peut-être besoin si certains décident de nous tenir tête.
Puis son regard se posa sur Miss Lefer.
-
Yasmine, avez-vous eu des nouvelles de notre “contact” et de mon affaire privée ?
-
Toujours en cours d’investigation, monsieur. Je vous tiendrai informé dès que j’aurai plus de détails.
D’un simple geste, Christian leva la séance. Les conseillers se levèrent précipitamment et quittèrent la pièce, laissant Christian seul avec Ingrid. Elle se tenait derrière lui, le menton légèrement levé, un sourire satisfait flottant sur ses lèvres.
Les avancées scientifiques et politiques étaient prometteuses. Mais une autre priorité l’obsédait désormais : retrouver cet espion qui osait encore défier la BMRA.

Sarah

Illyria

Andras

HOPE
Année 2116 | 16 novembre, 11 h 40 – Site Alpha, Santa Monica, Los Angeles - Californie
Illyria n’était pas ressortie indemne de son entrevue avec Jane. Plus que tout, elle désirait revoir son fils vivant. Peu importaient le passé, les divergences ou les années perdues. Un pressentiment désagréable s’était niché dans son ventre et refusait de la quitter. S’il fallait abandonner Europa, divorcer de Patrick et s’installer à Los Angeles, la dernière comtesse déchue de Roselys était prête à sacrifier sa vie entière. Ni l’opinion de Jane, ni celle de son époux n’avaient plus la moindre importance.
Elle s’était mariée à Patrick de Cissey dans l’espoir qu’il serait un homme aimant, une figure paternelle pour Lucas. Mais il avait révélé sa véritable nature trop tard, une fois qu’elle s’était déjà piégée dans un mariage devenu prison. Patrick n’avait fait qu’attiser les disputes et exacerber les tensions, ruinant le fragile équilibre qu’elle s’efforçait de maintenir.
Déterminée, Illyria marcha jusqu’au bureau où se trouvait Sarah et frappa à la porte, hésitante. Une jeune femme aux cheveux cendrés lui ouvrit, le regard froid, dépourvu d’émotion. Illyria remarqua immédiatement l’œil blanc, voilé, entouré de cicatrices anciennes et profondes.
-
Vous voulez quoi ? lança Sarah, sa voix chargée de mépris.
-
Hum… C’est Ann Sinclair qui m’envoie vers vous, répondit Illyria, tentant de conserver son calme.
-
Appelez-moi Elektra, je vous prie. Venez, entrez, rétorqua Sarah d’un ton sec.
Illyria pénétra dans la pièce. Simple, spartiate, mais saturée d’équipements informatiques. Des projections holographiques défilaient à une vitesse fulgurante tandis que Sarah manipulait les systèmes, ses doigts s’illuminant parfois d’étincelles bleutées. L’électrokynésie se déployait en elle avec une précision clinique. Illyria observa, fascinée, la jeune femme pirater des réseaux entiers, infiltrant la BMRA lorsque nécessaire. Sans HOPE, toutefois, Sarah semblait devoir fournir un effort démesuré pour briser certaines protections.
-
Je suis Illyria. Excusez-moi d’arriver à l’improviste, dit-elle, gênée.
-
Madame la Comtesse… Veuillez m’excuser, je ne vous avais pas reconnue, répondit Sarah, surprise.
-
Ne vous en faites pas pour ça. Vous pouvez oublier les convenances, ajouta Illyria, esquissant un léger sourire.
-
D’accord. Si madame vous envoie, en quoi puis-je vous être utile ? demanda Sarah en se redressant.
-
Ma « parente » m’a proposé de me joindre à vous jusqu’à ce que Lucas revienne dans votre refuge.
-
Oui, votre fils, le variant 4830… c’est moi qui ai effectué les recherches pour le retrouver. Nous devrions avoir des nouvelles très vite du second groupe. J’ai bon espoir qu’il revienne bientôt, dit-elle, tentant de la rassurer.
-
Merci, répondit Illyria, le cœur serré à l’idée que son fils soit réduit à un simple numéro.
-
Je vais créer une accréditation temporaire pour que vous puissiez rester avec nous, si tel est votre souhait. Mais avant, je dois procéder à quelques vérifications, continua Sarah en se tournant vers son ordinateur.
-
Des vérifications ? répéta Illyria, intriguée.
-
Ce n’est pas contre vous, mais nous avons trop d’ennemis. L’incertitude n’est pas une option ici. Je devrai effectuer un test ADN une fois que vous serez à l’intérieur, et le comparer à celui d’Ann Sinclair et de votre fils, quand il sera là. Vous comprenez ?
Illyria fronça légèrement les sourcils. Elle ne comprenait pas immédiatement pourquoi elle devait prouver son lien avec Jane et Lucas, mais l’argument de Sarah tenait la route. Elle hocha simplement la tête, préférant ne pas répondre.
Sarah l’observa en silence. Illyria paraissait si jeune malgré ses années. Un sourire, rare, apparut sur les lèvres de la hackeuse, un effort visible pour témoigner d’un semblant de bienveillance.
Puis elle se détourna et commença à encoder la demande d’accréditation temporaire auprès de HOPE. C’était une exception. Seuls les membres officiels avaient le droit de résider ici, et Jane avait toujours veillé à garder un contrôle absolu sur cet accès. Cette dérogation ne pouvait signifier qu’une chose : Jane avait besoin d’Illyria.
Sarah referma son ordinateur, attrapa son sac, posa son casque en réalité augmentée sur la tête et fit signe à Illyria de la suivre. Rester plus longtemps dans le bâtiment de la BMRA était suicidaire. Elles étaient des proies faciles ici.
Illyria sursauta lorsqu’elle vit Sarah poser ses mains sur l’ordinateur. Une onde électromagnétique parcourut la machine, grillant instantanément circuits et mémoire. Une odeur de métal brûlé emplit la pièce.
Mais avant qu’elles ne puissent quitter le bureau, un robot-gardien apparut soudainement à l’entrée, son œil rouge clignotant d’alerte. Sa voix mécanique énonça les règles de protection du matériel, chaque mot vibrant dans la poitrine d’Illyria.
Sarah réagit sans la moindre hésitation. Elle posa ses paumes sur la tête de l’automate. Une décharge bleue jaillit, et le robot s’écroula sur le sol, inerte.
-
Suivez-moi. Et si je vous dis de courir, ne vous retournez pas, ordonna-t-elle calmement, son regard rivé sur Illyria.
-
Entendu, murmura Illyria, encore tremblante.
La tension monta d’un cran. Les couloirs semblaient interminables, chaque bruit résonnait comme une menace. Sarah avançait d’un pas rapide et assuré, vêtue de noir, ses lunettes de réalité augmentée dissimulant la cicatrice de son œil droit. Derrière elle, Illyria peinait à suivre. Ses cheveux blonds s’échappaient de son foulard, exposant son visage, la rendant vulnérable.
Elles atteignirent enfin l’ascenseur, qui les mena au parking souterrain. Sarah se dirigea vers sa voiture, un véhicule cabossé et usé par les années, choisi pour passer inaperçu. Tandis qu’elle démarrait, ses lunettes guidaient chacun de ses gestes.
Illyria la fixait en silence, fascinée. Cette jeune femme était un mystère, un orage prêt à se déchaîner. Son regard s’attarda sur un bracelet discret à son poignet, un simple ruban noir, usé par le temps. Certainement un souvenir.
Et tandis que la voiture s’éloignait du parking, Illyria sentit que la vie qu’elle avait connue s’effondrait. Mais pour Lucas, elle était prête à tout abandonner. Même son titre. Même son nom.
-
Puis-je vous poser une question Elektra ?
-
Bien sûr, répondit Sarah sans lever les yeux de la route.
-
Vous êtes-vous déjà rendue dans l’Empire Europa ?
-
Non. Je n’en ai jamais eu l’opportunité, et à vrai dire, je préfère éviter ce pays hostile aux variants. J’ai toutefois apprécié l'histoire de France et le néo-français, une langue plus complexe que je ne l’imaginais. Si vous le souhaitez, je peux parler en français.
Illyria dessina un léger rictus sur son visage.
-
Non, ça ira. J’aime le néo-anglais. Cela me rappelle mon défunt mari, répondit Illyria, la voix légèrement voilée par l’émotion. Vous avez raison, trop de pays deviennent hostiles aux variants. Lorsque je suis arrivée en Fédération Unie, j’ai réalisé à quel point ce pays, autrefois terre d’asile, rattrapait son retard en matière de discrimination.
-
Rien ne va s’arranger si l’on en croit l’évolution des choses, madame. L’extrémisme se nourrit toujours des véritables problèmes pour justifier la haine et l’exclusion.
-
Je le déplore, admit Illyria, tristement.
Sarah dirigea son visage vers Illyria, intriguée.
-
Sauf votre respect, pourquoi me demander si j’ai déjà visité Europa ?
-
Simple curiosité. Vous semblez si respectueuse de l’étiquette impériale, répondit Illyria avec un léger sourire. Vous savez, les voyages touristiques entre continents sont devenus rapides, mais tellement coûteux… Et la plupart des pays refusent désormais toute immigration. Seule la Fédération Unie avait conservé ce statut de terre d’asile… jusqu’à récemment.
Elles échangèrent quelques banalités alors que la voiture filait en direction de Santa Monica. À leur arrivée, HOPE scanna immédiatement les deux occupantes avant d’ouvrir le portail. Sarah leva les yeux, remarquant la présence d’Héliosis sur le toit.
Héliosis, un engin volant sans pales ni hélices, silhouette silencieuse et lisse, utilisait une technologie de pointe conçue par un ingénieur de génie. Sa présence signifiait qu’un résident était revenu, seul ou avec le groupe.
Sarah inséra son badge dans la fente prévue, déverrouillant la porte. Elles pénétrèrent dans un vaste hall au sol de marbre blanc, d’où s’élevait un bruit étrange venant de la salle Enigma. Elles s’approchèrent et aperçurent un homme, grand, tirant un objet lourd sur le sol, ressemblant à un sac. Il marmonnait des mots dans une langue inconnue, probablement du néo-russe, dialecte de la Novoya Russia.
Sans leur prêter attention, il continua son chemin jusqu’à ce que la porte se referme, les laissant dans un silence tendu. HOPE apparut alors sous forme holographique, son visage bleuté flottant devant Illyria avec une expression joviale programmée.
-
Bonjour et bienvenue, Madame de Roselys. Je suis HOPE, l’intelligence artificielle de ce complexe. Je peux vous servir de guide et vous assister durant votre séjour.
-
Oh… merci pour votre sollicitude, sursauta Illyria.
-
Je dénote une pointe de surprise dans votre voix. Vous aurais-je causé du tort en apparaissant ainsi ?
-
Non, je vous assure… Peut-être un peu, mais vous êtes très courtoise. Je n’hésiterai pas à vous demander de l’aide si nécessaire.
-
HOPE, intervint Sarah, situation ?
-
Andras est rentré de mission. À toi de valider la transaction sécurisée pour son paiement.
Illyria nota la crispation de Sarah. Elle ne cachait pas son mépris pour cet Andras.
-
Où sont les autres ? demanda-t-elle d’une voix lasse.
-
Madame Roselys est en ville pour recruter un médecin et généticien. Sidonie, Hannah et Martha sont parties en mission temporelle pour retrouver le fils de notre hôte.
-
Un paiement, un médecin… et une mission temporelle ? répéta Illyria, déconcertée.
Sarah se tourna vers elle, l’air légèrement amusé.
-
Andras est un membre de notre équipe. Pirate informatique, mercenaire, hacker… Beaucoup de noms pour un seul homme. Il porte toujours un masque blanc et cache son identité. Personnellement, je le trouve fou et probablement névrosé, cracha-t-elle.
-
Merci pour vos explications. Je ferai attention si je le croise, répliqua Illyria, circonspecte.
-
Madame, sans vouloir vous brusquer, je vais maintenant procéder à votre test ADN. Vous pourrez ensuite vous reposer jusqu’au retour de Madame Jane ou du groupe. Suivez-moi.
Illyria la suivit à travers le hall, impressionnée par la propreté immaculée et l’agencement méthodique du complexe. Des robots de nettoyage se déplaçaient silencieusement, vérifiant chaque surface et chaque recoin. HOPE pilotait chacun d’eux sans la moindre erreur.
Elle sentit un bref soulagement en réalisant que Jane dirigeait une équipe capable de tenir tête à la BMRA. Elles entrèrent dans un laboratoire moderne situé en face de la salle Enigma. HOPE réapparut, flottant à leurs côtés.
-
Prenez place et détendez-vous, madame. Je n’ai détecté aucun implant ni mouchard. Pourriez-vous me préciser vos capacités pour mise à jour dans notre base de données ?
-
Est-ce vraiment nécessaire ? demanda Illyria, méfiante.
-
Vous êtes libre de ne pas répondre, madame, répondit HOPE, courtoise.
Illyria soupira.
-
Cela fait longtemps que je n’utilise plus mon don. Je peux figer la matière, la rendre immobile un court instant.
-
Je vous remercie pour ces précisions, madame, répondit HOPE.
-
C’est impressionnant, ajouta Sarah, sincèrement admirative.
-
Vous semblez également très puissante, Elektra, quand nous avons fait face à ce robot-gardien dans la tour.
-
Je n'ai fait que mon devoir, réplique Sarah.
La jeune femme se rendit compte qu'Illyria réfléchissait avec une expression mélancolique.
-
Veuillez m’excuser. Je suis un peu stressée par tous ces événements. Revoir Lucas me réjouit, mais cela me rend également très nerveuse.
Pour la première fois, Sarah lui adressa un regard compréhensif et compatissant.
-
Gardez espoir. C’est la seule chose qu’il nous reste, répondit-elle d’une voix étrangement douce.
Elle s’approcha alors avec un stylo équipé d’une fine aiguille. Illyria retroussa sa manche, ressentit la piqûre au creux de son bras gauche, puis la légère pression du coton et du sparadrap appliqués par Sarah.
Illyria ferma les yeux, se laissant envahir par un seul mot : Lucas.
En sortant du laboratoire pour retrouver la lumière du jour et la propreté presque clinique de la maison, Illyria s’arrêta net. L’homme aperçu plus tôt se tenait devant elle. Son masque blanc, décoré d’un symbole bleu stylisé du vent autour de l’œil gauche, lui glaça immédiatement le sang. Elle eut l’impression de voir un spectre venu l’emporter au Purgatoire.
Prise de panique, elle réagit par pur instinct et figea Andras en dirigeant ses mains dans sa direction. Durant ces brefs instants où il se transforma en statue de cire, elle l’observa avec une fascination glacée. Ses longs cheveux blond vénitien accentuaient son aura dérangeante, celle d’un être à la fois magnétique et insaisissable. Sa carrure large et élancée trahissait un corps sculpté par des années de discipline martiale et de musculation.
Elle détailla son apparence : un pull rouge sombre sous une veste de cuir brun élimée, des gants cloutés recouvrant ses mains. Avant d’être figé, Andras avait posé sa main droite sur le côté de sa ceinture, prêt à dégainer son arme.
Mais ce qui la terrifia le plus, ce furent ses yeux. Deux iris turquoise perçants, dénués de toute chaleur, qui semblaient sonder l’âme de quiconque croisait leur regard. Illyria ressentit un sentiment étrange, une impression lointaine et fugace d'un passé oublié. HOPE, sous sa forme holographique, observa la scène en silence, enregistrant chaque donnée avec précision.
Une curiosité irrépressible brûla Illyria : retirer ce masque, connaître la véritable expression de cet homme énigmatique. Mais elle chassa aussitôt cette pensée. Si elle devait un jour connaître l’identité d’Andras, ce serait par la confiance, et non en usant de son don pour le contraindre. Elle utilisa toutefois le peu de temps qu’il lui restait pour lui subtiliser son arme et la garder fermement en main.
L’immobilisation moléculaire prit fin, et Illyria reprit la conversation comme si rien ne s’était passé.
-
Oh, pardonnez-moi… Je ne vous avais pas vu, murmura-t-elle, feignant la surprise malgré son cœur affolé.
Andras resta parfaitement immobile. Ses yeux se posèrent sur son étui vide, puis sur la main d'Illyria maintenant son arme dissimulée derrière son dos. Son masque blanc s’anima d’un rictus presque imperceptible.
-
Qu’avez-vous fait ? demanda-t-il, sa voix grave teintée d’un léger accent d’Europe de l’Est.
Elle inspira profondément et leva l’arme à hauteur de poitrine.
-
Je préfère éviter les surprises, monsieur Visarin. Pardonnez-moi de vous avoir immobilisé durant quelques secondes. Pouvez-vous me promettre de ne pas me tuer si je vous la rends ? demanda-t-elle, sa voix voilée par un calme forcé.
Un éclat d’amusement traversa les yeux turquoise d’Andras. HOPE l’avait déjà informé de l’arrivée d’Illyria Roselys, la descendante directe de Jane. Pour lui, tout cela n’était qu’un jeu. Il s’avança et reprit son arme avec lenteur, la replaçant à sa ceinture, avant de froncer les sourcils sous son masque et de fixer Illyria en coin.
-
J'accepte vos excuses, madame Roselys.
Illyria resta interdite. Ce masque, ces yeux océan, ces cheveux de blé… Elle y lisait chaque micro-expression, chaque imperceptible tressaillement qui trahissait un être profondément conscient de son image. Andras détourna le regard et perçut aussitôt la gêne de la descendante de Jane.
-
Vous vous demandez certainement qui se cache derrière ce masque blanc… où seuls mes yeux laissent entrevoir le peu d’âme qu’il me reste, murmura-t-il. L’anonymat est un luxe, dans ce monde dévoré par le chaos. Un monde où la liberté et la raison se sont éteintes, où les puissants écrasent et détruisent chaque jour des vies sans la moindre hésitation. J’ai vu des horreurs, sur Internet, sur le terrain… Des choses que même votre vaillance ne supporterait pas.
Il marqua un silence avant de poursuivre, sa voix se faisant presque douce :
-
Je ne suis qu’un aigle, vous savez. Un aigle solitaire, planant au-dessus d’un océan de persécution… où variants et humains se noient sans fin.
Il retira lentement sa main de sa ceinture, relâchant sa garde. Illyria, elle, demeura figée, bouleversée par ces paroles inattendues.
-
Pardonnez-moi en retour, conclut-il, baissant les yeux. Je n’ai aucune rose à vous offrir aujourd’hui.
-
Une rose ? répéta-t-elle, déroutée.
Sarah arriva à ce moment précis, soupirant face à la mascarade d’Andras lorsqu’il rencontrait une femme. Elle s’adossa au mur, près d’Illyria, croisant les bras, visiblement agacée.
-
Notre Andras offre une rose à toutes les femmes qu’il croise à HOPE…, lança-t-elle avec sarcasme.
-
Tiens, Sarah… remarqua Andras d’un ton détaché, presque amusé. Celle avec qui j’entretiens de passionnants débats informatiques. Je me souviens du temps où je t’ai offert une rose, car je respecte toutes les femmes, qu’importe leur âge, leur apparence ou leur passé. Mais toi… consumée par l’amertume et la médisance, tu n’as eu d’autre dessein que de détruire la fleur que je t’avais offerte.
Il marqua une pause. Son regard turquoise glacé transperça Sarah avant de se détourner.
-
Enfin, ne ressassons pas le passé. Certaines choses doivent y rester, n’est-ce pas, madame de Roselys ? ajouta-t-il d’un ton énigmatique.
-
Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle, surprise par cette question inattendue.
-
Quand cesseras-tu tes énigmes malsaines, Andras ? soupira Sarah.
La jeune femme le fusilla du regard. Il reprit, sa voix se faisant soudain glaciale :
-
Avant que les choses ne tournent mal, assure-toi d’effectuer mon paiement pour mes services.
-
Ne t’inquiète pas pour ton argent, tu l’auras, répliqua sèchement Sarah, avant de tourner les talons et de s’éloigner en trombe.
Sans ajouter un mot, Andras pivota et avança vers la lumière filtrant du grand salon. Il retira sa veste, la déposa sur le dossier d’un canapé, puis s’y assit. Ses mains croisées reposaient sur ses genoux. Il ne bougea plus, telle une statue de granit aux yeux brûlants.
Illyria ne pouvait le quitter du regard. Malgré sa stature athlétique et l’arsenal qu’il portait sur lui, il possédait des manières impeccables, tel un chevalier sombre arraché à d’antiques légendes. Aux yeux d’Illyria, il n’était qu’un mercenaire masqué aux allures de prédateur, son ombre semblant engloutir l’espace autour de lui. Le masque, seul, captait la lumière et la renvoyait sous forme de doutes et de mystère, si dense que personne ne pouvait le percer.
Un silence lourd s’installa. Mal à l’aise, Illyria se détourna et se dirigea vers l’une des grandes baies vitrées donnant sur la pelouse immaculée. Derrière elle, Andras détaillait sa silhouette gracieuse, le regard voilé d’une curiosité prédatrice.
-
Que me vaut le plaisir de contempler une femme aussi distinguée que vous à HOPE ?
-
Jane m’a invitée temporairement dans votre refuge pour que je puisse revoir mon fils, répondit-elle en se retournant, sans relever la flatterie.
-
Votre fils ? s’étonna-t-il.
-
Oui. J’ai un fils unique, vingt-huit ans, quelque part dans ce pays. Vous le connaîtrez certainement… Jane souhaite qu’il participe à votre projet contre la BMRA.
Andras connaissait déjà ces informations. Mais pour lui, tout interrogatoire déguisé en conversation était un jeu. Une manière de décompresser après une mission où la mort avait une fois de plus frôlé son ombre. Il esquissa un sourire, mimé à la perfection par le masque blanc.
-
J’espère que votre progéniture dispose du courage et de l’audace nécessaires pour lutter contre cette agence.
-
Lucas n’est pas un soldat, monsieur Visarin. Je ne doute pas de ses capacités ni de son courage. Je suis seulement préoccupée, comme toute mère, à ce qu’il ne lui arrive rien.
-
Une naïveté de mère, qui promet que tout ira bien. Si j’avais un cœur, cela pourrait m’attendrir quelques instants. Ne vous bercez pas d’illusions, madame Roselys. Votre fils connaîtra le labeur, la guerre, la perte. Comme nous tous ici. C’est pour cela que je porte ce masque. Pour m’effacer… et échapper à ces sentiments futiles qui rendent faible.
Illyria soutint son regard turquoise sans vaciller. Son port demeurait fier et digne, hérité de son rang d’ancienne comtesse de Roselys. Elle parlait avec calme, mais sa voix vibrait d’une force tranquille.
-
Que connaissez-vous des sentiments d’une mère pour son enfant ? En avez-vous seulement, monsieur ?
-
Intéressant… comment les gens perdent leur sang-froid lorsqu’on frappe là où ça fait mal. Non, je n’ai pas d’enfant. Et je n’en aurai jamais. Je suis néanmoins stupéfait de voir qu’une comtesse impériale déchue puisse ressentir quoi que ce soit… Votre Empire a causé des millions de morts. L’Empereur… maudit soit-il… est la pire des abominations, répliqua-t-il, sa voix chargée d’une haine sourde.
Illyria fronça les sourcils, piquée par ce jugement brutal.
-
La guerre a frappé le monde entier, répondit-elle, glaciale. Je n’excuse pas les crimes de l’Empire. Toute violence me répugne, surtout lorsqu’elle entraîne l’extermination de populations entières pour des raisons absurdes. Je ne m’excuserai pas d’être une comtesse d’origine française. Ni d’être née variante dans ce pays. Ne jugez pas si facilement. Vous feriez le jeu de la BMRA et de tous ceux qui rejettent les variants. Ce n’est pas en cherchant des coupables que nous avancerons, mais en trouvant des solutions pour sortir de ce désespoir.
Andras éclata soudain d’un rire amer, bref et tranchant. Un rire presque moqueur, mais Illyria perçut, l’espace d’une seconde, l’ombre d’une douleur ancienne et d’une colère contenue. Comme si derrière ce masque et ces sarcasmes se cachait un homme brisé par d’innombrables tragédies.
-
Non, Illyria Roselys… vous ne savez rien. Vous n’avez pas connu la guerre. Le vrai désespoir… vous ne l’avez jamais ressenti.
-
Je ne suis pas d’accord, répliqua-t-elle d’une voix calme et ferme. Le désespoir, nous y sommes tous confrontés, d’une manière ou d’une autre. Et c’est justement parce qu’il existe… que je crois encore en l’espoir. Je veux retrouver mon fils.
-
C’est donc pour cela que vous avez fait tout ce chemin… juste pour le revoir ?
-
C’est ce que ferait n’importe quelle mère.
-
Non… pas toutes.
-
Il est préférable que nous écourtions ce débat, monsieur Visarin, trancha-t-elle, la voix vibrante d’une colère glacée.
Illyria se contint. Les mots d’Andras la dérangeaient, car ils contenaient une vérité qu’elle refusait d’admettre. Heureusement, Sarah réapparut à cet instant, tenant un feuillet numérique.
-
Voici ton paiement, Andras, dit-elle, brisant la tension.
-
Merci, se contenta-t-il de répondre. HOPE… où sont les autres ?
La voix de l’intelligence artificielle résonna, claire et posée :
-
Madame Jane, Hiro et Walter sont actuellement en ville. Sidonie, Martha et Hannah sont parties pour le site Beta.
-
Ma belle petite colombe… murmura-t-il à peine.
Illyria et Sarah échangèrent un regard, surprises par cet instant de douceur inattendue. Mais déjà, Andras reprenait son masque d’austérité.
-
Veuillez m’excuser, mesdames, il me faut vous quitter.
Andras gravit les escaliers, jetant un dernier regard vers Illyria. Son masque refléta la lumière d’un halo froid avant de disparaître à l’étage. Il laissait derrière lui une atmosphère lourde et épaisse, comme si sa simple présence modifiait l’air ambiant.
Illyria, troublée, réalisa alors à quel point cet homme était l’exact opposé de Lucas. Tous deux étaient jeunes, mais Andras semblait forgé dans l’acier, là où son fils conservait la douceur et l’humanité de son père disparu. Elle comprit qu’une cohabitation serait difficile. Très difficile.
Sarah revint près d’Illyria, consciente que l’échange avait dû être éprouvant.
-
Je vais vous montrer la chambre que vous partagerez avec votre fils. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, HOPE est à votre disposition. Il vous suffit de l’appeler.
Illyria la suivit en silence, puis s’arrêta, tourmentée par une question.
-
Sarah… que pensez-vous de cet homme… si insolent ? J’ai perçu une forte animosité entre vous.
-
Andras ? Ce n’est qu’un idiot. Un fou à lier. Il est utile uniquement parce qu’il pilote Héliosis pour nos missions lointaines, et… parce qu’il sait tuer ceux dont nous devons nous débarrasser.
-
Un véritable tueur, donc, reconnut Illyria avec un frisson. Comment Jane a-t-elle pu accepter une telle chose…
-
J’ai bien senti que vos points de vue divergeaient.
Illyria soupira. Son regard se perdit dans un vague lointain, assombri par un voile de tristesse.
-
Ce genre de discussions futiles engendre la guerre et la violence. Tant de vies perdues simplement parce que les gens refusent de faire un pas vers l’autre… Plutôt que de chercher des compromis, ils choisissent la haine. Lorsque j’étais comtesse, j’ai tout fait pour apaiser les tensions avec la République Allemande Unifiée. Mais… il y a des blessures qui ne guérissent jamais, des actes impardonnables. Et notre Empereur… a commis tant de crimes. Mes idées progressistes pour défendre les variants m’ont attiré bien des ennuis.
Sarah hocha la tête, silencieuse, manifestant une compréhension sincère. Elle ne chercha pas à poursuivre la conversation et se contenta de guider Illyria jusqu’aux escaliers. À l’étage, elle ouvrit la porte d’une chambre sobre, fonctionnelle, comme toutes celles de HOPE.
Illyria entra, posa sa veste et son sac sur un fauteuil. Une inquiétude profonde la rongeait, sans qu’elle puisse la nommer. Elle savait qu’elle ne pouvait en parler ni à Sarah, ni à Andras, à qui elle n’accordait aucune confiance. Elle se rendit dans la salle de bain attenante pour se rafraîchir le visage, puis s’assit sur le lit, tentant de rassembler ses pensées.
-
HOPE ?
-
Chargement en cours… Que désirez-vous, madame ?
-
Est-il possible que je contacte Jane, s’il vous plait ?
-
Appel en cours… Désolée, Madame Jane ne répond pas.
Illyria fronça les sourcils.
-
Étrange… Puis-je lui envoyer un message écrit ou… pouvez-vous lui transmettre un enregistrement sécurisé ?
-
Cela semble important. Puis-je peut-être vous aider ?
-
Avez-vous des informations sur l’Église d’Asmodée ?
-
D’après mes résultats, l’Église d’Asmodée – ou de Sydonai – était une secte europiste dissoute en 2104. Elle prônait l’éradication des humains, mais également celle des variants pacifistes. Elle a orchestré plusieurs attentats afin d’attiser la haine et provoquer des conflits communautaires. Son gourou n’a jamais été retrouvé et reste recherché par la police impériale. Souhaitez-vous une description plus précise ?
-
Non… Je veux simplement contacter Jane, ordonna Illyria, la voix tremblante sous le poids de souvenirs douloureux. Elle se souvenait encore des horreurs perpétrées par cette secte… comme si c’était hier.
-
À votre signal, l’enregistrement commencera.
Pendant ce temps, Sarah travaillait dans la salle de contrôle. Concentrée, elle analysait les données d’Illyria Roselys dans la base sécurisée de HOPE. Les pièces du puzzle s’assemblaient peu à peu, et elle comprit qu’elle devait en informer Jane dès son retour. Plongée dans son écran, elle sursauta en entendant des pas derrière elle.
Elle se retourna et vit Andras, silencieux, l’observant de son regard turquoise glacé.
Avant qu’ils n’aient pu échanger un mot, HOPE apparut soudain, son hologramme passant du bleu au rouge. La voix synthétique résonna, tranchante.
-
Protocole d’urgence Héliosis activé. Andras, vous êtes réquisitionné pour une mission prioritaire. Certains résidents sont en danger. Je vous transmettrai les coordonnées de vol une fois que vous aurez décollé.
-
J’y vais ! répondit-il sans perdre une seconde.
Andras pivota et quitta la pièce d’un pas vif. Sarah le suivit du regard tandis qu’il montait quatre à quatre l’escalier menant au toit. Quelques instants plus tard, Héliosis décolla dans un vrombissement à peine audible, fendant l’air en direction du centre de Los Angeles.
-
Que se passe-t-il, HOPE ? demanda Sarah, inquiète, en affichant sur ses écrans les données médicales des variants. Les signaux de Sidonie, Hannah et Martha étaient absents, toujours coincées dans la boucle temporelle. Mais quelque chose… clochait.
Et pour la première fois depuis longtemps, elle ressentit un vertige face à ce qu’elle découvrait.


