top of page
Hannah Galaway

Chapitre 4 : « Temps, héritage et ADN »

Année 2116 | 16 novembre – 08h30, Site Alpha, Santa Monica, Los Angeles - Californie

Lorsqu'elle se réveilla un jour plus tard de son évanouissement, Sidonie aperçut la rose laissée par Andras sur sa table de chevet. Elle n’obtint aucune réponse de l’intelligence artificielle quant à la raison de cette offrande. Pourtant, elle appréciait les roses. Lorsqu'ils étaient encore ensemble, Kahlan lui en offrait autant qu’il le pouvait. 

La simple fleur offerte par Andras plongea Sidonie dans un torrent d’émotions contradictoires. Pouvait-elle faire pleinement confiance à cet homme masqué au charme étrange, mais aussi dangereux que la Mort elle-même ? Hannah ne manquerait pas de lui rappeler qu’on ne faisait jamais confiance à Andras Visarin sans en payer le prix.

Malgré son réveil assez rapide, il lui fallut près de deux semaines pour se remettre sur pied. Le 16 novembre, elle prit une douche, comme un rituel quotidien. Elle ouvrit la porte de sa chambre, vêtue de sa jolie robe rouge à ceinture noire, son pendentif autour du cou et son badge dans la poche. Elle ne remarqua aucun mouvement dans la pièce à vivre, hormis le son de la télévision. Rien non plus dans la cuisine ni dans le jardin derrière les baies vitrées. Était-elle seule à présent ? Elle commença à croire qu’ils étaient tous partis sans la prévenir.

Sidonie se dirigea vers la cuisine pour préparer un petit-déjeuner rapide, sans prêter attention aux images de la télévision holographique qui montraient le générique d’une grande chaîne d’information nationale.

Sidonie Wallorn

Sidonie

Hannah Galaway

Hannah

Martha Moore

Martha

HOPE

HOPE

FedNews

Sur l’écran de la télévision, le visage impeccable de Catherine O’Hara apparut, accompagné du logo FedNews.

« Bonjour à toutes et à tous. Nous commençons en Oregon, où une femme a été tuée et une autre grièvement blessée. La personne décédée serait une variante. »

Un journaliste à l’image confirma avec gravité que la victime était recherchée pour terrorisme. L’Agence de Recherche des Mutations Biologiques, la BMRA, avait rappelé à la population la dangerosité des variants.

Le direct bascula sur un plateau lumineux où Catherine O’Hara interrogea un homme au costume gris anthracite, le sénateur McBlock, chef de file des étatistes.

« Monsieur le sénateur, quel est votre avis sur les méthodes de la BMRA ? »

 

Le politicien esquissa un sourire froid.

« Notre parti a toujours été clair. Nous ne tolérerons jamais que des variants terroristes menacent la sécurité de nos concitoyens. Je ferai voter des lois plus strictes et laisserai l’Agence agir. Ces gens sont un danger. Les fédéralistes se trompent en les soutenant. Ils sont aussi mortifères que ceux qu’ils défendent. »

 

Catherine énonça un sondage à l’écran : 93 % des téléspectateurs étaient favorables à des méthodes plus expéditives contre les mutants rebelles.

Le sénateur poursuivit, implacable :

« Nos citoyens veulent avant tout vivre en sécurité. Nous généraliserons les scanners de détection génétique pour que chacun sache si la personne en face est un variant. C’est déjà noté sur les documents d’identification, comme un casier judiciaire. Et nous pourrions limiter leur accès aux lieux publics si nécessaire. »

Lorsqu’elle lui demanda si, selon lui, tous les variants étaient dangereux, McBlock laissa échapper un rire bref.

« Madame, avez-vous déjà côtoyé ces gens ? La plupart sont infréquentables. Il est temps d’arrêter de croire à l’harmonie universelle. Notre intérêt suprême est la sécurité. Et nous ne sommes pas des monstres, contrairement à ce que disent nos opposants. Nous soutenons la généralisation des géno-bloquants, qui effacent leurs particularités. Grâce à l’Agence et à ses campagnes de géno-blocage, nous pourrons vivre enfin paisiblement, sans peur. »

 

Sidonie écouta le discours de ce politicien avec un profond dégoût. Depuis plusieurs années, les questions sécuritaires prévalaient sur les libertés fondamentales, avec le consentement passif de la population. Elle soupira, songeant que le géno-blocage pourrait peut-être être la solution pour vivre comme tout le monde. Cette pensée s’estompa aussitôt lorsqu’une porte s’ouvrit près des réfrigérateurs, menant apparemment à une cave. Martha et Hannah entrèrent, surprises de trouver Sidonie après tant de jours de silence. Martha affichait un visage fermé à la vue de la jeune femme, tandis qu’Hannah se montrait plus joyeuse.

  • Oh, bonjour Sidonie, dit Hannah avec un sourire.

  • Hum. Bonjour, répondit Sidonie, mal à l'aise, ne sachant quoi dire ou faire.

 

Le silence lourd de Martha accentua son inconfort. Après un bref échange de regards froids, Martha prit la parole, sa voix teintée de reproches :

  • Enfin tu te montres, ce n’est pas trop tôt. Je te signale qu’on a perdu beaucoup de temps pour la mission.

 

Elle s'assit à la table et ouvrit son veston.

  • Allez, ne sois pas trop dure, intervint Hannah. Nous sommes tous passés par ces moments douloureux à notre arrivée.

Le visage de Martha ne masquait plus son mépris envers ses deux interlocutrices.

  • Parle pour toi, Hannah. Il paraît que tu pleurais comme une gamine quand ils t’ont ramenée ici, grommela Martha en se servant un verre d’eau.

  • Tu n’es pas obligée d’être aussi cruelle, Martha.

 

Sidonie, loin de se sentir coupable d’avoir pris du temps pour elle, resta impassible. Jane ne lui en tenait pas rigueur et personne d’autre à HOPE ne semblait lui reprocher son retrait temporaire. Mais elle commençait à se persuader que sa relation avec Martha ne serait jamais simple. En revanche, Hannah pourrait jouer un rôle de médiatrice, son attitude étant beaucoup plus amicale. Il y avait d’ailleurs quelque chose d’intrigant chez la jeune femme blonde, une sensation que Sidonie n’arrivait pas encore à expliquer.

  • C’est vrai, dit finalement Sidonie en fixant Martha. Le temps n’est pas une contrainte pour moi. Mais j’aimerais pouvoir prendre mon petit-déjeuner tranquillement. Nous ferons les choses à ma manière.

Martha sortit de ses gonds.

  • T’es sérieuse ?! J’avais raison Hannah, dit-elle en pointant Sidonie du doigt. Cette folle va nous faire tuer.

  • Martha arrête…, murmura Hannah, tentant de calmer la situation.

HOPE apparut près du petit groupe, tentant de ramener tout le monde au calme.

  • Martha, laissons Sidonie exposer son plan avant de refuser de collaborer avec elle. Je te rappelle qu’il s’agit d’un ordre de Jane.

  • Jane peut se tromper, comme tout le monde, rétorqua Martha, irritée, fusillant Sidonie du regard. J’obéis aux ordres, peut-être, mais je refuse de me lancer dans une mission à l’aveugle qui pourrait échouer. Sidonie s’en va de la maison, revient dans le coma, puis sort soudain avec un plan sans qu’on sache quoi que ce soit, et on devrait attendre qu’elle ait pris son petit-déjeuner ? Je n’y crois pas.

 

Sidonie sentit son énervement grimper en flèche. Elle prit une profonde inspiration, essayant de garder son calme. Elle se préparait à répondre à cette attaque frontale, consciente que ce conflit avec Martha ne serait pas résolu facilement. Hannah voulut intervenir, mais elle savait que tenter de calmer Martha serait futile.

L’atmosphère devint de plus en plus électrique. Sidonie comprenait qu’elle ne gagnerait pas la sympathie de Martha facilement. Elle termina sa tasse de café, saisit une pomme sur le comptoir et s’assit à la table.

  • Tu me prends pour une incapable ? demanda Sidonie, la voix pleine de défi.

  • Oui, et je préférerais ne pas être tuée par une incapable qui obtient facilement des responsabilités, répliqua Martha en se levant et en s’approchant d’elle.

 

Sidonie se redressa, affrontant son regard.

 

  • Ose dire ça à Jane alors. J’ai été embarquée dans cette histoire sans savoir comment ni pourquoi. Je me fiche de tes états d’âme, et je ne recherche en aucun cas ta validation ou ton amitié. Les ordres ont été donnés : nous devons retrouver et ramener Lucas en vie, ici.  

  • Et tu comptes te pointer chez lui et lui demander gentiment de venir ? surenchérit Martha, son sérieux glacial prêt à en découdre.

HOPE nota la détermination et la force dans la voix de Sidonie, comme si ce temps qu’elle s’était accordé lui avait permis de reprendre confiance.

  • Oui, je compte bien lui expliquer, sans mensonges ni artifices. Ta diplomatie est proche de zéro, Martha, excuse-moi de te le dire. Il me fera confiance, j’en suis certaine.

  • Pff, une folle naïve, voilà ce que tu es, répliqua Martha en pointant Sidonie du doigt. Explique-nous ton merveilleux plan, ma petite, vu tout le temps que tu as perdu pour te “reposer”.

Sidonie prit une longue gorgée de son café, appréciant l’amertume sans sucre ni lait, un geste qu’elle considérait comme un sacrilège. Le café, devenu rare dans certains États, restait un de ses plaisirs coupables. Devant elle, Martha se tenait debout, les mains fermement posées sur le dossier d’une chaise.

HOPE observa Sidonie qui se rapprochait de Martha, indifférente à ses provocations depuis plusieurs minutes. Il en fallait plus pour lui faire peur. Seule Hannah se tenait prête à intervenir en cas d’altercation physique.

  • Nous allons revenir dans le passé pour atteindre Seattle et localiser Lucas.

 

Hannah écarquilla les yeux, surprise par l’idée. Martha, quant à elle, demeura impassible comme une tombe.

 

  • On va retourner dans le passé ?

  • Nous allons plutôt revivre les vingt derniers jours pour profiter de ce délai supplémentaire, expliqua Sidonie.

 

La pièce sombra dans un silence lourd. Personne ne semblait saisir l’étendue du pouvoir de la jeune femme.

  • Ça n’a aucun sens, répliqua Martha en fronçant les sourcils, sceptique.

  • Oui, c’est dingue, répliqua Sidonie, agacée, comme de parcourir mille huit cents kilomètres pour chercher une personne qui ne veut pas être retrouvée.

  • Et accélérer le temps, ça ne marche pas ? demanda naïvement Hannah.

 

Sidonie secoua la tête.

 

  • Impossible. Le futur est trop aléatoire à cause de l’infinité de choix qui influencent nos actions. Ça ne nous aiderait pas. Nous devons nous rendre dans un endroit isolé, où nous ne risquons pas d’être aperçues par quiconque. C’est primordial.

 

Martha explosa d'un rire nerveux.

 

  • À l’extérieur ?! Tu te fiches de nous ?! Autant se peindre variant sur le front et se présenter directement devant le siège de la BMRA !

 

Sidonie la fixa, impassible.

  • Non. Si nous faisons ça ici, nous risquons de nous croiser nous-mêmes dans le passé. Cela créerait un paradoxe, et HOPE nous repérerait instantanément. Elle déclencherait l’alerte. Ou pire, imagine que la BMRA soit déjà infiltrée ici… ce serait notre mort assurée. Créer un paradoxe nous plongerait dans le coma si on se croise, et je n’ose pas imaginer ce qui arriverait si on se touche…

  • J’ai noté une fluctuation temporelle non loin du site Bêta, il y a deux semaines, intervint HOPE. Mais vos homologues ont tout fait pour masquer leur identité.

L’atmosphère se chargeait d’une tension palpable. Sidonie savait que ce plan, aussi risqué soit-il, était leur seule chance.

 

Martha n’était visiblement pas convaincue. Son regard, lourd de reproches, exprimait clairement son scepticisme. Elle tira une chaise bruyamment pour s’y asseoir, tandis que Sidonie continuait de couper tranquillement sa pomme en morceaux qu’elle portait à sa bouche.

Finalement, vaincue, Martha se leva brusquement, puis, en utilisant son don de vélocité, quitta la pièce en un éclair, laissant un léger courant d’air derrière elle.

Hannah, toujours immobile, semblait profondément embarrassée par le comportement de sa camarade. Martha, malgré son tempérament difficile, ne pourrait jamais atteindre le degré de froideur et de calcul de Jane.

Sidonie termina sa tasse de café avant que le silence ne soit rompu par Hannah, qui s’excusa doucement.

  • Je suis désolée.

  • Pourquoi ? demanda Sidonie, surprise.

  • Elle est comme ça avec les nouvelles personnes à HOPE, soupira Hannah, visiblement mal à l’aise. Ce n’est rien de personnel. Martha était proche de Drew Carter. Même si elle refuse d’en parler, je crois que ça l’a terriblement affectée. Si tu lui laisses un peu de temps, ça ira peut-être mieux.

  • Oui, HOPE m’a montré le portrait de Drew et des trois autres, acquiesça Sidonie en pensant aux visages qu’elle avait vus. Et je te répète ce que j’ai dit au départ : je me fiche des états d’âme des gens. Nous avons tous perdu des êtres chers.

 

Hannah sembla touchée en repensant à ses anciens camarades disparus.

  • Je me suis toujours demandé pourquoi tu étais si joviale et bienveillante, Hannah ?

 

Un sourire apparut sur son visage, adoucissant son expression. Ses fossettes ressortaient lorsqu’elle souriait, ce qui la rendait encore plus charmante.

  • Ah, c’est mon tempérament optimiste, dit-elle en riant doucement. C’est peut-être ça, ma particularité : être gentille avec les autres, plutôt que de rester dans mon coin à broyer du noir en pensant à mes problèmes ou à ma petite personne. Je le vois comme une qualité.

  • Une qualité bien rare aujourd’hui, répliqua Sidonie en esquissant un mince sourire. Fais juste attention, sinon tu risques de finir déçue par des personnes aux mauvaises intentions.

 

Hannah resta silencieuse un instant, puis posa une question qui semblait la travailler depuis la réunion où le nom de Lucas avait été mentionné.

  • Tu as connu Lucas ?

  • Ouais, aux deux NickroN, répondit Sidonie en hochant la tête. La dernière fois que je l’ai vu, je n’ai pas tout de suite compris que c’était lui. Il avait renié son véritable nom d’origine, mais il semblait plus mature, plus sûr de lui, contrairement à notre première rencontre à NickroN en 2103.

  • C’est génial… en plus tu as connu les deux NickroN ! s’exclama Hannah, visiblement impressionnée. Je n’ai jamais eu la chance d’y aller. Mes parents ont toujours refusé que je dise à quiconque que je suis une variante.

  • Je les comprends. N’oublie pas que l’institut a été détruit plusieurs fois.

  • Oui, je le sais, fit-elle d’un ton mélancolique. Elle hésita avant de demander : Tu peux me décrire Lucas ? Si je dois user de mes dons d’illusions, j’ai besoin de le connaître davantage.

 

Sidonie esquissa un léger sourire en repensant à ce qu’Hiro avait dit à Hannah lors de leur première réunion, concernant son attirance pour les jeunes hommes blonds. Elle se tourna vers elle avec un regard taquin.

  • Tu le trouves mignon ?

 

Hannah rougit légèrement, déconcertée par la question.

  • Hum… comment dire… il a l’air charmant, balbutia-t-elle. Mais j’ai vraiment besoin d’informations, s’il te plaît.

  • Je comprends, répondit Sidonie en reprenant son sérieux. Lucas n’est pas déplaisant à regarder. Ce qui est marquant chez lui, c’est sa gentillesse, cette bonté peu commune. Il est loin d’être comme certains garçons arrogants avec un ego démesuré. Au contraire, il est sincère, discret, et préfère rester en retrait. Il a toujours eu du mal à s’affirmer, surtout après tout ce qu’il a traversé. Mais tu vas voir, tu auras la chance de le découvrir par toi-même.

  • J’ai un peu le trac, à vrai dire, avoua-t-elle en baissant les yeux, gênée.

  • Ne t’en fais pas. Il te suffit d’être naturelle avec lui comme tu l’es avec moi, et tout se passera bien. Je dois le convaincre de nous rejoindre de son plein gré, pas par la force. 

 

Hannah acquiesça, ses doutes s’évanouissant légèrement. Mais elle changea soudain de sujet, une lueur d’inquiétude dans les yeux.

  • Dis-moi, c’est dangereux, les voyages dans le temps, non ? Il paraît que ça finit par te rendre folle…

 

Sidonie s’arrêta un instant, réfléchissant à la meilleure façon de répondre.

  • Seulement si on en abuse. Le problème, c’est que tu perds toute notion de ce qui est réel. Le cerveau humain n’est pas assez évolué pour expérimenter plusieurs réalités. Il essaie de tout remettre en ordre avec des schémas logiques, mais ça devient de plus en plus difficile. Tu sais, quand tu rêves, ça te semble réel jusqu’à ce que tu te réveilles. Les voyages dans le temps effacent cette distinction. Et tu te retrouves à ne plus savoir si tu es éveillée ou non…

  • Est-ce que ça t’arrive à toi ? demanda Hannah, l’inquiétude marquant son visage.

  • Nous vivons dans un monde dangereux, Hannah. Mais j’ai appris à maîtriser mon don toute seule et à être vigilante face aux imprévus. Ne t’en fais pas, tout se passera bien.

 

Elle lui sourit chaleureusement pour la rassurer, avant de se lever et de se diriger vers la cuisine. Elle jeta les restes de sa pomme dans le compartiment à recyclage, lava sa tasse dans l’évier et prit un moment pour se recentrer. La mission approchait, et elle devait se préparer. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de se demander où étaient passés les autres membres du groupe, et pourquoi ils étaient partis si brusquement.

Jane Roselys

Jane

Illyria Roselys

Illyria

Walter Penfrom

Walter

Hiro Hawk

Hiro

Année 2116 | 16 novembre – 09h20, dans un gratte-ciel à Los Angeles - Californie

Jane avait ordonné à HOPE d’être immédiatement prévenue dès que Sidonie, Hannah et Martha quitteraient la maison. Cheffe de la section Alpha, elle savait que Sidonie userait tôt ou tard de son pouvoir de voyage temporel. Elle donna l’ordre à HOPE de veiller à ce que personne ne contraigne Sidonie à utiliser ses dons en dehors de la mission qui lui avait été confiée. En son absence, Jane comptait sur l’intelligence artificielle pour maintenir l’ordre et la sécurité des lieux.

Depuis un bureau temporaire installé dans un gratte-ciel du centre-ville, Jane surveillait tout à distance, tout en espionnant la BMRA grâce à ses pare-feu indétectables. Sarah l’avait exceptionnellement rejointe afin de l’épauler dans cette tâche complexe. Pourtant, la dame française était tourmentée. Illyria de Roselys, la mère de Lucas, restait muette à son dernier message, ce qui la força à nourrir de sérieuses inquiétudes quant à son sort.

Elle passa devant Hiro et Walter, ses deux gardes fidèles postés à l’entrée, avant de recevoir l’appel du portier.

Sur l’écran apparut une femme vêtue d’un imperméable beige, un foulard bleu autour du cou et des lunettes sombres. Jane la reconnut aussitôt et l’autorisa à monter jusqu’à son étage. À son arrivée, Hiro fouilla son sac et scanna brièvement l’ensemble de son corps, vérifiant qu’elle ne portait ni micro ni mouchard. Tout était en règle.

 

Elle entra, fixant son ancêtre avec une certaine gravité. Le voyage avait été éprouvant pour la mère de Lucas, constamment hantée par la peur d’être démasquée et arrêtée à chaque instant par les autorités de la Fédération Unie. Jane ne lui avait donné aucun détail sur la raison de cette entrevue, ce qui ne fit qu’alimenter davantage l’angoisse de cette femme douce, déjà tourmentée par son destin.

Jane, son éternelle cigarette aux lèvres, l’accueillit d’une voix froide dans leur langue d’origine, le néo-français :

  • Bienvenue, Illyria Mathilde Cécilia de Roselys et d’Artois. Ravie de te revoir, ma fille.

  • Heureuse de vous revoir, mère, répondit Illyria avec réserve.

 

Après avoir effectué les révérences d’usage, Jane s’approcha d’Illyria et l’enlaça quelques instants. Ce geste, sincère et rapide, montrait que Jane n’était pas qu’un cœur froid et sans scrupule. Elle aimait profondément Illyria, et cette étreinte signifiait qu’elle voulait la mettre en confiance, lui rappeler qu’elle était en sécurité auprès d’elle. Mais Illyria n’était pas naïve. Elle savait que l’amour, dans la relation entre un mentor et son élève, était souvent teinté de reproches.

  • Je suis ravie que tu sois enfin présente ici, en Fédération Unie. Tu as perdu trop de temps à fuir l’Empire, avec ton idiot de mari qui a porté plainte contre toi.

Illyria soupira, consciente de cette dure réalité.

  • J’en suis bien consciente. Et je suis certaine que je m’en sortirai seule. Ce n’est pas la première fois. Mais j’ose espérer que vous ne m’avez pas fait venir ici simplement pour me rappeler mes malheurs. Avez-vous retrouvé Lucas, sain et sauf ?

 

Un sourire fin et malicieux traversa le visage de Jane.

  • J'ai effectivement des nouvelles de ton fils, Illyria. Un jus de fruit ?

 

Les yeux d’Illyria s’agrandirent de panique.

L’ancêtre d’Illyria ouvrit un compartiment caché dans le mur. Des bouteilles de différents alcools, forts ou légers, y étaient soigneusement alignées. Elle se servit un verre de bourbon avant de tendre un verre de jus de fruit à sa descendante.

  • Lucas ? Vous l’avez trouvé ? Il va bien ? lança-t-elle, prise par l'angoisse.

  • Du calme, Illyria, tempéra Jane en levant la main. Il n’est pas encore ici, mais j’ai confié sa recherche à une de mes nouvelles recrues. Une jeune femme qu’il a connue à NickroN. Il se laissera convaincre plus facilement.

  • Qui ça ? demanda la mère de Lucas, sur ses gardes.

  • Sidonie, Vous l'avez certainement croisée à NickroN, en 2104, répondit Jane, esquissant un sourire énigmatique. Elle a connu votre fils, et j’ai jugé qu’il se laisserait plus facilement convaincre par elle plutôt que par un agent inconnu ou, pire, si je m’en chargeais personnellement.

 

Illyria n’osait pas imaginer les conséquences d’une telle possibilité. Elle savait que Lucas détestait Jane et qu’il aurait tout fait pour fuir à nouveau s’il la voyait. Mais le nom de NickroN réveilla en elle une vague de souvenirs douloureux. Elle avait côtoyé ce premier institut à une époque où elle était amnésique, suite à l’assassinat brutal de son mari devant les yeux de leur fils.

Illyria chassa ses pensées douloureuses.

  • J’espère que votre agent réussira. Lucas est mon unique enfant, reprit-elle, un peu plus calme, malgré l’inquiétude perçant sa voix.

  • Elle se montrera utile, du moins je l’espère. Seul le temps nous le dira, répondit Jane, comme si elle prophétisait l’inévitable.

  • Je suis si soulagée d’entendre cela, répondit Illyria, l’angoisse toujours palpable. Vous me redonnez espoir… Vous savez très bien ce que je désire le plus : revoir mon fils sain et sauf, et qu'il soit en sécurité.

 

Jane, cigarette en main, avala une grande gorgée de son verre. Son regard perçant traversait la pièce comme une lame, et sa posture imposait à la fois respect et crainte à ceux qui ne la connaissaient pas bien.

  • Je comprends ton désir maternel, dit-elle en expirant un nuage de fumée. Mais ne te réjouis pas trop vite de ces nouvelles. Lucas restera à mes côtés, Illyria.

  • Pourquoi ? Vous comptez en faire un de vos agents ? demanda Illyria, sa voix trahissant un mélange de choc et de désespoir.

  • Parce que je le dois, Illyria. Notre sang s’éteint, et notre lutte contre la BMRA doit s’intensifier. Trop de temps a été gaspillé dans des querelles absurdes. Tu devras te contenter de cela. Lucas est autant mon descendant que ton fils, et je ne tolérerai pas qu’il se volatilise encore une fois.

 

Elle posa son verre à moitié plein sur la table, tandis qu’Illyria restait figée, ses mains tremblantes autour de son propre verre presque intact. L’enjeu de cette conversation et l’avenir de son fils pesaient lourdement sur ses épaules, mais elle savait qu’aucune protestation n’aurait d’effet sur Jane. L’expérience et l’autorité naturelle de son ancêtre ne laissaient aucune place à la rébellion.

Pour Illyria, la vie de Lucas était ce qui comptait le plus. Il était sa seule motivation pour continuer dans ce monde brisé, et elle ne pouvait qu’espérer que cette mission aboutirait, même si cela signifiait accepter des décisions qui lui brisaient le cœur.

  • Êtes-vous vraiment certaine qu’il faille le transformer en soldat, en espion, ou je ne sais quoi à votre service, Jeanne ? demanda Illyria, la voix pleine de doutes. Il a déjà traversé tant d’épreuves douloureuses…

 

Jane, irritée par ce qu’elle percevait comme une faiblesse, répliqua sèchement :

  • Comme toi et moi, si je puis me permettre, lança-t-elle d’une voix acerbe. Il est grand temps de cesser de lui trouver des excuses, Illyria. Lucas me rejoindra, que cela lui plaise ou non. J’ai des projets pour lui. Tu dois comprendre que nos désirs personnels ne comptent plus ici. Ce que j’ai entrepris dépasse de loin nos petites préoccupations. Et, entre nous, j’aurais préféré que tu te consacres à notre cause plutôt que de gaspiller ton temps à te battre contre ton second mari.

 

Les paroles cinglantes de Jane furent difficiles à encaisser pour Illyria. Après toutes ces années, la « Dame de Fer » n’avait rien perdu de son autorité inflexible et de son caractère tyrannique. Malgré son envie de répliquer, Illyria se retint. Elle savait qu’insister ne ferait qu’aggraver les choses. Si le destin devait suivre cette voie, elle pourrait au moins trouver un certain réconfort dans l’idée que Lucas était vivant, même s’il se retrouvait aux mains de Jane.

Un mélange d’espoir et de tristesse traversa le regard d’Illyria alors qu’elle pensait à tous ces moments perdus, à sa famille déchirée, et à ce monde qui continuait à sombrer autour d’eux. Jane se leva, contournant son bureau pour se planter devant elle. Elle lui tendit une photographie de Lucas, prise lorsqu’il était encore à NickroN.

Les larmes montèrent aux yeux d’Illyria lorsqu’elle reconnut son fils, devenu un jeune homme aux longs cheveux blonds, son visage empreint de la même mélancolie qui le tourmentait déjà enfant. Jane laissa à Illyria quelques instants pour contempler l’image, l’observant en silence tout en écrasant sa cigarette dans un cendrier de fortune. Son regard perçant se posa ensuite sur Illyria, implacable.

  • Comment va ce cher Patrick de Cissey, ton ignoble époux ?

  • Ne soyez pas cruelle, Jeanne, répondit-elle en soupirant, visiblement épuisée par ces échanges. Vous savez très bien que nous sommes séparés, malgré ses vaines tentatives de me récupérer et me faire avouer mes "fautes".

  • Moi, cruelle ? Jane feignit l’indignation. On m’accuse trop souvent de cruauté. Pourtant, c’est le monde qui l’est. La vie, le destin… mais pas uniquement moi. Si tu dois blâmer quelqu’un pour être cruel, rappelle-toi d’abord de notre ennemi commun. Il a causé tant de mal à notre famille : à toi, à ta sœur Héra, à feu ton époux, à Lucas… sans parler des répercussions sur le monde entier. Je n’ai pas besoin de refaire la liste de ses méfaits, tu la connais aussi bien que moi.

 

Illyria secoua la tête, ne voulant pas parler de ce sujet délicat. Jane, implacable, hocha la tête, son regard toujours fixé sur elle.

  • As-tu apporté ce que je t’ai demandé ?

  • Oui, répondit simplement Illyria, les épaules légèrement voûtées sous le poids de ses propres préoccupations.

 

La mère de Lucas posa délicatement l’objet sur le bureau de Jane. Celui-ci mesurait environ soixante centimètres, sa couleur anthracite rappelant l’adamantium, un métal à la fois robuste et raffiné. Il s’agissait d’un sceptre replié, au design détaillé et élégant, de forme élancée pouvant atteindre un mètre soixante lorsqu’il était déployé. Le bâton se terminait par une structure complexe et ornementée qui entourait une sphère centrale encastrée, bleu pâle et légèrement translucide. Les motifs autour de la sphère évoquaient un style décoratif semblable aux candélabres en bronze du passé, mêlant pointes acérées et courbes raffinées, ajoutant à la fois un aspect mystique ancien et technologique. Trois pointes ornaient la partie supérieure, offrant à son détenteur la capacité de se défendre et d’attaquer au corps-à-corps.

L’horloge sonna dix heures. Jane, observant l’objet avec un sourire énigmatique, murmura :

  • Bel ouvrage, fit-elle, admirative. Cela lui sera très utile. L’heure tourne, ma chère. J’ai d’autres affaires à régler, et je pense que tout a été dit. Moi et mes agents avons une mission à accomplir. Tu peux rester ici avec Sarah si cela te convient, et venir à HOPE, ou bien retourner dans notre pays te confronter aux trahisons de ton imbécile de mari. Mais tu aimes trop ton fils pour repartir immédiatement. Adieu, ma fille.

 

Une fois la rencontre terminée, Jane ordonna à Hiro de retourner rapidement à HOPE avec l’objet remis par Illyria, afin de le confier à Sidonie avant leur départ.

Lydia Sorel

Lydia

Jane Roselys

Jane

Walter Penfrom

Walter

Hiro - Mia

Hiro

Année 2116 | 16 novembre – 11 h 05, quelque part dans LA - Californie

Lydia Sorel avait rendez-vous avec la mystérieuse Ann Sinclair dans le centre de Los Angeles. La cinquantaine, Lydia avait des cheveux argentés, soigneusement coiffés en vagues élégantes, encadrant un visage anguleux et sérieux. Elle ne portait aucun bijou, hormis deux boucles d’oreilles en or offertes par sa sœur pour son dernier anniversaire. Lydia souriait rarement, dégageant avant tout une aura de détermination inébranlable pour sauver ses patients, ainsi que la médecine en général.

Vêtue d’un tailleur et d’une jupe noire, plutôt formels pour un rendez-vous important, Lydia semblait plus préoccupée que d’habitude. Elle se rendait à une entrevue avec Jane, tandis que Hiro et Walter, malgré leur insistance pour l’accompagner, avaient reçu l’ordre de rester en bas de l’immeuble où devait avoir lieu la rencontre.

Médecin et chercheuse au Kindred Hospital de Los Angeles, Lydia ignorait les véritables raisons de ce rendez-vous, mais l’aura de mystère entourant cette rencontre suscitait une tension palpable parmi ses collègues. Afin d’éviter tout problème avec les dispositifs de détection anti-variants largement répandus en ville, Jane avait pris soin de porter des boucles d’oreilles capables de brouiller ces systèmes.

Les villes contrôlées par les partis étatistes s’étaient équipées de ces scanners, installés à l’entrée de nombreux lieux publics. Ces appareils étaient capables de repérer des mutants en scannant l’ADN des passants en quelques secondes. En cas de détection, les vigiles étaient immédiatement alertés, sommant la personne en question de quitter les lieux sous peine d’être arrêtée par la BMRA. La police n’intervenait presque plus dans ces affaires, laissant ce pouvoir à l’agence spécialisée. Quelques rares établissements, cependant, utilisaient des scanners plus avancés, opérant par contact direct avec la peau ou par lecture d’iris, ce qui rendait les dispositifs de brouillage inefficaces. Mais leur coût élevé les rendait peu répandus, permettant encore à bon nombre de mutants de circuler relativement librement grâce aux brouilleurs issus du marché noir.

Le lieu du rendez-vous se situait au Prime Steakhouse, un restaurant prestigieux au 35ᵉ étage de l’hôtel The Westin Bonaventure, en plein cœur de LA. Réputé pour ses mets raffinés et fréquenté par la haute société, c’était un endroit où chaque détail comptait. Jane y attendait déjà, assise à une table retirée, un verre de vin rouge, probablement un Bordeaux d’Europa, posé devant elle. Elle feuilletait distraitement la carte du restaurant lorsque Lydia fit son entrée. Cette dernière portait une veste noire ouverte sur un haut blanc, sobre mais élégant, qui soulignait son anxiété face à ce mystérieux rendez-vous.

La tension qui régnait autour de cette entrevue était palpable. Lydia, bien que rationnelle et pragmatique en tant que médecin, se retrouvait déstabilisée par l’atmosphère intimidante du lieu et la personne qu’elle s’apprêtait à rencontrer. Jane, toujours aussi calculatrice, avait su trouver les mots pour convaincre la chercheuse de venir.

  • Bonjour, madame Sinclair ? hésita Lydia d’une voix à peine audible, trahissant son malaise.

 

Jane la fixa de son regard perçant, un sourire à peine perceptible au coin des lèvres. Elle dissimulait ses cheveux avec un magnifique foulard blanc nacré doté de fleurs d’or, ainsi que ses yeux derrière des lunettes, qu’elle retira durant l’entrevue.

  • Hum, docteur Lydia Sorel, je présume ? Asseyez-vous, ordonna-t-elle d’une voix posée mais ferme, tout en jouant avec son verre de vin entre ses doigts fins.

 

Sans attendre, Lydia s'exécuta et s'installa en face d'elle.

 

  • Vous souhaitez quelque chose à boire ? proposa Jane avec une politesse glaciale.

  • Non, merci, répondit Lydia respectueusement, se sentant légèrement oppressée par l’ambiance.

 

Les deux femmes se dévisageaient, l’une scrutant l’autre comme un juge mesurant le degré de culpabilité d’un accusé.

  • Bien, commençons. Nous n’avons que peu de temps, trente minutes, pas une de plus, reprit Jane avec une précision presque chirurgicale.

  • Je… D’accord, répondit Lydia, visiblement désarçonnée. Vous sembliez intéressée par mon travail à l’hôpital, et mes études concernant la biologie moléculaire animale…

  • En effet, confirma Jane en s’adossant à sa chaise, son regard perçant ne quittant pas Lydia. Je m’intéresse énormément à vos travaux. Un de mes collaborateurs m’a parlé de vous, et je dois dire que votre profil retient toute mon attention. Vous auriez rédigé une thèse sur la biologie mutante, n’est-ce pas ?

  • Oui, mais je ne l’ai pas encore publiée, expliqua Lydia d’une voix plus assurée. Je devais d’abord m’assurer que le contenu respecte les normes éthiques imposées par l’agence, et qu’il ne contredit pas les thèses déjà en vigueur.

 

Jane éclata d'un léger rire méprisant.

  • Foutaises, docteur Sorel. Vous auriez dû consulter l’agence avant même de commencer vos travaux, n’est-ce pas ? À vrai dire, vous l’avez fait, mais le titre de vos recherches initiales était bien différent, n’est-ce pas ?

 

Jane plongea une main dans son sac posé à côté d’elle, feignant de chercher un document. À cet instant, un robot-serveur arriva à leur table, s’excusant du retard dû à l’affluence exceptionnelle du restaurant.

  • Mesdames, souhaitez-vous commander autre chose ? demanda le robot avec une voix automatisée, tout en se penchant légèrement vers elles.

  • Un Bordeaux, répondit Jane, basculant soudainement en français, son ton impérieux.

  • Rien pour moi, merci, murmura Lydia, essayant de rester discrète.

 

Le robot, doté de plusieurs réservoirs sur son abdomen, servit rapidement le vin à Jane, qui régla la note sans même lui accorder un second regard.

  • Et ne nous dérangez plus, ordonna-t-elle sèchement, avant de revenir à Lydia avec un sourire glacial.

 

Tandis que le robot s’éloignait vers d’autres tables, Jane scruta la salle d’un rapide coup d’œil, s’assurant qu’elles n’étaient pas observées. Puis, avec une lenteur calculée, elle sortit une feuille numérique de son sac. Lydia, livide, regardait l’écran, une sueur froide perlant sur son front.

  • Études des conséquences de la radioactivité sur l’ADN animal… murmura Jane en faisant glisser la page sous les yeux de Lydia.

 

Une goutte tomba du front de Lydia, pétrifiée. Elle reconnut immédiatement le titre de sa demande d’autorisation de recherche.

  • Je travaille pour l’agence, annonça Jane, chaque mot glacial comme une lame affûtée. Une chance pour vous, docteur, car la véritable nature de vos travaux m’intéresse énormément. Si vous consentez à m’en dire plus, je veillerai à ce que vos recherches sur les souris passent sans encombre dans les méandres administratifs de l’agence. Alors, résumez-moi votre argumentation.

 

Lydia, prise au piège, balbutia, cherchant ses mots.

  • Oh, mais… En fait, j’essaie de démontrer que la mutation est un phénomène tout à fait naturel dans l’histoire de l’humanité, commença-t-elle, d’une voix tremblante. Je peux le prouver en croisant des données scientifiques précises et en réalisant des modélisations basées sur certaines régions de la Fédération Unie… Lorsque j’y ai encore accès, bien sûr. Il était nécessaire d’étudier les cas de mutations sous divers angles, tels que le sexe, l’âge, les origines des individus concernés… Et surtout, l’environnement, qui joue un rôle précurseur sur l’ADN, modifiant celui-ci au fil du temps. À vrai dire, je suis même persuadée que la mutation existe depuis bien plus longtemps que ce que l’agence laisse entendre.

 

Jane hocha lentement la tête, ses yeux perçants fixés sur Lydia.

  • Continuez…

  • L’agence, poursuivit Lydia, essuyant discrètement son front moite, affirme que ces mutations sont des déviations de l’évolution de notre espèce. Ils présentent les variants comme des erreurs génétiques, des « égarements » qu’il faut « soigner » ou « reconditionner » … peu importe le terme utilisé. J’ai entendu dire qu’ils prévoient même de stériliser les femmes variantes de force, sous prétexte de « guérir » la mutation avec des thérapies invasives. Ces thérapies… elles manipulent l’ADN, avec des risques effroyables, des effets secondaires qui peuvent conduire à la mort. Ils vont empêcher les couples mutants d’avoir des enfants, alors qu’aucune preuve solide ne démontre que la mutation est systématiquement héréditaire ou dangereuse. Certaines le sont, oui, mais d’autres non. Il faut prendre en compte bien plus que l’ADN, comme l’environnement…

 

Lydia reprit son souffle, consciente qu’elle parlait de sujets extrêmement sensibles.

  • Selon moi, ajouta-t-elle, la mutation n’est pas une aberration, mais une conséquence inévitable, voire bénéfique, de l’évolution humaine. L’opportunisme génétique, en somme. Sauf votre respect, je suis fermement contre ces méthodes inhumaines de l’agence.

 

Lydia se tut, haletante, sentant la terreur l’envahir. Elle comprenait l’ampleur de ses mots, sachant pertinemment que ceux-ci pouvaient la conduire en prison, ou pire, dans un centre de reconditionnement, synonyme de torture pour ceux qui en connaissaient la vraie nature. L’ombre de Jane, représentante de l’agence, planait au-dessus d’elle, froide et implacable.

 

  • Je vais… être arrêtée ? osa-t-elle demander, la voix tremblante, réalisant pleinement les conséquences de ses opinions trop audacieuses.

***

Pendant ce temps, Mia Chang marchait tranquillement dans une rue animée, non loin du restaurant où se déroulait la rencontre entre Jane et Lydia. Le brouhaha incessant des passants occupés à leurs tâches quotidiennes s'entremêlait avec la pollution omniprésente de Los Angeles. La ville était noyée sous un voile toxique, héritage des guerres récentes, et les poumons de ses habitants absorbaient sans relâche des particules radioactives. Pourtant, les autorités restaient étrangement inactives, laissant les dégâts environnementaux s’accumuler sans offrir de solution durable.

Mia, cependant, ne se préoccupait guère de la crise écologique. Elle semblait attendre, feignant d'être perdue au milieu de la foule. C'était la stratégie parfaite pour se fondre dans la masse, imitant les gestes et attitudes des passants pour passer inaperçue. En réalité, derrière cette apparence de jeune femme d'origine asiatique d'une trentaine d'années, se cachait Hiro, le variant polymorphe. Il avait pris l'apparence de Mia, une identité choisie pour cette mission, avec ses cheveux sombres coupés courts, son costume cintré et sa démarche discrète. Il mesurait environ un mètre cinquante-cinq, une stature qui contrastait avec celle du jeune homme tatoué et fougueux que ses camarades de HOPE connaissaient bien.

Hiro avait perfectionné l'art du camouflage à travers les nombreuses missions qu'il avait effectuées pour Jane. Sa capacité à changer de forme le rendait insaisissable, mais cela soulevait toujours des questions chez ceux qui l’entouraient : était-il réellement cet homme qu’ils côtoyaient au sein de HOPE, ou un autre avatar qu'il préférait incarner ? Seule Jane connaissait la vérité, et les autres membres du site Alpha n'osaient pas aborder ce sujet avec lui, pas même Walter.

Alors qu’il attendait, Hiro fut approché à plusieurs reprises par des hommes attirés par son apparence de Mia. Certains, plus courtois, proposaient de boire un verre ou de déjeuner, tandis que d’autres, plus grossiers, allaient jusqu'à lui suggérer de se rendre à l'hôtel pour obtenir des faveurs sexuelles. Chaque fois, Hiro, contraint de maintenir sa couverture, refusait poliment, même si l’envie de frapper les plus impertinents le démangeait. Jouer le rôle d’une femme le mettait mal à l'aise, bien que ce soit une tâche qu’il accomplissait avec professionnalisme.

Vêtu de manière discrète, tout comme Walter qui le rejoignit bientôt, Hiro savait qu'ils devaient se fondre dans le décor. Porter leurs combinaisons de HOPE en plein jour dans les rues bondées aurait immédiatement éveillé les soupçons. Walter s’approcha doucement, simulant une conversation anodine entre deux inconnus qui se croisent. Leur vigilance restait de mise. Ils savaient que la BMRA pouvait surveiller tout le monde, et même si la population ignorait la menace qui planait, eux ne pouvaient se permettre de relâcher leur attention.

  • Bonjour, mademoiselle...

  • Pas la peine d'insister, je n'ai pas envie de coucher avec vous... Oh merde, c'est toi ! murmura Mia en reconnaissant finalement son interlocuteur sans même lui jeter un regard.

  • Tu as l'air tendu. C'est le fait d'imiter une femme qui te met dans cet état ou les ringards qui t'ont abordée ?

  • Pff, t'es con. Je comprends définitivement ce que vivent les femmes qui marchent seules dans la rue de nos jours.

  • Peut-être, mais fais gaffe à ce que tu dis, ils peuvent nous entendre.

  • Désolée, répondit Mia en se redressant un peu. Quelles sont les nouvelles, monsieur ? reprit-elle, cette fois plus audible.

  • Aucune, et ça m'inquiète à vrai dire, admit Walter, les sourcils légèrement froncés. Il n'aimait pas être à l'écart lorsque Jane se trouvait seule dans un endroit aussi bondé.

  • Elle sait ce qu'elle fait, ne vous tracassez pas pour rien, tenta de le rassurer Mia, bien que la tension n'ait pas vraiment quitté son propre corps.

  • Derrière, deux agents arrivent vers nous, chuchota Walter avec prudence.

 

L’Écossais avait ressenti la présence des deux gardes de la BMRA qui se rapprochaient lentement. Malgré l'atmosphère pesante, Mia alluma une cigarette, un geste calculé pour garder une apparence de calme. Fuir ou se montrer trop nerveux n'aurait fait qu'attirer davantage l'attention des agents, qui n'auraient pas hésité à appeler des renforts dans les rues adjacentes. Pour l’instant, la meilleure stratégie restait la patience et l'attente. Mais que voulaient ces deux miliciens ? Un contrôle aléatoire ? Difficile à dire. Les rues étaient bondées, et jusqu’ici, les deux comparses jouaient parfaitement leurs rôles, sans la moindre fausse note.

Ils n’étaient plus qu’à quelques mètres quand Mia fit tomber son sac, volontairement, sous un air de surprise bien maîtrisé.

  • Oh mon sac ! s'excusa-t-elle en se penchant pour le ramasser.

 

L'un des agents s'empressa de le récupérer avant elle, lui tendant avec un sourire poli.

  • Ce n'est rien, mademoiselle. Tenez.

  • Merci, monsieur, c'est très gentil de votre part, répondit-elle avec un sourire charmant.

 

L’agent jeta un regard autour, l'air soucieux.

  • Vous devriez faire attention, les rues ne sont pas sûres en ce moment, dit-il d’un ton sérieux.

  • À cause des voleurs ? s'étonna Mia, l'air innocent.

  • Entre autres, répliqua l'homme, baissant légèrement la voix. Je parlais surtout des variants qui rôdent dans le coin. Notre mission est de les traquer.

 

Hiro et Walter se contenaient, serrant les poings face à l'envie de donner une leçon à ces agents de la BMRA qui traquaient les variants sans poser de questions, exécutant simplement les ordres d'une organisation tyrannique. Pourtant, ils restaient impassibles alors que l'un des agents effectuait un test rapide sur eux. Le brouilleur qu’ils portaient rendait impossible toute détection, et l'agent, satisfait du résultat négatif, fit signe à son collègue que tout était en ordre.

Walter, les lunettes de soleil dissimulant sa cécité, prit alors la parole avec calme, feignant la vulnérabilité.

  • Heureusement que vous êtes là. Vous savez, j'ai perdu la vue à cause des variants, confia-t-il d'un ton qui cherchait à susciter la pitié de ses interlocuteurs.

  • Navré de l'entendre, répondit l'agent, sincèrement désolé.

 

Mia, jouant son rôle à la perfection, ajouta en se souvenant soudainement des "étranges" individus :

  • Je dois vous signaler que plusieurs individus louches m'ont abordée, dit-elle avec une légère hésitation. Après réflexion, je suis sûre qu'il s'agissait de variants !

 

L'agent releva la tête, l'air soudainement plus concerné.

  • Où sont-ils allés ?

  • Dans cette direction, répondit-elle en pointant vaguement. Ils ne doivent pas être bien loin.

 

Les deux agents se jetèrent un regard entendu avant de s'éloigner à vive allure vers les suspects présumés. Les tests qu’ils effectuèrent par la suite ne menèrent à rien, mais pour l'instant, Mia et Walter avaient réussi à détourner leur attention.

Profitant de cette opportunité, les deux variants s'éloignèrent rapidement vers une ruelle discrète, à l’abri des regards indiscrets. Là, Hiro abandonna son apparence féminine pour retrouver son apparence masculine, se changeant rapidement dans les vêtements qu'avait apportés Walter.

L’absurdité de la situation aurait pu les faire sourire, si leur mission n’avait pas été aussi sérieuse. La BMRA se prenait pour des héros, mais en vérité, elle recrutait souvent les plus naïfs et les plus zélés pour exécuter ses basses besognes.

  • Magne-toi, Leon, fit Walter en vérifiant les environs.

  • Smell, ces mecs sont vraiment débiles, ils prennent vraiment des nuls à la BMRA, s'étonna Hiro en secouant la tête.

  • Ce n'est pas toujours le cas, répondit Walter avec un soupçon de gravité. Et la majorité des variants n'ont pas notre chance.

 

Hiro, hochant la tête, termina de se préparer.

  • Je sais, admit-il. C'est bon, je suis prêt.

  • Allez, on bouge, je n’ai pas envie de courir, dit Walter en vérifiant leur chemin.

 

Les deux variants étaient désormais vêtus en civil, prêts à se fondre dans la foule. Malgré la fierté qu'Hiro tirait de son tatouage, aujourd’hui n’était pas le jour de se faire remarquer. Ils jetèrent un coup d’œil rapide à leurs brouilleurs, s’assurant que les batteries étaient encore pleines, un réflexe indispensable en cas de nouveau contrôle.

Une fois arrivés à l’endroit désigné, ils observèrent les alentours avec prudence, guettant les ordres de Jane, toujours en mission à l'intérieur du restaurant.

***

Lydia baissa les yeux, déstabilisée par les paroles froides et calculées de Jane. Le poids de la menace planait lourdement dans l'air, rendant l'atmosphère oppressante, presque irrespirable. La comtesse de Roselys maîtrisait son jeu, consciente de l'emprise qu'elle exerçait sur la jeune scientifique.

  • Vous savez, reprit Jane d'une voix douce mais glaciale, être brillante ne vous protège pas. La BMRA ne tolère aucune forme de rébellion, même si celle-ci est dissimulée derrière de prétendus travaux scientifiques. Ils surveillent tout, et je crains que vos recherches ne soient devenues une menace bien plus grande que vous ne l'imaginez.

 

Lydia tenta de répondre, mais sa voix se perdit dans un murmure. Ses mains tremblaient plus fort, son esprit luttant pour comprendre la profondeur du piège dans lequel elle s'était enfermée. Elle avait espéré que son engagement envers la science la sauverait, que la vérité des faits suffirait à la protéger. Mais face à la froide réalité que Jane exposait, cette conviction s'effritait.

  • Pourquoi... pourquoi me dire tout cela ? demanda-t-elle finalement, les yeux écarquillés de terreur.

 

Jane esquissa un léger sourire, comme si la réponse était évidente.

  • Parce que, docteure Sorel, je vous offre une échappatoire. Vous avez attiré l'attention des mauvaises personnes, mais vous avez aussi capté la mienne. Vous êtes intelligente, et je pourrais avoir besoin de quelqu'un comme vous dans mes propres projets. Des projets qui, disons-le, sont en totale contradiction avec la BMRA. Mais pour cela, vous devez me montrer que vous êtes prête à abandonner votre situation actuelle pour quelque chose de bien plus grand.

 

Lydia était figée, hésitant entre la peur et l'espoir. Jane venait-elle de lui tendre une main secourable, ou était-ce simplement une autre manipulation, une trappe dissimulée sous des promesses creuses ?

  • Réfléchissez bien, poursuivit Jane, sa voix empreinte de douceur sinistre. Vous n'avez pas beaucoup d'options, Lydia. Si vous continuez sur votre voie, dans peu de temps, vous ne serez plus qu'une note de bas de page dans l'histoire. Ou bien vous prenez le bon chemin, celui que je vous propose, qui vous permettra de prouver au monde entier que les variants ne sont pas tous des terroristes assoiffés de sang.

 

Le silence s'installa, lourd et tendu. Lydia était face à un choix qui allait redéfinir son avenir. La tentation de survivre, dans un monde aussi corrompu que celui-ci, luttait contre ses principes les plus profonds.

Jane, quant à elle, savourait l’instant, sachant pertinemment que la médecin assise en face d'elle était désormais à un tournant décisif.

 

Face à cette désastreuse éventualité, le médecin reprit place sur son siège, tremblant de tout son être, prise au piège dans la toile d'une araignée gorgée d'intrigues mortelles. L’air devenait lourd autour d’elle, comme si l’oppression qu’elle ressentait se matérialisait dans la pièce. Son cœur battait à tout rompre, résonnant dans ses tempes, alors qu’elle pesait les conséquences de chaque choix possible. Elle se sentait prise au piège, incapable de trouver une échappatoire qui ne condamnerait pas les siens. L’angoisse et la panique lui nouaient l’estomac, mais une part d’elle comprenait que le sort de sa famille dépendait désormais de ses décisions.

Le visage de son neveu et de sa nièce, de sa sœur et de son mari, défilait dans son esprit, et avec lui l’impossible choix auquel elle était confrontée. En suivant son instinct de fuite, elle savait qu’elle condamnait tous ceux qu’elle aimait. Mais en restant, elle entrait dans un jeu dont elle ignorait encore toutes les règles, entre les mains d’une femme dont les intentions restaient nébuleuses et effrayantes.

Lydia se sentait piégée, entourée par des forces bien plus grandes qu’elle, et pourtant elle n’avait d’autre choix que de continuer, de trouver un moyen de naviguer dans ce piège mortel sans perdre tout ce qui comptait pour elle. Elle inspira profondément, tentant de calmer les tremblements qui la secouaient, mais l’étau se resserrait chaque seconde un peu plus autour d’elle, chaque battement de cœur la rapprochant de cette terrible décision à laquelle elle ne pourrait échapper.

  • Que voulez-vous de moi au juste ? Comment pourriez-vous m'aider ? demanda-t-elle, fébrile et stressée.

 

Jane, posée, croisa les bras avant de répondre calmement.

  • Tombons les masques, chère Lydia. Je ne suis pas Ann Sinclair. Vous êtes une variante, et c’est la BMRA qui m’a mise sur votre piste puisque j’y suis infiltrée. Ils ont de sérieux doutes sur vous, sur votre ADN… 

  • Non, je ne suis pas une variante ! s'exclama Lydia, presque dans un cri.

 

Jane posa son index sur ses lèvres.

  • Chut, intima-t-elle. Baissez d’un ton. Ne perdez pas de temps à nier l'évidence des faits, vous qui êtes scientifique. Vous devriez être fière de ce que vous êtes, l’assumer en somme. Expliquez-moi pourquoi vous travaillez dans un hôpital où la mortalité a soudainement baissé depuis votre embauche ? Vous soignez clandestinement des variants, me tromperai-je ? Je suis loin d’être stupide, Lydia, et la BMRA non plus. On vous observe depuis assez longtemps pour affirmer que vous avez un don de guérison, et vous vous en servez sur vos patients pour des maladies ou des blessures non mortelles. Vous menez une étude qui étayerait le fait que les mutants ne sont pas dangereux pour l’humanité. Un grain d'espoir dans un océan de haine et d'obscurantisme. Je loue vos efforts, mais vos méthodes sont inefficaces contre le système en place. Au fond, je pense que vous saviez que votre tentative vous mènerait vers une fin inéluctable, pourtant la vérité et l'altruisme ont été plus forts.

  • J'ai été stupide..., lâcha Lydia, la voix tremblante.

  • Allons, répondit Jane avec douceur. Lydia, je vous offre un moyen de parvenir à vos fins. Pour cela, il vous suffit de m’accompagner. J'ai besoin de vous pour prendre soin de mon équipe qui lutte contre cette agence mortifère. Si vous acceptez, votre famille sera mise en sûreté.

 

Lydia ne répondit pas, malgré l'offre honnête de Jane. Son cœur battait à tout rompre, envahi par la panique. Sans réfléchir, elle se leva brusquement, cherchant à fuir cette conversation qui devenait de plus en plus oppressante. Il lui fallait de l'air, sortir, respirer, quitter cet endroit avant que tout ne s'effondre. Ses pensées se bousculaient : sa vie, sa famille, elle devait les protéger. Elle ne pouvait pas se permettre de rester là plus longtemps.

Jane l’observa s’éloigner d’un air calme, sans tenter de la retenir immédiatement. Deux hommes en costume, jusque-là discrets, assis à une table à l’autre bout du restaurant, levèrent leurs verres sans échanger un mot, avant de se lever à leur tour pour suivre Lydia. Ils étaient massifs, leurs mouvements précis et déterminés. Pas une ombre d’hésitation ne marquait leur visage.

Lydia atteignit l'ascenseur extérieur en verre, ses doigts tremblants martelant le bouton pour l’appeler. Les secondes s'écoulèrent trop lentement à son goût. Les portes transparentes semblaient jouer contre elle, ne s'ouvrant qu’avec une lenteur insoutenable. Pendant ce temps, elle sentit derrière elle une tension palpable. Les deux hommes approchaient, plus près maintenant. L'un d'eux, avec une expression impassible, sortit discrètement une arme de poing. Lydia sursauta, ses jambes semblant sur le point de céder sous l'angoisse.

Puis, soudain, la silhouette de Jane réapparut derrière les hommes, avançant d’un pas tranquille, comme si elle se promenait simplement. Elle portait toujours son foulard sur la tête, ainsi que ses lunettes.

  • Oh ma chère, vous avez oublié vos documents sur la table, dit Jane, d'un ton faussement aristocratique, brandissant la feuille numérique qu’elle lui avait montrée plus tôt.

 

Les deux hommes rengainèrent furtivement leur arme. Il y avait trop de monde aux alentours pour neutraliser Lydia Sorel. Dos à eux, Jane fit un signe à la jeune femme de monter dans l’ascenseur ouvert, qui obéit immédiatement.

Soudain, Jane se retourna rapidement vers eux en tenant une arme entre ses mains. En une fraction de seconde, la comtesse leur tira une balle en pleine tête avec un sang-froid et une détermination extrême. Les deux hommes s’écroulèrent telles des poupées de chiffon au sol et la porte de l’ascenseur se referma avec Jane et Lydia à l'intérieur. Le médecin, en état de choc, ne bougeait plus. Elle se plaça contre la vitre en agrippant fermement la rampe de la cabine, prise de vertiges et de nausées.

  • La voilà votre preuve, Lydia. Je peux vous aider. Je vais être très claire et je ne le répéterai pas. Vous venez avec moi, et vous aurez une chance de vivre plus longtemps, ou repartez seule et ils vous tueront vous, vos neveux et nièces, ainsi que votre soeur et son mari, sans exception.

 

Lydia, encore sous le choc des événements, hoqueta presque en entendant ces mots. Elle sentait la gravité de la situation s'écraser sur ses épaules, chaque mot de Jane résonnant dans sa tête.

  • Bon sang ! Je viens, mais ils ne doivent pas s'en prendre à ma famille ! Je dois les prévenir ! s'écria-t-elle, désespérée, à bout de souffle.

 

Jane, implacable, ne cilla pas.

  • Inutile, une de mes connaissances attend de mettre votre famille en sécurité dès que je lui en aurai donné le signal. Pour cela, vous devez venir avec moi.

  • Quoi, où les emmenez-vous ? Lydia peinait à suivre, ses pensées se bousculaient. Elle voulait comprendre, mais la peur brouillait tout.

  • Nous n'avons pas de temps à perdre ! Venez, et je vous garantis qu'ils seront en sécurité. Et vous aussi d'ailleurs.

 

Lydia se figea, incapable de prendre une décision.

  • Je... je ne veux pas mourir, murmura-t-elle, la voix tremblante.

 

Jane la regarda avec une froideur calculée.

  • Comme tout organisme qui lutte pour sa survie. Sa voix était calme, mais implacable. Lorsque nous sortirons de cet immeuble, restez près de moi, peu importe ce qui arrivera.

 

La cabine de l’ascenseur, entièrement en verre, descendait doucement, offrant une vue spectaculaire sur la ville en contrebas. Mais pour Lydia, cette vue était lointaine, floue, et dénuée de sens. Son esprit était ailleurs, accablé par l'angoisse et l'incertitude.

< Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5 >
bottom of page